Retrait du permis pour conduite sous l'emprise de la drogue : "Il n'y a aucune logique dans cela", s'agace un avocat
"Il n'y a toujours pas d'appel à arrêter l'alcool au volant", déplore dimanche sur franceinfo Antoine Régley, avocat au barreau de Lille.
Pour Antoine Régley, avocat au barreau de Lille, spécialisé en droit routier et dans la défense des victimes de la route, invité dimanche 19 février sur franceinfo, "il n'y a aucune logique" dans les annonces faites par Gérald Darmanin dans le Journal du Dimanche. Le ministre de l'Intérieur propose le retrait des 12 points du permis en cas de conduite sous stupéfiants. Une annonce "décevante" pour l'avocat qui voit dans cela une volonté de "stigmatiser" parce que "l'actualité le permet".
franceinfo : Qu'est-ce que les propositions de Gérald Darmanin changeraient par rapport à aujourd'hui ?
Antoine Régley : Tout ce qui fait baisser la mortalité est bon à prendre. On doit féliciter le ministre de se préoccuper de cela même si, disons les choses, le timing et les propositions sont extrêmement décevants. Ce qui changerait avec cette proposition, c'est que les conducteurs sous stupéfiants seraient plus durement sanctionnés que ceux qui conduisent sous alcool et que ceux qui commettent des excès de vitesse importants. Il n'y a aucune logique dans cela. Pourquoi ? On le sait, deux accidents mortels sur dix sont liés aux stupéfiants alors que l'alcool c'est trois sur dix et que la vitesse c'est deux ou trois sur dix. Donc là on stigmatise, légitimement et parce que l'actualité le permet, les consommateurs de stupéfiants qui reprennent le volant mais on fait quoi de ceux qui boivent et de ceux qui tuent à cause de la vitesse ? Là on n'a pas de réponse. On a vraiment l'impression d'être dans la méthode Sarkozy qui dit : "Un fait divers, une réformette".
Les effets sont les mêmes qu'on ait pris de la drogue ou de l'alcool avant de prendre le volant ?
Ce n'est pas par hasard que la drogue est interdite. Déjà, parce que c'est très mauvais pour la santé et parce que ça a des effets psychotropes qui agissent donc sur le cerveau. Les différentes drogues n'ont pas les mêmes effets mais, on le sait, le comportement au volant n'est pas du tout adéquat lorsqu'on a consommé du cannabis ou de la cocaïne. Ces effets-là, on les retrouve également dans la consommation d'alcool. Ça fait des années que l'alcool et les stupéfiants au volant sont réprimés des mêmes peines tant en première fois qu'en récidive et aujourd'hui - alors que rien d'autre que l'actualité ne permet de s'interroger sur ça - on vient dire : "On va être plus sévères contre ceux qui consomment des stupéfiants qu'envers ceux qui consomment de l'alcool". C'est certes un appel à arrêter les stupéfiants mais il n'y a toujours pas d'appel à arrêter l'alcool au volant.
Il faudrait donc peut-être durcir la loi et les dispositifs en cours contre la consommation de drogues et d'alcool ? Ce retrait des 12 points voulu par le ministre vous paraît mesuré ?
Je ne dirais pas mesuré. Si je mets ma casquette d'avocat pénaliste de la défense en droit routier, je vous dirais que cela exclut le droit à l'erreur. On a 12 points sur un permis de conduire et on pourrait nous enlever ces 12 points. Je ne pense pas que ce soit la bonne mesure. Ce qui me choque davantage, c'est que lorsque vous conduisez sous stupéfiants ou sous alcool pour la première fois, vous n'ayez pas accès à un tribunal, c'est-à-dire que vous ne voyez aucun juge. Vous allez recevoir une lettre, une composition pénale ou une ordonnance pénale qui va vous suspendre votre permis de conduire et vous mettre une amende. Jamais vous n'irez dans un tribunal, jamais vous ne rencontrerez de procureur, jamais vous n'allez avoir cette peur là. Si on veut sensibiliser les gens à la prudence, et à arrêter ces comportements, ce serait bien qu'on arrête de leur envoyer un petit courrier en leur disant que ce n'est pas bien. Il faudrait les mettre devant des tribunaux pour qu'ils aient la peur de la sanction prononcée par un tribunal.
En fait-on assez aujourd'hui en termes de prévention ?
On a mis le paquet sur l'alcool au volant, sur le téléphone au volant, sur la vitesse. Les spots de la sécurité routière ont été d'une grande brutalité, d'une grande violence mais ça a marché. Sur les stupéfiants, je crois qu'il n'y a pas assez de prévention. Indépendamment de cela, ce sera bien que Gérald Darmanin - avec Eric Dupond-Moretti - arrêtent de penser à la "répression ++" et qu'ils commencent à penser à la "prévention" mais surtout qu'ils commencent à penser à "l'accompagnement des victimes". Elles attendent des cellules psychologiques, des audiences plus rapides devant les tribunaux, une réforme de la loi Badinter sur l'indemnisation des victimes de la route. [Concernant la création d'un homicide routier voulu par les associations et le fait que Gérald Darmanin dit travailler sur ce point] il fait un tout petit pas. Aujourd'hui, [les accidents mortels de la route sous emprise d'alcool ou de stupéfiants] sont qualifiés d'homicides involontaires. Les victimes - légitimement - se disent que ce n'est pas involontaire. La personne a pris tellement de risques en prenant le volant qu'elle ne peut pas dire ça. On a cette difficulté juridique qui dit "on n'a pas voulu donner la mort" donc on ne peut pas qualifier cela d'homicide volontaire mais on a adopté un comportement tellement risqué qu'on ne peut pas dire que ce n'est pas de notre faute. Je ne sais donc pas si le ministre dit ça seulement pour faire plaisir aux associations et fait juste un changement sémantique ou est-ce que ça va cacher une plus grande répression de ces homicides avec alcool ou stupéfiants ? Il ne nous dit rien.
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