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Affaire Mila : on vous raconte l'histoire de cette lycéenne déscolarisée après avoir reçu des menaces de mort pour ses propos sur l'islam

L'adolescente de 16 ans est menacée de mort et harcelée en ligne après avoir critiqué l'islam sur Instagram. Franceinfo revient sur cette affaire qui a complètement bouleversé son quotidien. 

Article rédigé par franceinfo
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L'entrée du lycée de Villefontaine (Isère) où Mila était scolarisée, photographiée le 31 janvier 2020. (JEAN-PIERRE CLATOT / AFP)

Seize ans, inconnue il y a trois semaines et déjà sous protection policière. Tel est le sort peu enviable de Mila, dont le visage a été révélé au grand public lors de son passage à l'émission "Quotidien", sur TMC, lundi 3 février. Comment et pourquoi cette adolescente s'est-elle retrouvée menacée et déscolarisée ? Retour sur une histoire qui a débuté le 18 janvier.

Ce jour-là, la lycéenne de l'Isère discute "en live" sur le réseau Instagram avec ses abonnés. Elle raconte la scène dans une vidéo qu'elle poste le samedi 18 janvier sur les réseaux sociaux, et qui va devenir virale. 

 "Votre religion, c'est de la merde"

"Avec une meuf de mon live, je discutais, expose Mila, face à la caméra de son téléphone. Elle me parlait de son goût pour certaines filles, elle trouvait que les rebeus, ils étaient pas super bien. Moi j'ai approuvé, j'ai dit : 'moi non plus c'est pas mon style'. Et il y a un mec qui a commencé à s'exciter, à nous traiter de sales lesbiennes, de racistes, de (...) toutes les pires insultes que vous pouvez imaginer (...). Ensuite le sujet a commencé à déraper sur la religion. Donc moi j'ai clairement dit ce que j'en pensais. Parce que la liberté d'expression, tu connais ?"

Elle poursuit : "Je déteste la religion. Le Coran est une religion de haine, l'islam, c'est de la merde (...) je dis ce que je pense ! Je ne suis pas raciste, mais pas du tout. On ne peut pas être raciste d'une religion. Il y a des gens qui peuvent penser ça, mais vous êtes cons ! J'ai dit ce que j'en pensais, j'ai totalement le droit (...). Là il y a des gens qui vont encore s'exciter, j'en ai clairement rien à foutre (...). Votre religion, c'est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir. Vous m'insultez et vous me menacez de mort, vous n'êtes bons qu'à ça."

Une enquête pour "menaces de mort" ouverte

La vidéo se propage rapidement sur plusieurs réseaux sociaux, dont Twitter. Et les réactions ne tardent pas. "Aussitôt, c'est un déchaînement de violence sur les réseaux sociaux, où la scène a été vue plus d'un million de fois", détaille France Bleu Isère. 

Certains internautes, qui l'ont reconnue, dévoilent son identité, son adresse, l'adresse de son lycée, situé dans le Nord Isère. "D'autres affirment qu'ils vont l'attendre à la sortie de son lycée pour lui faire la peau. Elle est menacée de viol.

France Bleu Isère

La jeune fille, qui a été rapidement retirée de son lycée de Villefontaine et mise à l'abri, porte plainte. Mercredi 22 janvier, le procureur de la République de Vienne, Jérôme Bourrier, ouvre une "enquête pour 'menaces de mort', confiée à la Section de recherches de la gendarmerie, compétente en matière de cybercriminalité", précise France Bleu Isère. Il s'agit d'"identifier et de poursuivre les auteurs des menaces graves et réitérées proférées à l'encontre d'une jeune fille mineure". 

Parallèlement, le procureur ouvre une enquête pour "incitation à la haine raciale" à l'encontre de la jeune fille, qui sera classée sans suite le 30 janvier. Le parquet estimera que l'adolescente iséroise a seulement exprimé "une opinion personnelle à l'égard d'une religion" et que les investigations "n'ont révélé aucun élément de nature à caractériser une infraction pénale".

Bataille de "hashtags" sur les réseaux sociaux

Sur les réseaux sociaux, la bataille fait rage entre les partisans du "hashtag" (mot-dièse) #jesuismila, créé pour défendre l'adolescente et ses combats, et ceux qui, à l'inverse, proclament : #jenesuispasmila. Les premiers brandissent le droit à la liberté d'expression. Parmi eux, l'extrême droite, qui s'est emparée de ce cheval de bataille, attaque "les islamistes". Les seconds se réclament de la lutte contre l'islamophobie, quitte à faire passer en pertes et profits la liberté d'expression.

