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Récit Thibaut Pinot, grimpeur abonné aux montagnes russes et idole d'une génération

France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
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Thibaut Pinot après la 20e étape du Tour de France 2023, au Markstein, le 22 juillet. (AFP)
En treize ans dans le peloton professionnel, Thibaut Pinot n’a jamais remporté la Grande Boucle, mais il est entré dans le cœur du public comme peu de coureurs avant lui.

C'est une page d'histoire qui se tourne. Thibaut Pinot va accrocher, samedi 7 octobre, son dernier dossard de cycliste professionnel, sur le Tour de Lombardie, ce Monument qu’il chérit tant, et qu’il a remporté en 2018. A 33 ans, le leader emblématique de la Groupama-FDJ s'apprête à laisser derrière lui une équipe, et plus généralement un sport, qu'il aura marqués : "Ça va être dur. Il va falloir tourner la page. On a envie que ce moment n’arrive jamais. Il va falloir passer par une sorte de deuil", glisse son coéquipier Rudy Molard. Marc Madiot, son seul et unique manager chez les professionnels, prend la roue : "On se dit merde, il était différent. Il va nous manquer. Toute ma famille a voulu être là. C’est comme ça, ça ne s’explique pas…"

Preuve de sa place à part dans le peloton français, Thibaut Pinot va bénéficier d'un soutien unique sur cette ultime course. Plusieurs centaines de membres du Collectif Ultras Pinot ont franchi les Alpes. Pour lui rendre hommage, le "CUP" a prévu un spectacle inédit pour une course cycliste : un cortège et un tifo, façon supporters de foot. "Tout est parti d’une blague sur WhatsApp, et nous voilà aujourd’hui", rigole Humbert, l’un des sept fondateurs de ce groupe à la gloire de Thibaut Pinot, et qui a repris les initiales du Collectif Ultras Paris du PSG. "Quand il va au Parc des Princes, Thibaut va lui-même chanter avec eux, plutôt qu’en loge. Ce groupe ultra, c’était la meilleure façon de le suivre", justifie Humbert.

L'élu de tout un peuple

Pour les mordus de pédales, Thibaut Pinot, cela a d’abord représenté l’espoir. Celui de voir enfin un Tricolore s’imposer sur le Tour de France, ce que le pays attend désespérément depuis 1985 et le dernier sacre de Bernard Hinault. Alors quand, pour son premier Tour en 2012, le rookie lève les bras sur la 8e étape à Porrentruy avant d’être le plus jeune coureur français à finir dans le top 10 de la Grande boucle depuis Raymond Impanis en 1947, tous les rêves sont permis. Au point que l’Equipe titre sa Une du lendemain : "Pinot gagnera-t-il le Tour ?"

"On se dit qu’on a trouvé l’élu pour succéder à Hinault. C’est un coup de cœur sportif pour un coureur qui a de la classe, du panache", se souvient Humbert, vite conquis par ce jeune coureur de 22 ans à peine, comme la toute puissante écurie Sky d’alors, qui n’arrivera jamais à le convaincre.

Les cœurs tricolores devront toutefois patienter deux ans avant de chavirer à nouveau dans la roue de Pinot. Après son abandon en 2013 pour cause d’angine, le grimpeur est de retour sur la Grande boucle en 2014 pour ce qui sera son meilleur cru. À 24 ans, Thibaut Pinot termine 3e du Tour de France, avec le maillot blanc de meilleur jeune sur les épaules. L’avenir s’annonce radieux.

Fer de lance de la Groupama-FDJ, le natif de Lure ne connaîtra pourtant jamais plus les joies d’un podium sur les Champs Elysées. À l’image de son Tour 2013, il noue alors une relation étroite et non consentie avec la poisse et le virus. L’une et l’autre le poussent tantôt à l’abandon, comme sur le Tour 2016 et 2017, tantôt à revoir ses ambitions à la baisse. C’est ainsi qu’en 2015, après une première semaine minée par les pavés du Nord, il disparaît des rétroviseurs des favoris. Avant de se relever, lors de la 20e étape, pour une victoire mythique à l’Alpe d’Huez. 

Docteur Pinot, mister poissard

À lui seul, ce Tour 2015 résume ainsi la carrière accidentée d’un grimpeur abonné aux montagnes russes émotionnelles. "Il est souvent tombé malade au mauvais moment. Ça lui a joué des tours dans sa carrière. Sans ça…", imagine Rudy Molard, à ses côtés de 2017 à 2023, qui précise : "En revanche, contrairement à ce qu’il s’est dit, il avait un mental d’acier". Loin du coureur fragile souvent dépeint, Thibaut Pinot avait tout du leader charismatique, assure Molard : "Il savait fédérer autour de lui. On était une bande de copains, on se surpassait pour lui. Des fois, en course, je faisais le tempo pour lui alors qu’en son absence, j’aurais été décroché depuis un moment."

