Islam : pourquoi Gérald Darmanin veut un "statut de l'imam en France" dès la rentrée

Le ministre de l'Intérieur espère voir aboutir ce projet en septembre, sous la houlette du Forum de l'islam de France, une instance de dialogue visant à mieux structurer le culte musulman dans le pays.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Des fidèles participent à une prière conduite par un imam, le 28 avril 2022, dans une mosquée de Toulouse (Haute-Garonne). (FREDERIC SCHEIBER / HANS LUCAS / AFP)

"Il y aura désormais un statut de l'imam en France." Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a appelé, lundi 26 février, à la création d'un cadre officiel associé au titre d'imam, traditionnellement attribué aux guides religieux dirigeant les prières musulmanes. Il a donné "six mois" aux membres du Forum de l'islam de France (Forif) pour y travailler, afin que ce statut "puisse voir le jour dès la rentrée prochaine"

Cette annonce, qui s'inscrit dans une volonté de structuration du culte musulman dans le pays, intervient dans un contexte d'intransigeance affichée face aux risques de dérives ou d'islamisme. Un imam visé par une enquête pour apologie du terrorisme et des prêches radicaux a ainsi été expulsé jeudi 23 février vers la Tunisie. Franceinfo vous explique pourquoi l'exécutif a choisi de lancer ce chantier du statut des imams en France.

Parce qu'il veut tourner la page des imams détachés

Depuis le 1er janvier, la France interdit la venue de nouveaux imams détachés, qui représentaient environ 10% des ministres du culte musulman. Quelque 300 prédicateurs étrangers, rémunérés par leur pays d'origine, étaient jusqu'ici envoyés pour quatre ans par la Turquie, l'Algérie et le Maroc dans le cadre d'accords bilatéraux avec Paris, qui entendait ainsi prévenir les dérives en accueillant des imams sélectionnés. L'arrêt de cette pratique vise à "lutter contre l'idée que l'islam est une religion d'étrangers, pour des étrangers, financée par des étrangers", a justifié Gérald Darmanin lundi soir devant le Forif, une instance de dialogue créée il y a tout juste deux ans. "C'est une religion française comme les autres", a-t-il martelé.

Les imams détachés restés sur le sol français ont jusqu'au 1er avril pour changer de statut administratif et espérer s'y maintenir. Il leur faut être "directement employés comme salariés par un lieu de culte français, et non par une fédération, à condition qu'ils parlent français et qu'ils s'insèrent dans la société française", a détaillé le ministre de l'Intérieur.

Certains s'y sont conformés depuis des mois, voire des années, dans le cadre d'une transition initiée en 2020 quand Emmanuel Macron avait annoncé vouloir "progressivement mettre fin au système des imams détachés". "L'Algérie et le Maroc se sont déjà résolument engagés vers ce chemin", a salué Gérald Darmanin. De nombreux imams turcs, eux, ont préféré rentrer au pays, selon le Comité de coordination des musulmans turcs de France.

Parce qu'il espère une meilleure formation des imams

La création d'un statut de l'imam doit permettre de "renforcer l'offre de formation" dans le pays, marquée par un manque d'"accès à des structures adéquates", estime Gérald Darmanin. Pour l'heure, les aspirants imams partent parfois se former à l'étranger, comme le rapporte La Croix. En France, quelques centres dispensent des formations théologiques, mais sans délivrer de diplôme unique. De plus, contrairement aux prêtres catholiques qui passent par le séminaire ou aux rabbins juifs formés à l'école rabbinique, les imams ne suivent pas tous un cursus religieux.

L'harmonisation des pratiques s'annonce comme un défi, compte tenu des divergences entre les diverses fédérations musulmanes. En 2020, Emmanuel Macron avait donné six mois au Conseil français du culte musulman (CFCM) pour "labelliser des formations d'imams", "certifier les imams" et "écrire une charte dont le non-respect entraînera la révocation". Une "charte des principes" de l'islam de France a bien vu le jour en 2021, suivie de la création d'un Conseil national des imams, mais ce dernier est loin de faire consensus et de jouer le rôle espéré.

Outre le volet théologique, un "effort" demeure également nécessaire en matière de "formation non religieuse", qui peut relever de l'Etat sur le plan linguistique et universitaire, selon Gérald Darmanin. "En 2023, deux nouvelles formations pour les cadres religieux musulmans se sont ajoutées aux 34 diplômes universitaires 'laïcité, fait religieux et citoyenneté'", a relevé le ministre, y voyant des leviers pour sensibiliser les imams "au dialogue entre l'Etat et les cultes".

Parce qu'il veut avancer sur le financement du culte musulman

Le futur statut vise enfin à mieux reconnaître les imams sur le plan économique. "Il reste un effort à fournir pour que les croyants de France aient des cadres religieux (...) dignement rémunérés, pleinement insérés dans la société française, avec une protection sociale digne de ce nom", a déclaré Gérald Darmanin. A l'heure actuelle, de nombreux imams exercent à titre bénévole, notamment pour le prêche du vendredi, avec un métier à côté le reste de la semaine. D'autres vivotent, sans garantie de retraite ou de vacances, avec un statut social précaire suscitant peu de vocations. 

Reste la question du financement, aussi bien pour former que pour salarier les imams. "Beaucoup d'associations n'ont pas les moyens de se payer un imam à plein temps", relève Franck Frégosi, directeur de recherche au CNRS. En mettant fin au système des imams détachés, l'exécutif a voulu réduire l'influence des pays d'origine. Mais une possible "parade" risque d'être observée si certains Etats "versent une dotation à telle structure associative, qui salariera les imams", selon le chercheur.

"La question du financement pour les mosquées n'est pas tellement un problème de ressources : les musulmans de France sont nombreux et désireux de soutenir leur culte", estime Gérald Darmanin. L'obstacle relèverait plutôt de difficultés d'accès aux comptes bancaires, qui sont, selon lui, en passe d'être levées grâce à "un partenariat avec la Fédération bancaire française". Le sujet financier est toutefois jugé suffisamment important pour faire l'objet d'un nouveau groupe de travail annoncé lundi au sein du Forif.

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