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Pédocriminalité dans l'Eglise : ce qu'il faut retenir du rapport de la commission Sauvé, qui livre un état des lieux accablant pour l'institution

La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise (Ciase), dirigée par Jean-Marc Sauvé, a travaillé des mois pour mesurer l'ampleur des violences et agressions sexuelles commises par des religieux, des prêtres et des laïcs. 

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
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La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise (Ciase) a remis son rapport, mardi 5 octobre 2021. (THOMAS COEX / AFP)

C'est un choc sans précédent dans l'Eglise catholique. La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise (Ciase), présidée par l'ancien vice-président du Conseil d'Etat, Jean-Marc Sauvé, a présenté publiquement son rapport de 485 pages et 2 000 d'annexes, mardi 5 octobre à Paris. Elle révèle notamment l'ampleur du nombre de victimes de violences sexuelles depuis 1950, évaluée à 330 000. Son "estimation minimale" fait aussi état de 2 900 à 3 200 prédateurs sexuels masculins depuis 1970, parmi les prêtres et les religieux. Voici ce qu'il faut retenir des travaux de cette commission.

330 000 mineurs ont été victimes de violences sexuelles depuis 1950

Le rapport évalue à 216 000 (avec une marge de plus ou moins 50 000) le nombre de personnes de plus de 18 ans ayant fait l'objet de violences ou d'agressions sexuelles pendant leur minorité de la part de clercs ou de religieux catholiques en France de 1950 à 2020. Le nombre de victimes grimpe à "330 000 si l'on ajoute les agresseurs laïcs travaillant dans des institutions de l'Eglise catholique" (aumôneries, écoles catholiques, mouvements de jeunesse), ajoute Jean-Marc Sauvé. "Ces nombres sont accablants et ne peuvent en aucun cas rester sans suite", commente-t-il.

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"Ces violences sur mineurs représentent 4% des violences sexuelles en France, si on prend uniquement celle des clercs et des religieux, et 6% si on prend en compte les laïcs." Ces estimations reposent sur une étude en population générale menée auprès de 30 000 personnes, dirigée par l'Inserm et l’Ecole pratique des hautes études (EPHE).

"L'Eglise catholique est, après les cercles familiaux ou amicaux, le milieu ou la prévalence des agressions (0,82%) est significativement la plus élevée."

Jean-Marc sauvé, président de la Ciase

Lors de la présentation de son rapport

Les abus commis par des clercs et des religieux concernent "massivement des enfants de sexe masculin, des garçons, qui représentent près de 80% des victimes, avec une concentration entre 10 et 13 ans", précise Jean-Marc Sauvé. "Il est probable que, dans le cas des prêtres, étant davantage au contact de garçons, un effet d'opportunité ait joué. Mais il ne saurait expliquer à lui seul des disparités aussi fortes [entre les filles et les garçons] et une particularité aussi nette de l'Eglise catholique."

Au moins 3 000 pédocriminels ont sévi dans l'Eglise

Le nombre de prédateurs depuis 1950 est évalué entre "2 900 à 3 200" hommes, prêtres ou religieux, affirme le rapport. Mais il s'agit d'une "estimation minimale", réalisée à partir d'un appel à témoignages ouvert durant dix-sept mois – qui a permis de recueillir 6 500 appels et contacts de victimes ou proches – et un travail de recherche dans les archives des diocèses et institutions religieuses.

Ces chiffres "peuvent et doivent se comparer aux chiffres étrangers", notamment d'Alemagne, d'Etats-Unis, d'Australie et d'Irlande. "Si une incertitude existe, elle existe plus au niveau du nombre évalué des auteurs de violences qu'au niveau du nombre des victimes", a commenté Jean-Marc Sauvé, compte tenu des difficultés pour collecter les témoignages oraux et écrits.

Le nombre des violences a connu un pic dans les décennies 1950 et 1960

Plus de la moitié (56%) de ces violences identifiées ont été commises dans les années 1950 à 1969. Leur nombre a diminué dans les années 1970 à 1990, avant de se maintenir à leur niveau, analyse le rapport de la Ciase. "Cette baisse doit être aussi mise en relation avec la baisse des effectifs des prêtres et des religieux", complète Jean-Marc Sauvé, "et aussi la baisse de la fréquentation des institutions de l'Eglise catholique dont l'empreinte sociale s'est réduite au fil des décennies".

Le taux de prévalence donne une évolution similaire. "Nous sommes sur un plateau. Il faut se départir de l'idée que les violences sexuelles dans l'Eglise catholique ont été complètement éradiquées, que le problème est derrière nous. Le problème subsiste."

