Paris-Roubaix : la trouée d'Arenberg, piège de l'Enfer du Nord et terrain des grandes offensives
Véritable Styx de l'Enfer du Nord, la trouée d'Arenberg est la légende dans la légende. Long de plus de deux kilomètres, le secteur pavé le plus difficile de Paris-Roubaix a construit son propre mythe au fil des chutes, des crevaisons, des attaques et des échappées. Les coureurs découvriront, dimanche 7 avril, à l'occasion de la 121e édition, une nouvelle chicane à l'entrée du secteur, ajoutée pour réduire les risques de chute mais qui pourrait aussi en faire un terrain d'attaque privilégié pour les favoris.
La célèbre ligne droite, notoirement révélée par l'ancien mineur et coureur cycliste nordiste Jean Stablinski, est crainte des favoris qui savent qu'ils peuvent y abandonner tous leurs espoirs de victoire finale. "Quand on sort de la tranchée d'Arenberg, on sait si on va être dans le final ou non. Si on a les 'pattes' faciles, on pourra disputer la victoire", résume Gilbert Duclos-Lassalle, vainqueur de l'épreuve en 1992 et 1993.
"Cette trouée fait peur à tout le monde"
Trop loin de l'arrivée (95 kilomètres) pour y lancer l'attaque décisive, mais si difficile à traverser qu'on peut déjà y perdre tout espoir, la trouée d'Arenberg se voit souvent réduite à un poncif trop simpliste : on pourrait y perdre Paris-Roubaix, mais pas le gagner. En réalité, si les succès se concrétisent plus tard, ils s'esquissent parfois dès la trouée d'Arenberg. "En 1992, je suis sorti dans la tranchée (avec Rik Van Slycke, Thomas Wegmuller et Danny Van Poppel) et j'ai repris l'échappée, avant de partir seul vers la victoire", raconte Gilbert Duclos-Lassalle, alias "Gibus".
La tranchée est un entonnoir qui fait exploser les groupes formés et sépare définitivement les prétendants à la victoire des courageux dont on ne retiendra pas la place finale. L'année dernière, le vainqueur sortant, Dylan van Baarle, a chuté sur les pavés disjoints d'Arenberg, et ils n'étaient plus que dix favoris dans le groupe de tête à la sortie, dont le vainqueur final Mathieu van der Poel.
La pluie, qui a arrosé le nord de la France cette semaine, devrait noircir de boue les pavés de la trouée ce week-end, rendant la chaussée plus piégeuse encore malgré les efforts des bénévoles et des chèvres mises à contribution pour nettoyer et désherber.
"Cette trouée fait peur à tout le monde, confie Julien Jurdie, directeur sportif de l'équipe Décathlon-AG2R, dans un entretien à l'AFP. On arrive à grande vitesse et tout le monde veut être dans les 20 premiers. C'est une vraie guerre du placement. Quand tu es coureur, tu fermes les yeux et tu fais une prière."
Un nouveau tournant dans le monument
Un monument se reconnaît à l'émoi qu'il suscite. L'ajout d'une chicane à l'entrée du secteur, annoncé mercredi pour ralentir le peloton avant son arrivée sur les pavés, a été publiquement salué par certains coureurs sur les réseaux sociaux (Dylan Van Baarle, Matteo Jorgenson) et décrié par d'autres : "Est-ce une blague ?" s'est étonné Mathieu van der Poel sur X. Les débats sur les dangers du secteur d'Arenberg ne datent pas de cette semaine, comme en témoignent les réactions à la chute du favori Johan Museeuw en 1998.
Au-delà des questions de sécurité que ce nouveau crochet soulève, il pourrait bien offrir un rôle prépondérant à la trouée dans le scénario de la course de dimanche : "Avec une entrée plus lente à Arenberg, les coureurs ne l'attaqueront pas avec de la vitesse et de l'élan. Cela va rendre ce secteur encore plus difficile qu'auparavant", explique Adam Hansen, président du syndicat des coureurs (CPA) qui est à l'origine de la demande d'ajustement du parcours. Favori annoncé et adepte des attaques lointaines, Mathieu van der Poel pourrait, ce dimanche, lancer les grandes manœuvres dès la drève des Boules d'Hérin, appellation officielle de la redoutée tranchée.
Abordée à 25 km/h contre presque 60 habituellement, la tranchée d'Arenberg profitera aux coureurs les mieux placés et les plus puissants, capables de frotter et de relancer sur les pavés : "Les coureurs vont rouler encore plus vite dans la traversée d'Arenberg et frotter fort pour placer leur leader avant les virages et la trouée", annonce Gilbert Duclos-Lassale. De quoi décanter la course à près de cent kilomètres de l'arrivée, et transformer la fossoyeuse d'espoirs en rampe de lancement pour le vainqueur final ?
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