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Pakistan : on vous explique pourquoi les manifestations anti-France se sont intensifiées ces derniers jours

La France invite ses ressortissants à quitter le territoire pakistanais. Une manifestation est prévue le 20 avril à Islamabad pour demander l'expulsion de l'ambassadeur de France.

Article rédigé par franceinfo
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Des heurts entre partisans du parti islamiste radical TLP et les forces de police pakistanaises à Lahore (Pakistan), le 13 avril 2021. (ARIF ALI / AFP)

La nouvelle a surpris les expatriés français, jeudi 15 avril. "En raison des menaces sérieuses qui pèsent sur les intérêts français au Pakistan, il est recommandé aux ressortissants français et aux entreprises françaises de quitter provisoirement le pays", a alerté l'ambassade française à Islamabad, dans un courrier adressé à la communauté française. Une invitation pressante survenue après plusieurs jours de manifestations antifrançaises dans cette République islamique d'Asie. Franceinfo retrace le cheminement qui a conduit à cette alerte.

A l'origine, la France critiquée pour sa défense du droit à la caricature

La situation s'est tendue entre les deux pays à partir de l'automne 2020. Alors que s'ouvre le procès des attentats de 2015, la republication des caricatures du prophète Mahomet par l'hebdomadaire Charlie Hebdo ravive au Pakistan le débat sur le blasphème, passible de la peine de mort dans ce pays. Le 25 septembre, Zaheer Hassan Mahmoud, un jeune Pakistanais, blesse grièvement au hachoir deux personnes devant les anciens locaux de l'hebdomadaire satirique à Paris.

Moins d'un mois plus tard, le président Emmanuel Macron réitère son soutien au droit à la caricature lors d'un hommage au professeur Samuel Paty, assassiné le 16 octobre par un terroriste après avoir montré des dessins satiriques représentant le prophète de l'islam à sa classe. Ses déclarations déclenchent des manifestations dans plusieurs pays musulmans, dont le Pakistan, ainsi que des appels au boycott de produits français.

Le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, accuse alors le président français d'"attaquer l'islam". Les autorités convoquent l'ambassadeur de France au ministère des Affaires étrangères à Islamabad pour se plaindre d'une "campagne islamophobe systématique sous couvert de la liberté d'expression". Depuis, les relations entre les deux pays sont restées tendues.

Un petit parti islamiste radical à la manœuvre

Derrière ces manifestations antifrançaises, on trouve un petit parti islamiste radical dénommé Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP). Connu pour son opposition farouche au blasphème, il réclame depuis plusieurs années la peine de mort pour quiconque est accusé de ce qui est considéré comme un crime dans ce pays, comme en 2018 à la suite à l'acquittement d'Asia Bibi, une Pakistanaise chrétienne.

Ce parti reste néanmoins très minoritaire au Pakistan, rappelle France 24 : "Lors des élections législatives de 2018, il n'avait obtenu que 2 millions de voix dans ce pays qui compte plus de 210 millions d'habitants." Mais il dispose toutefois d'une très grande force de mobilisation.

A l'automne dernier, en réaction à la republication des caricatures de Mahomet et aux propos d'Emmanuel Macron, le TLP demande une suspension des relations diplomatiques entre les deux pays et l'expulsion de l'ambassadeur de France, Marc Baréty. En novembre, à l'issue de plusieurs jours de manifestations violentes, le parti affirme avoir conclu un accord avec le gouvernement pakistanais prévoyant l'expulsion du diplomate avant fin avril 2021. Les autorités, elles, ne reconnaissent pas l'existence d'un tel accord.

Une escalade des tensions début avril

Début avril, furieux que l'ambassadeur de France soit toujours en poste, le TLP appelle ses soutiens à descendre dans les rues. Il s'agit d'"une reprise et d'une radicalisation de ces protestations à l'arrivée d'un ultimatum posé en novembre dernier", explique Laurent Gayer, du Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po, à franceinfo.

Lundi 12 avril, Saad Rizvi, le chef du TLP, est arrêté à Lahore par les autorités pakistanaises après avoir appelé à une marche le 20 avril dans la capitale Islamabad pour réclamer l'expulsion du diplomate français. Cette arrestation ravive la colère des sympathisants du parti, qui manifestent dans les grandes métropoles les jours suivants. Le TLP bloque partiellement lundi et mardi Lahore, Karachi, les deux plus grandes villes du pays, et Islamabad.

Plus de 200 de ses partisans sont arrêtés au cours de plusieurs jours d'affrontements avec les forces de l'ordre, selon des sources policières. Six policiers sont tués et plus de 600 personnes blessées. Le gouvernement d'Imran Khan annonce mercredi 14 avril l'interdiction du TLP, le qualifiant de groupe terroriste, et bloque vendredi 16 avril les réseaux sociaux et applications de messagerie instantanée pendant quelques heures pour "maintenir l'ordre public et la sécurité" en évitant de nouveaux rassemblements.

A l'ambassade de France à Islamabad, la sécurité est renforcée. Des conteneurs maritimes sont ajoutés le long du mur extérieur de l'enceinte pour en protéger l'accès et des Rangers, une force paramilitaire pakistanaise, sont déployés à proximité. La protection est aussi renforcée autour du consulat à Karachi.

Dernier épisode en date, dimanche 18 avril, au moins sept policiers pakistanais sont pris en otage à Lahore par des manifestants anti-France appartenant au TLP, selon un porte-parole de la police.

Un gouvernement pakistanais à la position ambiguë

Face à cette colère, la position des autorités pakistanaises reste floue. Samedi 17 avril, le Premier ministre pakistanais se fend d'une série de tweets appelant les pays occidentaux à punir ceux qui insultent le prophète Mahomet comme ceux qui nient la Shoah. Il explique aussi que le gouvernement n'a pas décidé d'interdire le TLP parce qu'il n'était pas en accord avec ses motivations, mais avec ses méthodes.

"Laissez-moi être clair avec les gens ici et à l'étranger : notre gouvernement a pris des mesures contre le TLP en accord avec notre loi antiterroriste, car [ses membres] ont défié l'autorité de l'Etat, en utilisant la violence de rue et en attaquant les forces de l'ordre", écrit-il.

Le Pakistan a interdit une dizaine de partis radicaux depuis vingt ans, mais cherche toutefois à éviter la confrontation avec ces groupes, de peur d'attiser les divisions, dans un pays conservateur.

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