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Limitation à 80 km/h : Pierre Chasseray, le lobbyiste qui roule à fond pour 40 millions d'automobilistes

Article rédigé par Vincent Daniel - Hugo Cailloux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Pierre Chasseray, dans un café parisien, le 5 décembre 2013. (MAXPPP)

L'association, fondée en 2005 pour défendre les intérêts des automobilistes, est omniprésente dans les médias. Son délégué général, Pierre Chasseray est un professionnel de la communication. Ses détracteurs l'accusent d'utiliser des méthodes contestables.

Il "n'est pas résumable", prévient d'emblée Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière. Pierre Chasseray, le délégué général de l'association 40 millions d'automobilistes, est en tout cas devenu incontournable dans les médias. Limitation de la vitesse à 80 km/h sur le réseau secondaire, radars embarqués, nouveau contrôle technique, pollution au diesel, voies sur berges à Paris... A chaque fois, il monte au créneau pour "défendre" les automobilistes transformés en "pompes à fric", "punis plus que convaincus" par les mesures de sécurité routière ou de lutte contre la pollution.

"C'est un faux-nez de l'industrie automobile et il a open bar dans les médias", s'agace un élu écologiste de la ville de Paris. Pour les journalistes, Pierre Chasseray est incontestablement un "bon client" : toujours disponible et jamais avare en formules chocs. Dans son viseur notamment : le CNSR, Conseil national de la sécurité routière, qu’il rebaptise le "Ça ne sert à rien". Mais sa colère du moment, il la dirige contre "Edouard". Comprendre : le Premier ministre et sa limitation de vitesse à 80 km/h qui entre en vigueur le 1er juillet.

"Edouard" est devenu "monsieur 80"

Une ostensible proximité qui s'explique. Pierre Chasseray n'est pas un inconnu pour Edouard Philippe. Le premier était chef de cabinet de Philippe Douste-Blazy à l'UMP, entre 2003 et 2004, quand le second était directeur général du parti. "Ce n'est pas un copain, mais on se connaît. J'ai une vraie forme de respect pour lui", sourit Pierre Chasseray, attablé à une terrasse de la porte de Saint-Cloud, à Paris, dressant la liste de ses qualités et de ses défauts : "Il est brillant, dur, froid et imperturbable." 

Et Pierre Chasseray de sortir son iPhone de sa poche pour montrer qu'il est ami avec "le compte perso d'Edouard sur Facebook". Depuis que l'ancien maire du Havre est entré à Matignon, le lobbyiste anti-80 km/h lui a envoyé plusieurs messages. "Je lui dis : 'Arrête, s'il-te-plaît !'", montrant une série de messages laissés sans réponse par "Edouard". Du coup, "Edouard" est devenu "Monsieur 80".

Le boulet du 80, Edouard Philippe va le porter toute sa vie. A sa sortie de Matignon, il ne pourra plus rien faire, sa carrière sera foutue, il pointera chez Pôle emploi. Il sera tricard chez les Républicains et chez les Marcheurs...

Pierre Chasseray

à franceinfo

Et dans un sourire taquin, il propose une "sortie de crise" au chef du gouvernement : "Une expérimentation de la limitation de vitesse limitée à la Seine-Maritime", le fief électoral d'Edouard Philippe. Persuadé que la mesure ne réduira pas le nombre de morts sur les routes, Pierre Chasseray se dit prêt à faire son mea culpa si on lui prouve qu'il a tort.

"Etudes bidons"

Cette communication offensive a de quoi hérisser le poil de ses détracteurs chez les militants de la prévention routière. "Son action est nocive, il n'hésite pas à produire des études bidons, il n'a aucun sérieux", déplore un responsable associatif. "On est opposés sur tout, résume de son côté Chantal Perrichon, de la Ligue contre la violence routière. Nous sommes confrontés à quelqu’un pour qui nous avons peu d’estime. Nous sommes tous bénévoles et ils ont de gros moyens pour diffuser de la désinformation."

En février, 40 millions d'automobilistes publie un rapport qui dresse son propre bilan de l'expérimentation de la limitation de la vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires. "Les chiffres présentés dans le présent bilan démontrent que la baisse de la limitation de vitesse n’a en rien permis de réduire la mortalité routière sur ces axes", assène l'association. Aussitôt, la Sécurité routière réagit, publiant une "analyse critique" du rapport. Elle pointe "ses failles méthodologiques et ses erreurs d'interprétation." "Il nous arrive de nous tromper, reconnaît Pierre Chasseray. Mais j'ai plutôt l'impression d'être dans le juste. J'ai fait avec les moyens que j'avais."  "Assez souvent, il assène de fausses informations et il a les moyens de les diffuser", regrette également Julien Thibault, président de Victimes et citoyens contre l’insécurité routière.

