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On vous explique la polémique sur le fonds Marianne, créé après l'assassinat de Samuel Paty et dont l'utilisation pose question

Les oppositions ont saisi la justice après que des enquêtes journalistiques ont révélé une utilisation suspecte des subventions allouées à la lutte contre le séparatisme. Le cabinet de Marlène Schiappa, à l'origine de ce fonds, dément tout détournement.
Article rédigé par franceinfo
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Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat chargée de l'Économie sociale et solidaire et de la Vie associative, à l'Assemblée nationale, à Paris, le 22 novembre 2022. (THOMAS SAMSON / AFP)

Le fonds créé après l'assassinat de Samuel Paty a-t-il été détourné de son objet ? Plusieurs enquêtes de journalistes ont révélé des éléments troublants concernant l'utilisation faite des plus de deux millions d'euros de subventions initialement allouées à la lutte contre le séparatisme. France 2 et l'hebdomadaire Marianne, puis Mediapart, décrivent la gestion opaque de ce fonds lancé par Marlène Schiappa, alors ministre déléguée à la Citoyenneté et à présent secrétaire d'Etat chargée de l'Economie sociale et solidaire et de la Vie associative. Une partie des sommes aurait en outre servi à financer des vidéos dénigrant des opposants à Emmanuel Macron, parmi lesquels Anne Hidalgo.

L'affaire pourrait prendre un tour judiciaire : la maire de Paris Anne Hidalgo et la cheffe des députés LFI Mathilde Panot ont annoncé saisir la procureure de la République de Paris, vendredi 14 avril. Par ailleurs, Virginie Le Roy, l'avocate de la famille de Samuel Paty, a réclamé sur franceinfo l'ouverture d'enquêtes judiciaire et parlementaire. On vous explique la polémique.

C'est quoi, le fonds Marianne ?

Il a vu le jour peu après l'assassinat de Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie décapité le 16 octobre 2020 par un jeune homme radicalisé. Quelques mois plus tard, Marlène Schiappa lance le "fonds Marianne", visant à "financer des personnes et associations qui vont porter des discours pour promouvoir les valeurs de la République et pour lutter contre les discours séparatistes, notamment sur les réseaux sociaux et plateformes en ligne".

"Je lance un fonds qui s'appellera le fonds Marianne. Avec 2,5 millions d'euros, on peut faire beaucoup de choses pour défendre les valeurs de la République."

Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté

le 20 avril 2021, sur BFMTV

L'idée est également de répondre aux "contenus terroristes", et de ne pas seulement les supprimer, mais également de lutter "contre les fake news qui font le lit de l'islamisme radical" (à partir de 19 minutes 15 dans la vidéo ci-dessous).

Quels soupçons pèsent sur ce fonds ?

"L'Œil du 20 heures" de France 2 et Marianne ont enquêté pendant neuf mois sur la façon dont l'enveloppe a été utilisée. Quatre associations ont touché près de 1,3 million d'euros, soit plus de la moitié du fonds. Parmi elles, l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation au service militaire (USEPPM) a attiré l'attention. L'association, née à la fin du XIXe siècle, présente un objet social en apparence très éloigné de l'appel d'offres. Elle est pourtant dotée de la plus importante subvention : 355 000 euros. Dans la convention d'attribution de subvention établie entre l'USEPPM et le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), l'association s'engage "à déployer un contenu multimédia, un message positif de réenchantement des valeurs de la République et un autre en déconstruction des attaques violentes subies par la République".

D'après l'enquête, l'USEPPM aurait utilisé ces fonds pour un site internet et des publications sur les réseaux sociaux très peu suivies, et pour salarier deux de ses administrateurs. Or, ce dernier point entrerait en contradiction avec les statuts de l'association, explique à l'AFP Cyril Fergon, avocat d es autres membres du bureau, qui affirment n'avoir jamais été informés de cet argent public attribué ni de ses modalités d'utilisation. L'un de ces deux ex-dirigeants, Mohamed Sifaoui, directeur de la communication d'un club de foot, le SCO d'Angers, mais aussi journaliste réfugié politique en France après avoir échappé à quatre attentats en Algérie dans les années 1990, a annoncé sur Twitter "des procédures judiciaires à l'encontre de tous ceux" qui le diffament.

Selon des révélations de Mediapart (article payant) publiées le 12 avril, "une autre structure a touché plus de 300 000 euros alors qu'elle venait d'être créée et n'avait aucune activité connue". Il s'agit de l'association Reconstruire le commun. Ses statuts ont été enregistrés le 29 octobre 2020, soit treize jours après l'assassinat de Samuel Paty. Ils ont été déposés en préfecture le 14 février 2021, c'est-à-dire deux mois avant le lancement de l'appel à candidatures pour le fonds Marianne, le 20 avril 2021.

