: Reportage "C'est pas Rihanna qui va venir à La-Roche-sur-Foron" : le projet de construction d'une Arena sème la pagaille dans une commune de Haute-Savoie
On trouve à La-Roche-sur-Foron (Haute-Savoie) une gare qui dessert la région et ses merveilles – le lac d'Annecy, la chaîne des Aravis et les contreforts du Mont-Blanc plus loin –, un petit centre-ville avec ses commerces, cafés, restaurants, son cinéma, une vieille ville médiévale et, comme ailleurs, son manque de médecins. Située à 30 kilomètres d'Annecy et à un peu moins de distance de Genève, en Suisse, la commune savoyarde est une petite ville de 11 000 habitants comme les autres. A une exception près : un énorme complexe culturel et sportif de 18 000 mètres carrés, financé par le département, doit y être construit à l'horizon 2027 sur le parking du Parc des expositions, dans une zone industrielle en périphérie.
Le département de Haute-Savoie, où le Tour de France 2023 passera cinq jours, entre samedi 15 et mercredi 19 juillet – il traversera La-Roche-sur-Foron dimanche –, organisera dans quatre ans les Championnats du monde de cyclisme (route, VTT, BMX, piste) et veut profiter de l'occasion pour faire sortir de terre ce complexe qui comprendra un vélodrome – avec son anneau en bois de 250 mètres pour la compétition sur piste – une salle de spectacle de 10 000 places, des bureaux, un mur d'escalade, des couloirs de course à pied ou encore une salle de esport.
"Un complexe qu'on devrait avoir depuis vingt ans"
Formidable pour certains, insensé pour d'autres, le projet divise, interroge et crispe les Rochois. "C'est du 50-50", résume un commerçant du centre-ville, qui attend comme tout le monde le résultat de la commission d'appel d'offres, prévu le 28 juillet, pour que le département détaille concrètement son projet et réponde aux multiples interrogations sur le budget, l'impact environnemental et l'accessibilité d'un tel équipement.
"Toutes les questions sont légitimes, mais je n'ai pas le droit de m'exprimer pour l'instant", répond à franceinfo Martial Saddier. Le président Les Républicains (LR) du département, à l'origine du projet, promet d'éclaircir toutes les zones d'ombre d'ici à la rentrée. "On profite de ces Mondiaux pour créer un grand complexe qu'on devrait avoir depuis vingt ans dans le département", se défend l'élu, qui veut créer un héritage et "faire naître en Haute-Savoie une vraie filière vélo".
Les critiques sur le budget, déjà passé de 64 à 74 millions d'euros ? "On sera peut-être un peu plus cher que prévu, mais jamais à 150 millions d'euros comme l'affirment certains", assure Martial Saddier. La crainte d'une artificialisation des sols pour construire des parkings ? "On travaille à une nouvelle offre de parkings, à développer les modes de transports doux, mais on ne touchera pas à des terrains agricoles", garantit-il. Le projet jugé démesuré pour une ville de 11 000 habitants ? "Les gens parlent sans savoir. Il y en a qui sont contre tout. Qu'ils assument d'être écolos, égoïstes et considèrent qu'il ne faut plus rien faire en Haute-Savoie", balaie-t-il encore.
Budget "mensonger" et projet "inutile"
Le collectif "Non au Vélodrome Arena", qui se revendique "apolitique", assume son opposition à un projet "inutile", dénonce un budget "mensonger" et parle d'un "non-sens écologique". "C'est du grand délire", peste Martine Le Mercier, la présidente de ce collectif composé de citoyens, d'un élu de l'opposition rochoise, d'associations environnementales et de mouvements de désobéissance civile, rencontrée dans les rues de La-Roche-sur-Foron.
Les opposants, qui proposent de déplacer les épreuves sur piste des Mondiaux 2027 au Vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines, où se dérouleront les épreuves des JO 2024, parlent "d'argent dilapidé" et craignent que la "Haute-Savoie Arena" ne soit jamais rentable. "Si on a la chance d'avoir de l'argent, investissons-le dans l'éducation, le logement, les pistes cyclables", martèle Martine Le Mercier. Le département oppose qu'il investit aussi ailleurs – comme l'explique Le Dauphiné libéré, une enveloppe de 56 millions d'euros a été annoncée fin juin pour les pistes cyclables de Haute-Savoie.
