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"Stigmatisation", "mesure de bon sens" : pourquoi la question de l'encadrement du permis de conduire des seniors reste si délicate en France

Article rédigé par franceinfo, Thomas Destelle
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des victimes d'accidents de la route remettent en cause le permis de conduire donné à vie. Photo d'illustration. (LOIC VENANCE / AFP)
Après de nombreux accidents de la route causés récemment par des personnes âgées, l'idée d'un contrôle médical à partir d'un certain âge pour conserver son permis de conduire réapparait.

Doit-on en finir avec le permis à vie ? Le débat est relancé à chaque accident mortel impliquant un conducteur âgé. Récemment, un homme de 81 ans a été mis en examen, jeudi 13 juillet, car il est suspecté d'avoir tué deux piétons en trois mois. Le 22 avril, à Berck-sur-Mer dans le Pas-de-Calais, un conducteur perd  le contrôle de son véhicule et foncé dans la foule en début de soirée. Âgé de 76 ans et en situation de handicap, il a indiqué avoir "confondu la pédale de frein et l'accélérateur".  Le bilan est de 12 blessés, dont une femme au pronostic vital engagé. Le 6 avril dans l'Oise, une conductrice de 82 ans renverse trois enfants alors qu'ils traversent un passage piéton. Le 18 février, trois personnes décèdent dans un accident provoqué par un homme de 83 ans qui roule à contresens sur l'autoroute et percute une voiture avec deux personnes à l'intérieur.

>> Fin des retraits de points pour les petits excès de vitesse : la Ligue contre la violence routière craint "davantage de morts et de blessés sur nos routes"

Ces accidents de la route relancent le débat de l'encadrement de la conduite des seniors, et surtout la remise en cause d'un tabou français : le permis de conduire à vie. Une aberration pour Pauline Déroulède. En octobre 2018, la jeune femme, âgée de 28 ans à l'époque, est fauchée sur un trottoir parisien par un automobiliste qui perd le contrôle de son véhicule. Elle perd sa jambe gauche dans l'accident. L'homme, âgé de 92 ans, "était un conducteur exemplaire, mais il savait qu'il n'était plus apte à conduire", raconte Pauline Déroulède qui a rencontré en face-à-face l'automobiliste nonagénaire.

Pauline Déroulède, devenue championne de France de tennis-fauteuil et qui rêve de participer aux Jeux Paralympiques de Paris 2024, aimerait qu'une visite médicale soit imposée pour tous les conducteurs. "Cela ne concernerait pas uniquement les seniors", précise-t-elle, mais avec une graduation selon l'âge :

"Ce serait, par exemple, une visite tous les dix ans après l'obtention du permis, à partir de 65 ans tous les cinq ans, à partir de 70 ans tous les deux ans, et tous les ans à partir de 80 ans."

Pauline Déroulède

à franceinfo

Un serpent de mer

Aujourd'hui, un contrôle médical peut être obligatoire pour conserver son permis en cas notamment d'une infraction déjà constatée ou d'un signalement par un proche au préfet du département. Si le préfet juge que l’alerte est légitime, il demandera que le titulaire du permis de conduire soit examiné par un médecin agréé expert en aptitude à la conduite, explique le site de la Sécurité routière qui met en avant la pédagogie avant de devoir menacer un proche de lui interdire de conduire.

Ces signalements sont trop rares et insuffisants pour Pauline Déroulède. L'idée d'une visite médicale obligatoire pour conserver son permis est un serpent de mer qui revient à la surface à chaque accident impliquant une personne âgée, souligne Pierre Lagache, vice-président de la Ligue contre la violence routière : "On comprend cette demande venue des victimes et cela apparaît comme assez logique, mais cette mesure n'a pas démontré son efficacité dans les pays qui l'ont mise en place." 

"La mesure apparaît comme du bon sens, mais on ne trouve pas d'impact significatif dans les autres pays."