Le site d'information affirme que Reconstruire le commun a "diffusé des contenus politiques à l'encontre d'opposants d'Emmanuel Macron pendant les campagnes présidentielle et législatives". L'association a publié 57 vidéos sur YouTube, de janvier 2022 à août 2022. Elle y attaque frontalement des adversaires politiques du président de la République. Or, il est interdit d'utiliser des moyens publics afin d'influencer le résultat d'une élection. "Nous nous sommes rendu compte que certains contenus avaient des références à caractère politique", a affirmé Christian Gravel, président du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, auprès de Mediapart. "Mes équipes leur ont immédiatement signalé lors de réunions de suivi."

Reconstruire le commun a temporairement cessé ses activités. "Le projet est actuellement en pause pour des raisons professionnelles et personnelles, affirme sa présidente, Ahlam Menouni, à Mediapart. Une pause n'est pas un arrêt, au contraire, nous sommes très fiers de ce que nous avons entamé."

Que disent les proches de Samuel Paty ?

Une partie de la famille du professeur s'est dite, début avril, "particulièrement heurtée" après la publication des premières enquêtes, estimant que le nom de Samuel Paty ne pouvait "être l'instrument de tels agissements". Selon le communiqué, Virginie Le Roy, avocate d'une partie de la famille, a écrit à Marlène Schiappa et à Sonia Backès, la secrétaire d'Etat chargée de la Citoyenneté, "pour leur faire part de ses diverses interrogations".

Après les nouvelles révélations de Mediapart, l'avocate a finalement réclamé l'ouverture d'enquêtes judiciaire et parlementaire, vendredi, sur franceinfo. "Utiliser l'argent destiné à lutter contre ce fléau, c'est bafouer la mémoire de Samuel Paty" , dénonce Virginie Le Roy.  "C'est une insulte à sa mémoire mais aussi à celle des victimes de terrorisme et leurs familles" , poursuit-elle. Elle estime que les révélations de presse décrivent "des faits qui peuvent être qualifiés de 'détournement de fonds publics'".

Quelles sont les réactions politiques ?

Les députés RN ont demandé, jeudi, la création d'une commission d'enquête parlementaire. Pour qu'elle soit lancée, un vote de l'Assemblée est nécessaire.

"Ces accusations sont gravissimes et interrogent sur le rôle de Marlène Schiappa dans cette affaire alors que celle-ci affirmait en juin 2022 avoir validé personnellement, avec son cabinet, le choix des bénéficiaires et la ventilation des subventions."

Les députés du Rassemblement national

dans un communiqué

Le groupe PS du Sénat a également souhaité la création d'une commission d'enquête sur le sujet, rapporte Public Sénat. Si les faits étaient avérés, "c'est extrêmement grave", a jugé le sénateur socialiste Rachid Temal, qui soupçonne un "scandale d'Etat".

Plusieurs voix à gauche se sont élevées pour demander de faire la lumière sur cette affaire, dont la maire de Paris, Anne Hidalgo (PS). "Les faits relatés, s'ils sont avérés, sont d'une extrême gravité" car "susceptibles de caractériser l'infraction pénale de détournement de fonds publics mais également d'autres délits", écrit la maire de Paris dans une lettre envoyée jeudi à la Première ministre et dans laquelle elle annonce saisir la procureure de la République de Paris "afin que des investigations judiciaires soient diligentées".

"Quelle honte", a jugé la cheffe de file des députés LFI, Mathilde Panot, sur Twitter. E lle a aussi saisi le parquet. Selon elle, il s'agit "d'atteintes sérieuses à la probité" et au "contexte électoral".

Comment se défend le gouvernement ?

Après les premières révélations, le cabinet de Marlène Schiappa avait démenti dans un communiqué que la ministre ait eu son mot à dire sur les bénéficiaires. "Affirmer à tort qu'il s'agissait d'une décision ad hominem de Marlène Schiappa est totalement faux et démenti par la procédure, tout comme il est totalement faux de prétendre qu'il s'agirait d'amis de la ministre", écrivait-il. Et de poursuivre : "Suite à des contrôles – prévus dès le lancement du fonds – sur l'utilisation des fonds, seize des dix-sept associations lauréates justifient de leur bonne utilisation."

Le secrétariat d'Etat à la Citoyenneté a tout de même annoncé le 29 mars avoir saisi l'Inspection générale de l'administration (IGA) d'un audit sur la question. "Parler de détournement d'objet ou de financement de campagne est faux et mensonger", a réagi auprès de l'AFP le cabinet de Marlène Schiappa après les nouvelles révélations de Mediapart, ajoutant que l'enquête de l'IGA "permettra de faire toute la lumière et de déterminer en toute transparence les conditions de fonctionnement et d'attribution de ces subventions".

Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a assuré, mercredi, à l'issue du Conseil des ministres, que l'exécutif souhaitait "déterminer en toute transparence les conditions de fonctionnement, d'attribution, aux associations". Il a insisté sur un "élargissement du périmètre de la saisine de l'IGA" pour y parvenir.

Quelle est la réponse de la justice ?

Sollicité par l'AFP, le parquet de Paris a fait savoir mercredi être en possession de l'intégralité du signalement fait par Christian Gravel, président du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Ce signalement au titre de l'article 40 du Code de procédure pénale est à l'analyse, avant une décision sur une éventuelle ouverture d'enquête.

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