Sortie de la Grèce de l'euro : le double jeu des instances internationales
Si les dirigeants internationaux assurent que les Grecs doivent rester parmi les 17 de l'Eurozone, l'existence de scénarios de départ est de plus en plus d'actualité. Décryptage d'un double discours.
La Grèce se rapproche-t-elle d'une sortie de la zone euro ? Il y a quelques mois, cette question n'était qu'une menace lointaine et difficilement imaginable. Désormais, l'hypothèse n'est plus taboue. A mesure que les Grecs s'enfoncent dans l'instabilité économique et politique, de hauts dirigeants internationaux évoquent des plans d'urgence préparant la sortie d'Athènes du club des 17 pays de la zone.
Pourtant, sur les fronts politique et diplomatique, le discours est tout autre. Chaque sommet ou réunion international est l'occasion pour les chefs d'Etat et de gouvernement d'afficher leur souhait de voir la Grèce rester au sein de l'euro. Officiellement donc, on ne souhaite pas que le pays revienne à la drachme, l'ancienne monnaie grecque. Décryptage de ce double discours.
• Officiellement, la Grèce doit rester dans la zone euro
Depuis les législatives grecques du 6 mai et l'incapacité des dirigeants de partis à former un gouvernement de coalition, les Bourses restent très nerveuses. Le scrutin a accentué le poids des opposants à l'austérité, réactivant ainsi le spectre que la Grèce renie ses engagements d'ajustement budgétaire et de réformes structurelles. Ce qui pourrait provoquer une sortie du pays de la monnaie. Autre menace : la contagion au reste de la zone euro, voire à l'économie mondiale.
Un scénario d'autant plus inquiétant que la sortie de la Grèce de l'eurozone aurait un coût très lourd pour les Européens. Selon Eric Dor, directeur de la recherche à l'Ieseg School of Management, rien que l'Etat français pourrait perdre jusqu'à 66 milliards et les banques françaises 20 milliards, relève Challenges.fr. Et de nombreux coûts indirects restent impossibles à chiffrer. Résultat, la communauté internationale martèle le même message : non, la Grèce ne va pas sortir de la zone euro.
A l'issue d'une réunion des ministres des Finances des 17 à Bruxelles le 14 mai, le président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, a insisté : "Je n'envisage pas une seconde que la Grèce quitte la zone euro, c'est du non-sens, c'est absurde, c'est de la propagande." Le lendemain, François Hollande effectue sa première visite de président de la République à l'étranger. Il se rend à Berlin où Angela Merkel déclare : "Nous voulons que la Grèce reste dans la zone euro."
Même son de cloche lors du G8, la réunion des dirigeants des huit pays les plus industrialisés, qui s'est ouvert le 18 mai à Camp David, aux Etats-Unis. "L'Europe veut que la Grèce reste dans la zone euro, la Grèce fait partie de la famille de l'euro et du projet de l'euro", a martelé le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso.
Et lundi 21 mai, Jörg Asmussen, membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE) a assuré que l'institution ne travaillait pas sur un scénario de sortie. "Notre préférence va à ce que la Grèce reste dans la zone euro, c'est le plan A, c'est à cela que nous travaillons." Un plan B ? "Nous avons déjà été critiqués pour le fait qu'il n'y en ait pas."
• Le pavé dans la mare du commissaire européen gaffeur
Cependant, vendredi 18 mai, pour la première fois, un haut dirigeant européen admet l'existence de "scénarios" pour préparer une sortie de la Grèce de l'Eurozone. "Il y a un an et demi, il y avait peut-être le danger d'un effet dominos. Mais aujourd'hui, il y a, tant au sein de la Banque centrale européenne que de la Commission européenne, des services qui étudient des scénarios de secours au cas où la Grèce ne s'en sorte pas", reconnaît le commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht, dans une interview au quotidien belge néerlandophone De Standaard.
La publication des propos entraîne aussitôt une avalanche de démentis. "Karel De Gucht est responsable du commerce, je suis responsable des affaires économiques et financières et des relations avec la BCE, assure le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, Olli Rehn. Nous ne sommes pas en train de travailler à un scénario de sortie de la Grèce, nous travaillons sur la base d'un scénario où la Grèce reste", précisant ne pas vouloir faire "de commentaire sur des spéculations".
Preuve d'une certaine fébrilité, la Commission européenne a aussi tenté d'éteindre la polémique. José Manuel Barroso et Olli Rehn "disent depuis deux ans que la Commission veut que la Grèce reste dans la zone euro, cela reste vrai ! Il n'y a aucun plan de sortie de la Grèce", a assuré sur Twitter un porte-parole de la Commission, Olivier Bailly.
• Plans secrets et plans B
Mais selon différents médias, les instances européennes et internationales se préparent bien à un départ de la Grèce de la zone euro. "Un groupe de travail composé des directeurs des trésors de la zone euro ainsi que de représentants de la Commission et de la Banque centrale européenne a même été mis secrètement en place", écrit Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, sur son blog.
Le commissaire européen Karel De Gucht aurait encore gaffé en évoquant ce groupe de travail secret. "Tout le monde en a marre de payer pour ce pays qui n’applique que très partiellement ses engagements et qui maintenant croit que l’on va revoir à la baisse nos exigences et les financer à l’infini avec l’argent des contribuables européens", justifie un diplomate européen, cité par le journaliste de Libération. D'ailleurs, la BCE a confirmé le 16 mai avoir cessé de fournir des liquidités à certaines banques grecques en raison de leur sous-capitalisation, "un avant-goût de ce qui attend [la Grèce] en cas de sortie", indique Jean Quatremer.
Selon ce dernier, les Etats et les institutions ne sont pas les seuls à travailler sur un scénario destiné à faire face au choc. Les banques et les grandes entreprises plancheraient aussi. "L'hypothèse d'une sortie de l'euro de la Grèce est bel et bien examinée de près à Bruxelles, comme dans les capitales européennes, ainsi qu'à Washington", confirme Le Monde (article abonnés). Selon le quotidien, la BCE travaille sur un possible effondrement du système grec : "C'est l'option la plus risquée pour l'ensemble de la zone euro. La situation peut se dégrader avant les élections [législatives programmées le 17 juin] en cas de panique incontrôlable des épargnants", raconte-t-on à Bruxelles, selon Le Monde.
Déjà, la directrice générale du Fonds monétaire internationale, Christine Lagarde, a envisagé l'hypothèse d'une "sortie ordonnée" d'Athènes, dans un entretien accordé à France 24, le 16 mai. Elle a mis en garde contre un processus "extraordinairement coûteux et qui présenterait de grands risques mais ça fait partie des options qu'on est obligé de regarder techniquement ". Et le 18 mai, l'agence de notation Fitch a resserré un peu plus l'étau, parlant de "risque accru que la Grèce ne soit pas en mesure de maintenir sa participation à l'Union économique et monétaire".
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