France Nature Environnement (FNE) s'inquiète, de son côté, de "l'impact environnemental" du projet. L'association presse l'Etat de réaliser une évaluation. "On parle d'un parking de 4 000 places, de développer les transports, mais ce n'est pas réaliste, ça va être l'engorgement total", dénonce la présidente de la FNE 74. "On est aux premières loges du changement climatique et, au lieu de financer la mobilité verte, on construit un équipement qui va servir deux semaines et après, on ne sait pas trop ce qui va se passer", argumente Anne Lassman-Trappier, pour qui les décideurs "n'ont pas passé le cap du XXIe siècle".
"Une infrastructure anachronique"
Une position partagée par la députée LR de Haute-Savoie, Virginie Duby-Muller, battue en 2021 par Martial Saddier pour la présidence du département. "Il y a dix ou quinze ans, ça serait passé mais là, ça n'a aucun sens. On nous parlait d'un vélodrome, maintenant d'une Arena, mais c'est une infrastructure anachronique et le département a d'autres priorités", estime la conseillère départementale, favorable malgré tout à l'accueil des Mondiaux de cyclisme. Selon elle, le futur complexe ne sera pas rentable.
"Ça va être compliqué d'être à l'équilibre, il y a déjà une salle de spectacle à Annecy, Chambéry, Genève, et puis ce n'est pas Rihanna qui va venir à La-Roche-sur-Foron."
Virginie Duby-Muller, députée LR de Haute-Savoieà franceinfo
Le maire de la ville, Pierrick Ducimetière (DVD), entend les critiques et admet les partager parfois. "Mais ce n'est pas l'Arena de La Roche, c'est l'Arena de la Haute-Savoie", répond l'édile de 29 ans, élu en 2022 après la démission du maire. Ses premiers contacts avec Martial Saddier remontent à l'été 2022, quelques semaines après son élection. "J'ai trouvé le projet intéressant pour le rayonnement de la ville, pour son aspect économique et pour l'emploi, se souvient Pierrick Ducimetière. Le projet ne figurait pas dans notre projet électoral mais on l'a vu comme un bonus."
Pour le maire, une "opportunité historique"
Le maire assure qu'il a posé des garanties – "qu'il coûte zéro euro aux Rochois, qu'il se trouve sur un endroit déjà artificialisé et qu'on trouve une solution pour le stationnement" – mais y voit une "opportunité historique". "Si l'on n'a pas de garanties autour de l'Arena, c'est évident qu'on ne prendra pas le risque de construire le bâtiment", prévient-il, signalant que des groupes hôteliers sont déjà venus aux renseignements.
Du côté des commerçants, certains estiment que le projet va ramener du monde et dynamiser le centre-ville, tandis que d'autres s'interrogent. "Peut-être que c'est bon pour les restaurants, mais quand il y a des grandes foires au Parc des expositions, personne ne vient en ville, alors bon", pointe Pascale, qui tient une boutique de prêt-à-porter. Plus loin, devant l'un des panneaux "Non au Vélodrome Arena, oui à des millions pour l'éducation" accrochés aux balcons, Jérôme, un éducateur d'une quarantaine d'années qui habite la ville, rit à l'évocation du projet. "On nous parle de sobriété et à côté, on construit ce truc flou. En fait, j'ai l'impression d'être dans SimCity [un jeu vidéo dont le but est de construire des villes]."
En attendant que le département dévoile en détail le projet, le collectif "Non au Vélodrome Arena", dont la pétition en ligne avait recueilli un peu plus de 21 000 signatures jeudi 13 juillet, souhaite déposer une demande de consultation locale au niveau de la communauté de communes du Pays Rochois. Il en appelle aussi à un référendum à La-Roche-sur-Foron et sa présidente l'admet : "Les batailles juridiques vont commencer avec les permis de construire, mais le but, c'est que le projet ne voie pas le jour."
Le maire, qui a refusé la mise en place d'un référendum au motif que le projet est porté par le département, pressent un été chargé, même s'il se dit "assez confiant". "L'objectif, c'est que ce projet se fasse, mais l'optimisme ne doit pas virer à la naïveté, admet Pierrick Ducimetière. C'est un projet difficile et le timing est serré." La construction de la "Haute-Savoie Arena" promet donc d'animer encore un certain temps la petite ville de La-Roche-sur-Foron.
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