Vendredi 24 janvier,  le délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri, lui, franchit un cap en déclarant à Sud Radio : "Cette fille sait très bien ce qu'elle fait. Qui sème le vent récolte la tempête. (...) L'âge n'est pas une excuse, ça ne lui permet pas d'insulter. (...) Elle l'a cherché, elle assume. Les propos qu'elle a tenus, les insultes qu'elle a tenues, je ne peux pas les accepter".  Le même jour, le président du CFCM, Mohammed Moussaoui, le désavoue en tweetant "Rien ne saurait justifier les menaces de mort à l'égard d'une personne, quelle que soit la gravité des propos tenus. C'est la justice qui doit prononcer les sanctions prévues par la loi s'il y a provocation et incitation à la haine".

Le débat enflamme la classe politique

Mardi 28 janvier, sur France Inter, la secrétaire d'Etat à l'Egalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, revient sur les propos d'Abdallah Zekri, qu'elle qualifie de "criminels" et "coupables". 

Le 29 janvier, c'est au tour de la ministre de la justice, Nicole Belloubet, d'être interrogée sur cette affaire. "Quel est le délit le plus grave entre insulter une religion ou menacer de mort quelqu'un ?" lui demande la journaliste Sonia Mabrouk sur Europe 1. "Dans une démocratie, la menace de mort est inacceptable (...). L'insulte à la religion, c'est évidemment une atteinte à la liberté de conscience, c'est grave, mais ça n'a pas à voir avec la menace [de mort]", répond la garde des Sceaux.

A droite comme à gauche, l'opposition s'indigne. "Qu'est-ce qui a pu se passer dans notre pays pour qu'une ministre de la République puisse dire que 'l'insulte à l'encontre d'une religion est une atteinte grave à la liberté de conscience ? On s'apprête à rétablir un très peu laïque 'droit au blasphème' ?", s'exclame le député européen PS Emmanuel Maurel. 

Pointant du doigt la garde des Sceaux, la présidente du Rassemblement national Marine Le Pen s'interroge : "Peut-on compter sur le gouvernement d'Emmanuel Macron pour défendre nos valeurs et nos libertés ? Clairement, la réponse est 'non' ! Et c'est cela qui est grave".

Nicole Belloubet reconnaît dès le lendemain une expression "maladroite" et assure ne pas remettre en cause "le droit de critiquer la religion". Face à ces critiques, la ministre fait finalement son mea culpa : "Je n'avais pas à dire ça", conclut la garde des Sceaux sur Radio Classique. 

Tout en défendant la "liberté de critiquer les religions", l'ancienne ministre de l'Environnement Ségolène Royal remet une pièce dans la machine avec une déclaration ambiguë, le dimanche 2 février sur le plateau de "Dimanche en politique", sur France 3. "Je refuse d'ériger une adolescente qui manque de respect comme le parangon de la liberté d'expression", dit-elle.

Elle s'attire un flot de critiques, à droite comme à gauche. Contrairement à l'ex-candidate PS à la présidentielle, le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure assure : "Je suis Mila". Dans un communiqué publié sur Facebook lundi 3 février, Ségolène Royal a tenu à préciser ses propos.

"Je n'ai pas voulu viser des êtres humains, j'ai voulu blasphémer"

Lundi 3 février, l'adolescente s'exprime enfin. Dans l'interview qu'elle a accordée à "Quotidien", sur TMC, la lycéenne revendique son droit au blasphème. "Je ne regrette absolument pas mes propos, c'était vraiment ma pensée", déclare-t-elle sur le plateau de l'émission de Yann Barthès.

"Je m'excuse un petit peu pour les personnes que j'ai pu blesser, qui pratiquent leur religion en paix", nuance-t-elle néanmoins. "Je n'ai jamais voulu viser des êtres humains, j'ai voulu blasphémer, j'ai voulu parler d'une religion, dire ce que j'en pensais". Elle confie regretter d'avoir tenu de tels propos "sur les réseaux sociaux", ne mesurant pas "l'ampleur que ça a pu prendre", ainsi que "la vulgarité" des termes employés.

L'occasion également de décrire son quotidien, désormais totalement bouleversé. Déscolarisée, la lycéenne explique qu'aujourd'hui sa vie est "clairement en pause". "L'Education nationale fait le maximum pour m'aider, me trouver un endroit où je serais en sécurité mais ce n'est pas évident". Elle ajoute que la police prend "très au sérieux" les menaces de mort à son encontre.  

Sous protection policière

L'aide de l'Education nationale pour lui trouver un nouvel établissement scolaire est confirmée, mardi 4 février, par le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Education nationale et de la jeunesse, sur France Inter. Mais Gabriel Attal reconnaît que la situation "est très compliquée parce que sa vidéo a été beaucoup relayée, que son visage est connu et qu'il faut évidemment garantir sa sécurité dans l'établissement et aux abords de l'établissement s'il y a connaissance de l'endroit où elle est scolarisée."

Face aux menaces qui perdurent, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner précise, mardi 4 février, lors des questions d'actualité au gouvernement, que "Mila et sa famille font l'objet d'une vigilance particulière, pour les protéger, de la part de la police nationale". L'entourage du ministre explique qu'il ne s'agit pas "d'une protection rapprochée, mais d'une vigilance particulière de la part des forces de l'ordre".

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