Mondiaux d'athlétisme : d'un acte naturel à une vitesse de course, comment les marcheurs avancent plus vite que vous ne courez
Les pas sont fluides, précis. À observer les marcheuses lors du 20 km marche des championnats du monde, dimanche 20 août à Budapest, on aurait presque l’impression de les voir évoluer sur les nuages, prêtes à frôler le sol pour s'envoler. Pourtant, il s'agit bien de la marche, avec un contact permanent au sol. Surtout, ce qui impressionne, c'est la rapidité de ces athlètes hors normes. L'Espagnole Maria Perez, nouvelle championne du monde de la discipline, a avancé à 14,84 km/h pour boucler les 20 km (en 1h26''51). Chez les hommes, son compatriote Alvaro Martin a glané le titre la veille grâce à une vitesse moyenne de 15,47 km/h sur la même distance (1h17''32).
Une allure plus rapide que bon nombre de coureurs amateurs. La vitesse de la marche classique oscille entre 3 et 4 km/h et la marche active jusqu'à 8 km/h. L'allure de la marche athlétique, au-delà de 12 km/h, peut même surprendre. "Parfois, à l'entraînement, certains coureurs s'arrêtent volontairement refaire leurs lacets avant qu'on les rattrape. Dans ce cas, il y a ceux qui sont impressionnés et ceux qui ragent un peu. Et ceux qui se moquent, quand ils se rendent compte de notre vitesse, ils ne rigolent plus, sourit Gabriel Bordier, marcheur de l'équipe de France, qui a battu son record personnel (1h18”59) à Budapest avec un top 10 à la clé.
"Souvent, les gens nous regardent au niveau du visage et des épaules comme tout le monde et puis ils regardent nos jambes et à ce moment-là, on va lire l'incompréhension sur leur visage."
Gabriel Bordier, marcheur de l'équipe de Franceà franceinfo: sport
Pour passer d'une marche de tous les jours à une marche athlétique, et peu naturelle, la technique est déterminante. “La jambe doit être non fléchie au passage de la verticale du bassin, elle doit être tendue au niveau du genou”, décortique Gérard Lelièvre, entraîneur de Gabriel Bordier.
La marche athlétique est-elle accessible à tout le monde ? "Au début, il ne faut pas vouloir avoir une technique parfaite, c'est impossible. C'est comme si vous alliez prendre votre bus et que vous étiez en retard, mais que vous ne vouliez pas courir. Vous allez vous mettre à marcher vite, et rien qu'en faisant ça, vous allez sentir que le cœur va monter assez vite. Ensuite, on ajoute le mouvement des bras, et là, ça commence vraiment à ressembler à de la marche", vulgarise Clémence Berreta, 16e du 20 km marche à Budapest, réalisant la meilleure performance d'une marcheuse française aux Mondiaux (en 1h30'43").
Un bagage technique à acquérir
Autre point technique essentiel : le marcheur doit maintenir un contact permanent avec le sol, afin de garder une foulée rasante, et non aérienne comme en demi-fond. "En course à pied, on bénéficie de l'inertie, on est vraiment en l'air à un moment donné. En revanche, en marche, tout est en force, parce qu'on attaque talon, on est presque en arrière et donc on n'aura jamais d'inertie. Il faut vraiment se propulser afin de soulever son poids", développe Clémence Berreta.
Mouvement des jambes, des bras (pour l'équilibre et la propulsion) et du bassin, coordination et vitesse, cette combinaison de techniques est un long processus d'apprentissage, acquis aléatoirement par les athlètes. “Certains athlètes pigeront le geste très vite, d’autres n’y arrivent pas. Pour former un bon marcheur, il faut compter au minimum trois ans, le temps d’acquérir le geste technique. Quand c'est fait, le marcheur est tranquille vis-à-vis des juges. Et ensuite, il peut s’améliorer au niveau physiologique”, détaille Gérard Lelièvre.
La maîtrise de cette technique est en effet scrutée par les juges en compétition. Si un marcheur ne respecte pas le contact permanent avec le sol et la jambe tendue, il est sanctionné d'un carton. "Au bout de trois cartons rouges, l'athlète reçoit une pénalité. Il doit s'arrêter un certain temps, deux minutes par exemple sur 20 km. Si derrière, il reprend un carton rouge, alors il est disqualifié", détaille l'entraîneur.
Les athlètes seraient-ils parfois tentés de délier la jambe et de partir sur une foulée de course ? "Non, assure Gabriel Bordier. Une fois qu'on a le schéma en tête, on reste dedans et on ne va pas courir. On peut parfois fléchir un peu plus, ou avoir une technique qui se dégrade avec l'effort, ou même aller à la faute en essayant d'aller plus vite, mais on ne va pas courir." "Une fois qu'on a acquis le geste, ça ne nous traverse pas l'esprit, confirme son entraîneur Gérard Lelièvre. C'est comme si on demandait à un sauteur en hauteur de changer de technique. En revanche, il se peut qu'avec la fatigue, la jambe ait du mal à se tendre."
Une dépense énergétique supérieure au demi-fond
Lors du 20 km, alors qu’il faisait déjà 23 degrés à l’ombre (ressenti 25 degrés), un peu avant 8h du matin, la transpiration est rapidement apparue, une demi-heure seulement après le départ. "Le coût énergétique de la marche est deux fois plus élevé [que les courses de demi-fond], et on récupère deux fois plus lentement. En fait, tout est plus dur dans la marche athlétique", assure la marcheuse Clémence Berreta.
Si "la course à pied est moins énergivore que la marche", c'est d'abord parce que "la marche met en jeu des obligations techniques, comme le fait de garder la jambe tendue. C’est un effort supplémentaire. La rotation du bassin et le mouvement des bras sont également énergivores”, ajoute Gérard Lelièvre. Pour Clémence Berreta, le plus difficile dans cette discipline est de "maintenir cette technique quand la fatigue arrive, parce que c'est à ce moment-là qu'on peut avoir les cartons. Un coureur, ou un marathonien, même s'il court très mal, ne sera jamais disqualifié. La dimension technique est beaucoup plus importante que dans n'importe quelle autre discipline." C'est d'ailleurs ce que la native des Vosges aime dans cette discipline, "la résistance et l'endurance".
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