Spécialiste des "coups médiatiques"

Pas de quoi faire vaciller le principal intéressé : "J'assume tout ce que je dis". Décrit comme un "mercenaire" dans un article de Libération en 2014, Chasseray reconnaît toutefois que le portrait lui a "fait du mal". Car son parcours interpelle. Après la politique et l'UMP, où il a pu remplir son carnet d'adresses, il a été chargé des relations avec les médias au sein de WWF France de 2007 à 2012, association en pointe pour la protection de l'environnement. De quoi se faire traiter de "girouette" sur Twitter en 2014 par Denis Baupin, alors vice-président EELV (Europe Ecologie-Les Verts) de l'Assemblée nationale.

"J'assume", répond encore celui qui aurait "rêvé d'être prof de lettres". "Je ne défends pas 40 millions d'automobiles, je défends 40 millions d'automobilistes, ce n'est pas du tout la même chose, poursuit-il. D'ailleurs, j'allais au boulot à WWF en bagnole." Là-bas, il a laissé l'image d'un collègue "agréable, franchouillard et gouailleur." "Ce qui l'intéressait, c'était de faire des coups médiatiques", se souvient Boris Patentreger, cofondateur de l'ONG Envol Vert et ancien de WWF France, qui salue quelqu'un "qui connaît très bien ses dossiers et qui est très fort dans son métier de communicant".

A 39 ans, Chasseray apparaît effectivement avant tout comme un excellent communicant. "Je fais correctement mon taf, estime-t-il. Je fais partie de la France qui se lève tôt, je suis le militant de celui qui me paye. En principe, c'est comme cela que ça marche." Son modèle ? L'homme de radio Jean-Jacques Bourdin, qui est à la tête de la matinale de RMC, "plus populaire que populiste". "Il donne la parole aux gens. En l'écoutant, on peut se faire une idée de l'opinion publique", apprécie-t-il. Lui-même prend goût au micro. Il tient une chronique quotidienne (enregistrée depuis sa maison, près du Mans, dans la Sarthe) dans la matinale de Sud Radio. Et le samedi, il prend sa Mercedes CLK de 2001 pour faire la route jusqu'à Paris et y animer une émission intitulée "Ça roule" sur la même antenne.

"Je ne suis pas plein aux as"

Un "mélange des genres" et une "tribune" qui agacent ses détracteurs. "Pour nous, 40 millions d'automobilistes, c'est un bulldozer médiatique", s'agace un acteur de la prévention routière. Et de surenchérir : "Derrière l'appellation de cette association, on ignore le poids réel du mouvement car ils sont très opaques sur leurs adhérents." L'association, fondée en 2005 par les Automobiles clubs de l'Ouest (ACO), revendique 320 000 adhérents. Mais les membres des ACO sont faits membres d'office de 40 millions d'automobilistes. "Ce sont des adhérents fantômes et il y a des élus parmi les membres des ACO", estime un responsable associatif qui souhaite conserver l'anonymat.

Côté budget, 40 millions d'automobilistes revendique "380 000 euros par an et 150 000 donateurs", confie Pierre Chasseray, qui détaille "100 000 euros de la part des ACO et le reste, ce sont des dons d'entreprises." Provocateur, il fait mine de s'insurger : "Je ne suis pas plein aux as. Malheureusement, je n'ai pas touché un centime au black ou au white de l'industrie automobile."

Quand Biocoop finance une asso environnementale, on n'est pas étonné. Qu'un constructeur vienne nous aider sous forme de don, je ne trouverais pas cela scandaleux.

Pierre Chasseray

à franceinfo

"Il vaut mieux prévenir que punir"

Le soupçon de financement par l'industrie automobile l'agace. "Si j'avais les millions de l'Etat pour financer la Sécurité routière, je ferais quelque chose qu'ils n'ont jamais fait, c'est-à-dire travailler." Alcool au volant, stupéfiants et portables sont pour lui les réels fléaux de la route en France. "Mais il vaut mieux prévenir que punir", estime Pierre Chasseray. Outre la lutte contre les 80 km/h, il veut dialoguer avec les cyclistes, "mais pas les intégristes qui traitent les automobilistes de cons et de beaufs", prévient-il. "Il faut repenser l'aménagement de la route pour tous. Quand je suis en VTT avec mes deux enfants sur la route, je flippe."

En bon communicant, il a toujours en tête des actions spectaculaires à mener. Son rêve : inaugurer avec Anne Hidalgo les Seabubbles [petites navettes qui volent au-dessus de la Seine]. "Ça aurait de la gueule, ce serait classe ! dit-il dans un sourire. Avec ses méthodes et son acharnement, les voies sur berges, la guerre au diesel... Hidalgo, c'est ma meilleure attachée de presse." Une phrase choc de plus.

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