La Ciase plaide en faveur d'une indemnisation des victimes

Le rapport émet 45 recommandations, dont la reconnaissance de la responsabilité de l'Eglise "dans ce qui s'est passé, à tout le moins pour les personnes vivant dans notre pays et ayant subi des agressions sexuelles." Mais Jean-Marc Sauvé évoque surtout l'indemnisation des victimes. "Il faut réparer, dans toute la mesure du possible, le mal qui a été fait. Cela implique a minima la reconnaissance de la qualité de victime des personnes, par une institution indépendante mise en place par l'Eglise." La commission juge cette option préférable à un allongement des délais de prescription, "qui ne peut engendrer que des douleurs pour les victimes". Nombre d'entre elles sont tombées sous la prescription, fixée à trente années après la majorité de la victime, soit jusqu'à ses 48 ans.

"La question de l'indemnisation n'est pas un don, c'est un dû. Nous considérons que les victimes ont une créance, et que l'Eglise a contracté une dette à leur égard."

Jean-Marc Sauvé, président de la Ciase

La commission estime que la procédure pénale canonique doit être ouverte aux victimes, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Par ailleurs, le secret de la confession "ne peut être opposé à l'obligation de dénoncer des atteintes graves sur mineurs ou personnes vulnérables", recommande Jean-Marc Sauvé. Il prône également des entretiens annuels dans l'Eglise catholique, "avec des traces écrites", et une meilleure formation des religieux.

La Ciase préconise une réforme du droit de l'Eglise

"Il faut d'abord réformer le droit de l'Eglise, qui n'a pas contribué au traitement approprié des violences et agressions sexuelles", poursuit Jean-Marc Sauvé. La commission dit avoir "pris acte" de la réforme du droit canonique qui doit entrer en vigueur le 8 décembre prochain. Les agressions sexuelles passeront notamment de "la catégorie des offenses à la chasteté à la catégorie des atteintes à la vie et à la dignité des personnes. C’est un premier pas".

La commission a effectué des signalements au parquet

"Nous n’avons pas cessé d’interagir avec les structures publiques qui interviennent dans le domaine de la maltraitance", plaide Jean-Marc Sauvé. "Bien entendu,à chaque fois qu’ont été portés à notre connaissance des agissements susceptibles de tomber sous le coup de l'article 434.1 ou 434.3 du Code pénal, nous avons fait des signalements au parquet." Le président de la Ciase évoquait ainsi le nombre de 22 saisines pour des faits non prescrits, dimanche, dans un entretien au JDD (article abonnés). Il expliquait également avoir saisi "des évêques ou des supérieurs majeurs de congrégation" dans plus de 40 dossiers, "pour les informer d'infractions prescrites dont l'auteur est toujours vivant".

L'épiscopat exprime "sa honte et son effroi"

"Il ne peut y avoir d'avenir commun sans un travail de vérité, de pardon et de réconciliation", a conclu Jean-Marc Sauvé, avant de remettre le rapport aux mains d'Eric de Moulins-Beaufort, président de la conférence des évêques de France. Celui-ci a exprimé "sa honte", "son effroi" et a demandé "pardon" aux victimes de pédocriminalité. "Il a invité les catholiques à lire ce rapport, à le lire avec nous."

"La voix des victimes nous bouleverse, leur nombre nous accable. Il dépasse ce que nous pouvions supposer."

Eric de Moulins-Beaufort, président de la conférence des évêques de France

à la presse

"Mon désir en ce jour est de vous demander pardon, pardon à chacune et chacun", a déclaré Eric de Moulins-Beaufort. Il assure que les évêques vont "consacrer du temps" à sa lecture. "Que dire, sinon éprouver (...) une honte charnelle, une honte absolue", a commenté Véronique Margron, la présidente de la Corref (instituts et ordres religieux). Face à cette enfance qui a été "violentée", face à une "telle tragédie" et face à ces "crimes massifs commis dans (son) église", elle a exprimé son "chagrin".

Il n'y aura pas de comité de suivi après les travaux de la Ciase

"Nous passons le témoin aujourd'hui à l'Eglise et à la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Civiise)", a déclaré Jean-Marc Sauvé, annonçant la fin des travaux de sa commission. Les premières réponses de la Conférence des évêques de France et de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) seront annoncées en novembre, date à laquelle les deux institutions se réuniront en assemblées plénières. L'épiscopat a pris des mesures au printemps, promettant non pas des réparations mais un dispositif de "contributions" financières, versées aux victimes à partir de 2022, qui ne fait pas l'unanimité chez ces dernières ni chez les fidèles, lesquels sont appelés à contribuer aux dons.

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