Pierre Lagache, vice-président de la Ligue contre la violence

à franceinfo

Des pays européens comme la Suisse, l'Allemagne ou encore l'Espagne ont des contrôles obligatoires à partir d'un certain âge, mais sans résultat probant, selon Pierre Lagache. Sauf "si on peut démontrer son intérêt", il doute de l'utilité de mettre en place un dispositif "lourd" et "pas anodin". De plus, le médecin "ne pourra pas évaluer un certain nombre de choses comme en conduite réelle", souligne Sylvie Bonin-Guillaume, gériatre à l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM) et vice-présidente de la société française de gériatrie et gérontologie. "Le médecin peut notamment évaluer s'il y a des pathologies ou des traitements qui empêchent de conduire, mais pas si la personne commet par exemple des infractions au code de la route", poursuit la gériatre qui estime que les tests d'aptitudes sont aussi limités, car "ils ne pourront pas évaluer la dangerosité de la personne sur la route".

"Une stigmatisation" des seniors ?

Pour Anne Lavaud, déléguée générale de la Prévention routière, les discours qui tournent autour de l'âge font partie d'une "stigmatisation" des seniors. Selon les chiffres de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), les seniors sont néanmoins sur-représentés dans les indicateurs de mortalité. En 2022, les 75 ans et plus représentent 15,2% des morts de la route, un chiffre supérieur à celui des 65-74 ans (11,6%) ou des 55-64 ans (12%) mais en dessous de celui des 18-24 ans (17,2%).

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Il y a bel et bien un sur-risque chez les 75 ans et plus, souligne Pierre Lagache, avec 76 tués pour 1 million d'habitants. Cela est au-dessus de la moyenne qui est de 47 tués, mais loin des 102 morts chez les 18-24 ans, signale le vice-président de la Ligue contre la violence routière. 

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Mais être victime des accidents de la route ne signifie pas forcément être responsable. Les seniors, plus fragiles, survivront difficilement à des blessures graves, souligne l'ONISR. Un certain nombre de ces personnes âgées impliquées dans les accidents de la route sont des piétions, rappelle Sylvie Bonin-Guillaume, de l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM). Pour elle, "il y a une confusion entre les agissements d'un conducteur et les pathologies qui peuvent vous empêcher de conduire". Des pathologies "qu'il ne faut pas limiter à la question de l'âge", poursuit la gériatre.

Anne Lavaud de la Prévention routière estime aussi que les seniors "ne sont pas plus responsables que d'autres catégories d'âge comme les plus jeunes". Pour preuve, elle avance le chiffre du taux de responsabilité des automobilistes impliqués dans les accidents mortels. Il est de 80% pour les 75 ans et plus, au même niveau que les 18-24 ans. L'âge n'est donc pas un "critère" selon la déléguée générale.

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"Il faut contrôler les gens"

Les causes des accidents sont différentes entre ces deux catégories d'âge. L'alcool, les stupéfiants et la vitesse sont les premières causes de décès chez les plus jeunes alors que chez les seniors, ce sont des questions d'inattention ou de non-respect de priorité, estime Pierre Lagache : "Ce ne sont pas des comportements déviants mais défaillants." "Il ne faut pas confondre infractions et inaptitudes", précise justement de son côté Pauline Déroulède. Elle poursuit son "combat" qu'elle mène depuis quatre ans espérant voir une nouvelle réglementation apparaître d'ici l'été 2023.

"Je reçois un nombre incalculable de témoignages me poussant à continuer", indique la championne de tennis qui insiste : "Il faut contrôler les gens, et pas seulement les seniors." Pour Anne Lavaud, il faut profiter d’une des mesures-phares du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) : les trois visites médicales gratuites à 25, 45 et 65 ans. "Il faut inclure les questions de mobilité lors de ces visites", suggère la déléguée générale de la Prévention Routière.

Mais retirer le permis à une personne âgée peut aussi avoir d'autres conséquences souligne la gériatre Sylvie Bonin-Guillaume : "Si vous lui enlevez sa voiture qui est parfois sa seule solution de mobilité dans des régions rurales, la personne va-t-elle pouvoir rester à son domicile ?" Il faudra dans tous les cas mettre l'accent sur les solutions alternatives avance Pierre Lagache. "Il y a des dispositifs d'accompagnement et des solutions de mobilité comme par exemple des collectivités qui financent des taxis très peu cher", indique le vice-président de la Ligue contre la violence routière qui estime que la "solution miracle" n'existe pas.

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