F1 : pourquoi le départ d’Adrian Newey est un coup de tonnerre pour Red Bull et toute la discipline ?

Le mythique ingénieur britannique va quitter Red Bull après le premier trimestre 2025, la fin d'un secret de Polichinelle qui pourrait avoir de lourdes conséquences sur le visage de la F1.
Article rédigé par Loris Belin
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
Adrian Newey, ingénieur et pilier de l'écurie Red Bull, le 30 juin 2023 en marge du Grand Prix d'Autriche de Formule 1 (ERWIN SCHERIAU / AFP)

Il n'est ni Max Verstappen, pilote brillant et impitoyable sur la piste. Ni même Christian Horner, visage de ce qui se passe en dehors de la piste chez Red Bull. Adrian Newey est une star pour les initiés, un homme de l'ombre pour beaucoup. L'ingénieur, à l'origine des monoplaces Red Bull en F1 depuis près de vingt ans, va quitter l'écurie dominatrice du plateau, comme elle l'a confirmé mercredi 1er mai après des semaines de rumeurs. Après Lewis Hamilton passant de Mercedes à Ferrari la saison prochaine, c'est un nouveau tremblement de terre qui pourrait secouer tout un sport.

A 65 ans, Newey sera libre à la fin du premier trimestre 2025, la fin de deux décennies de suprématie avec Red Bull. Et la possible poursuite d'une carrière de domination technique et de trophées. Depuis 1988 et sa première prise de fonction comme directeur technique au sein de la modeste écurie March, Adrian Newey est le "géniteur" de plus d'un tiers des titres – pilotes comme constructeurs confondus – décernés en Formule 1 (25/72) et glanés dans des monoplaces nées de son coup de crayon. Partout durant sa carrière, la présence d'Adrian Newey a été le synonyme de victoires, du dernier titre de champion du monde d'Alain Prost avec Williams en 1993, au retour en grâce de McLaren à la fin des années 90 jusqu'à l'aventure Red Bull qu'il a rejoint un an seulement après son arrivée dans le paddock, en 2006.

"Un vrai magicien"

Véritable ingénieur à l'ancienne, Adrian Newey a su imposer ses idées pour créer des voitures à la fois rapides et stables grâce à l'aérodynamisme et l'exploitation des flux d'air. "Adrian Newey, c'est un vrai magicien sur la compréhension de l'ensemble d'un véhicule mais en partant du facteur essentiel dans la Formule 1, à savoir son fonctionnement aérodynamique, nous explique notre consultant Cyril Abiteboul, ancien directeur de l'écurie Renault. Il est d'une génération en voie de disparition de directeurs techniques qui ont appris à fonctionner sans ordinateur, sans méga-écuries avec des experts de tout dans le moindre microdétail. La génération dont il vient l'a, par nécessité, conduit à avoir une réflexion plutôt analytique et globale d'ingénieur, plutôt que d'être expert dans un domaine, quand certains directeurs viennent plutôt de la mécanique, d'autres du dessin."

"C'est une force d'Adrian Newey : il part du règlement, et tout de suite il va sur sa table à dessin en se questionnant sur tous les enjeux, sur le plan aérodynamique, le plan mécanique, la suspension, la motorisation… Toutes les caractéristiques essentielles de la voiture seront à la seule fin d'optimiser le fonctionnement aérodynamique, sans aucune concession."

Cyril Abiteboul

à franceinfo: sport

Au sein de l'empire Red Bull, nouveau riche au cœur des années 2000 devenu rapidement une puissance aux moyens quasi illimités, Adrian Newey a eu le champ libre pour appliquer son "jusqu'au-boutisme", comme le décrit Cyril Abiteboul, qui l'a aussi côtoyé avec Renault, quand la firme française fournissait les moteurs à l'écurie autrichienne. "Quand Renault était motoriste de Red Bull, on a élaboré ensemble le soufflage, le renvoi de l'air des échappements dans l'arrière de la voiture pour créer de l'appui. Il ne voyait pas simplement un moteur comme un moteur mais comme un outil pour générer de l'appui aérodynamique, pour faire en sorte que la voiture accélère mais passe aussi plus vite en courbe."

Fin limier pour déceler les failles ou les zones grises d'un règlement technique pour en tirer un avantage inédit, "sa vision et son génie ont aidé à remporter 13 titres en 20 saisons", comme le rappelait le directeur de l'écurie Red Bull Christian Horner dans le communiqué annonçant le départ d'Adrian Newey. "Red Bull n'a pas toujours gagné parce qu'à un moment Mercedes avait un moteur tellement dominant, et la réglementation faisait que le moteur était le facteur dominant. En dehors de cette exception, depuis 2009, Red Bull écrase la discipline d'une certaine manière sur le plan aérodynamique." Jusqu'à faire de Max Verstappen le triple champion du monde en titre de Formule 1, vainqueur de 19 des 22 courses la saison dernière et lancé en 2024 sur les mêmes standards d'hégémonie avec quatre succès en cinq Grands Prix.

Red Bull bat de l'aile

Cette réussite sportive sans partage s'est toutefois heurtée à des soubresauts en coulisses chez Red Bull. Adrian Newey a progressivement pris du recul sur les activités F1, diversifiant son activité à partir de 2018, pour participer à d'autres projets de la marque, tout en supervisant les nouvelles monoplaces. "Il en est arrivé à être moins engagé même chez Red Bull parce que le règlement l'ennuyait, estime Cyril Abiteboul. Ce qui l'anime, c'est la gagne, et la technologie qui le fascine." Les agitations extra-sportives, du décès du fondateur de Red Bull Dietrich Mateschitz en 2022 à l'affaire Christian Horner, accusé de harcèlement en début de saison avant d'être blanchi par une enquête interne, auront fini par donner envie d'autre chose à l'un des piliers de la réussite de Red Bull.

"L'engagement qu'avait Dietrich Maseschitz absolument sans aucune concession pour gagner, c'est ce qui faisait tenir l'ensemble et fonctionner l'alchimie, avance notre consultant. Et c'est ce qui faisait rester Adrian Newey. La force de Red Bull réside dans son triumvirat entre Newey, Christian Horner et Helmut Marko, responsable de la filière de détection des jeunes pilotes, qui a façonné Sebastian Vettel ou Max Verstappen. La perte d'Adrian Newey, c'est celle d'un leader technique, charismatique, mais aussi d'un des éléments fondamentaux de ce trio, qui va s'en retrouver encore plus déstabilisé qu'il ne l'est déjà, après toutes les péripéties du début d'année."

Au premier rang de gauche à droite, Adrian Newey, Christian Horner et Helmut Marko, cadres de l'écurie Red Bull, entourés de leurs deux pilotes Sergio Pérez (casquette blanche, à gauche) et Max Verstappen (à droite) (CHRIS GRAYTHEN / AFP)

Ecarté complètement du département Formule 1 jusqu'à son départ en 2025, Adrian Newey a désormais le choix d'une retraite méritée, à 65 ans, ou d'un dernier défi. Les prétendants à sa signature ne manquent pas, à l'aube d'un changement majeur pour la Formule 1 avec un nouveau règlement technique en 2026, et de nécessaires évolutions qui ont fait la carrière de légende de l'ingénieur. "Les évolutions de règlement sont souvent la clé, une fois que l'étincelle d'une bonne base est là", décrivait l'intéressé en 2017 dans son autobiographie. De quoi laisser imaginer une révolution dans une discipline qui commence à tourner en rond, ce à quoi Newey avait déjà largement contribué.

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