: Info franceinfo "Ne rappelez plus, démerdez-vous" : un policier du 17 jugé pour avoir insulté une femme menacée par son ex-conjoint et rouée de coups après l'appel
[EDIT. Le policier a été condamné mercredi 8 mars à huit mois de prison avec sursis probatoire. Une peine assortie d'une interdiction d'exercer la profession de policier pendant dix-huit mois et d'une obligation d’indemniser la victime. Il dispose de dix jours pour faire appel.]
La conversation démarre le 31 juillet 2022, à 20h08. Ophélie appelle le 17 pour signaler que son ex-conjoint est devant chez elle, à Osny (Val-d'Oise), et menace de la tuer. A l'autre bout du fil, un policier ne semble pas prendre l'appel au sérieux. "Il a dit qu'il va me tuer et tout", panique cette femme de 31 ans au bout du fil. "Non", répond le fonctionnaire, dont on devine le ton ironique à la lecture du PV de retranscription, que franceinfo a pu consulter. "Si, si", insiste Ophélie. "Oh", s'exclame le gardien de la paix.
Alors que la victime lance à l'homme qui la menace en bas de son immeuble "Commence pas à crier mon nom en bas de chez moi, casse pas les couilles Issa", le professionnel lui lâche, avant de raccrocher : "Et tu parles mal grosse merde. A lors tu m'étonnes qu'il te menace. Et rappelez plus, démerdez-vous avec." Ce policier, âgé de 48 ans, est cité à comparaître mercredi 8 mars devant le tribunal correctionnel de Pontoise pour "omission de porter secours", a appris franceinfo auprès du parquet de la juridiction.
"'Démerdez-vous grosse merde', ça m'étonnerait"
Le lendemain de l'appel au 17, le 1er août, Ophélie a été rouée de coups par cet ancien compagnon en sortant de chez elle. C'est sa fille de 12 ans qui a appelé la police. "II est venu et il est sorti de la voiture, il a pris une batte et il a tapé ma mère, il lui a mis des coups de poing et des coups de pied. Il a essayé de l'écraser", décrit-elle, terrorisée, selon le PV de retranscription. Cette fois-ci, une patrouille sera envoyée sur les lieux. Jugé en comparution immédiate pour violences aggravées, Issa B. a été condamné en novembre 2022 à trois ans de prison, dont un an ferme, a précisé l'avocate de la victime à franceinfo. Il a été immédiatement incarcéré.
Après le premier échange téléphonique, le 31 juillet, Ophélie a rappelé le 17, une heure et demie plus tard. Elle est tombée sur un interlocuteur qui semblait plus compréhensif. En réalité, il s'agissait du même policier, qui a fait mine d'ignorer la scène précédente. Alors qu'Ophélie se plaint d'avoir été insultée et de s'être fait raccrocher au nez, il répond : "Ah bon, il vous a insultée ? (...) 'Démerdez-vous grosse merde', ça m'étonnerait."
Après l'avoir sermonnée sur la main courante qu'elle avait déposée par le passé contre son ex-compagnon, expliquant que "ça ne sert à rien", il s'impatiente : "Ouais bon, vous allez au commissariat, vous faites une plainte contre votre ami qui vous harcèle là, d'accord ? (...) Voilà, c'est tout." Et "pour le policier, je sais pas, faites un courrier aussi", balaie-t-il.
"J'ai eu un moment d'égarement"
"Je ne veux pas lui dire que c'est moi car on allait repartir sur ce sujet et je me devais de la renseigner sur les démarches pour les violences", s'est justifié le fonctionnaire, le 3 janvier dernier, d'après le procès-verbal de son audition à l'IGPN, auquel franceinfo a pu avoir accès. Le policier a été entendu dans le cadre de l'enquête préliminaire pour non-assistance à personne en danger, ouverte à la demande du parquet de Pontoise, qui a abouti à l'audience de mercredi. Au cours de cette audition, il explique à maintes reprises qu'il n'a pas pris l'appel d'Ophélie au sérieux. "J'ai immédiatement catégorisé cet appel dans les fantaisistes", explique-t-il. "J'avais l'impression qu'elle était en train de parler avec le sourire", argue-t-il. "Une femme en danger n'est pas agressive en général avec l'individu qui la menace."
Le policier formule aussi des regrets. Il reconnaît "avoir mal parlé à la dame", fait preuve de "grossièreté" et ne pas avoir répondu "correctement", toujours selon le PV d'audition. "J'ai eu un moment d'égarement et je me suis lâché verbalement contre elle", déclare le fonctionnaire, qui se dit "blasé" et avoir "ras-le-bol de ce boulot". Il justifie ainsi le "ton ironique" qu'il a adopté et qu'il emploie encore lors de son audition à l'IGPN.
"Il donne des petits conseils façon donneur de leçon. Ma cliente, elle n'appelle pas pour ça, elle appelle pour qu'on vienne la protéger", déplore Pauline Rongier, l'avocate d'Ophélie. Selon elle, l'attitude du policier a "clairement un lien direct avec ce qui est arrivé" à sa cliente, "en plus de l'impact extrêmement grave pour une femme victime de violences, d'être reçue comme cela". L'avocate souligne que "la réaction adaptée" aurait été d'envoyer une patrouille sur place. Mais pour le policier, "il n'y avait pas matière" à cela.
La formation au cœur d'une seconde enquête
Dans cette affaire, une deuxième enquête, administrative, ouverte en octobre pour "manquement au devoir d'exemplarité, manquement à l'obligation de courtoisie à l'égard du public, manquement à l'obligation de discernement", est toujours en cours à l'IGPN, selon nos informations. Le 22 novembre, ce fonctionnaire, en exercice depuis vingt ans, a été entendu devant une commission de discipline du Val-d'Oise. Il est suspendu depuis le 1er septembre des appels du 17, mais pas de ses fonctions au centre d'information et de commandement brigade de nuit, où il est opérateur radio. Sollicitée, la police des polices n'a pas souhaité faire de commentaire à ce sujet.
Pendant l'enquête, le policier a par ailleurs affirmé qu'il n'avait pas été formé à recueillir ce type d'appel, mais "sensibilisé uniquement à l'école de police". Interrogé sur d'éventuelles consignes qu'il aurait reçues lorsqu'un appel concerne "des atteintes faites aux femmes", il répond qu' "il n'y a pas d'obligation" à "lire" les notes de service.
"Il n'y a pas besoin d'être formé pour savoir qu'on n'agresse pas une victime qui demande de l'aide", oppose Pauline Rongier, évoquant le "traumatisme" de sa cliente. Sa fille, qui a été témoin des violences le lendemain de l'appel et qui a composé le 17, est suivie psychologiquement. "Elle a cru que sa mère allait mourir."
"C'est étonnant, vu toute la formation des policiers déployée sur ce sujet, qu'on en soit encore là."
Pauline Rongier, avocateà franceinfo
L'avocate d'Ophélie pointe le fait que malgré "l'état d'alerte élevé sur les violences faites aux femmes", cette affaire "n'est pas un cas isolé". "Dans ce dossier, on a les retranscriptions des propos du policier. Mais je pense à toutes les clientes qui expliquent avoir été mal reçues au commissariat et où on n'a pas la preuve", relève Pauline Rongier. L'omission de porter secours est punie par le Code pénal de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
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