"Thibaut nous transcendait, même à l’entraînement. À mon arrivée à la FDJ, quand j’ai vu son allure, j’ai halluciné. C’était une autre dimension."

Rudy Molard

à franceinfo: sport

Le tout sans jamais hausser sa voix teintée de l’accent franc-comtois. A la FDJ, Thibaut Pinot laissait volontiers le rôle de grande gueule à Marc Madiot. Ce qui arrangeait bien ce grand timide, plutôt tête en l’air, reconnaît aujourd’hui le manager de la FDJ : "Quand il connaît les gens, c’est un déconneur. Il vit en vase assez clos, son entourage est assez restreint. Ce n’est pas un expansif, il a besoin de connaître et de savoir qui il a en face lui. Après, il se lâche". 

"Fêtard non, mais déconneur oui. Il est un peu moqueur, mais gentiment. Il a beaucoup de second degré. C’est un homme entier. Quand on est avec lui, on est soi-même."

Rudy Molard

à franceinfo: sport

Atypique, différent, unique, simple, particulier… Quand on aborde le personnage Pinot dans le monde du vélo, son authenticité éclipse tout le reste. Ultra-offensif et incapable de rester en place dans le peloton, celui qui se voyait policier ou pompier étant petit avant de se rêver en Richard Virenque, a toujours détonné, tant par sa personnalité que par sa façon de courir.

"Il n’avait pas forcément les mêmes façons d’aborder les choses. Là où, nous, on a des convictions et des certitudes, Thibaut a des doutes. Il fallait le rassurer et en même temps il était déroutant", tente de résumer Marc Madiot. "On pensait parfois que ça partirait en jus de boudin et il arrivait à gagner la course le lendemain."

La parenthèse italienne

Cette imprévisibilité, pour le meilleur et pour le pire, en a fait un forçat de la route fascinant. Mais ce n’était pas la seule carte de ce dur au mal, qui, malgré sa timidité, ne masquait rien sur le vélo."Tous les champions vont loin dans la douleur, mais je n’ai jamais vu quelqu’un aller aussi loin que Thibaut, et ça se voyait sur le vélo", assure Rudy Molard. De l’autre côté de l’écran, Humbert confie d’ailleurs que l’humanité de Pinot ne l’a rendu que plus apprécié : "Il est devenu de plus en plus attachant dans ses doutes, ses échecs, ses grands succès."

Le principal concerné, lui, a alors ressenti le besoin de prendre ses distances avec une Grande Boucle qui ne lui accordait plus ses faveurs. En 2017, celui qui n’a jamais caché son intérêt pour le maillot arc-en-ciel de champion du monde et pour la tunique rose du Giro, s’est lancé dans une romance italienne. "Ce Giro 2017, où il finit quatrième et remporte l’étape reine, c’est mon plus grand souvenir avec lui", rembobine Rudy Molard. Là encore : il ne fera jamais mieux. Troisième l’année suivante à la veille de l’arrivée, il abandonne le Giro 2018 à cause d’une pneumopathie. 

Cette parenthèse italienne le verra toutefois réaliser l’un de ses rêves : remporter le Tour de Lombardie, en 2018, en solitaire. Cette victoire dans le Monument de l’automne sert alors de déclic. Après l’impasse en 2018, Thibaut Pinot revient sur le Tour de France 2019 en sachant que, lui aussi a le droit de gagner. Et cela change tout. "C’est sans doute son pic sportif, et il arrive libéré, avec beaucoup d’autodérision", rejoue Humbert. "Peu de sportifs de son rang sont aussi cashs et naturels dans leur communication. J’adore son franc-parler et le sentiment que ça pourrait être un pote."

Le Tour 2019, si près, si loin

Ce Tour 2019 s’apprête à faire basculer Thibaut Pinot dans les légendes des perdants "à la Française". Déjà proche de Raymond Poulidor pour son côté terroir, lui qui cajole ses animaux dans sa ferme jurassienne - au point d’avoir un compte instagram pour une de ses chèvres -, le Franc-Comtois en devient la version contemporaine sur la 19e étape.

Alors que le maillot jaune de Julian Alaphilippe ne tient qu’à un fil, Pinot, vainqueur quelques jours plus tôt au Tourmalet, plane sur la course. Seul Egan Bernal parvient à le suivre. Mais, soudain paralysé par une lésion à la cuisse, il abandonne dans la 19e étape, laissant le Colombien se parer de jaune."C’est la plus grosse claque de ma carrière", confie alors le Français en larmes après ce terrible dénouement qui, paradoxalement, fait définitivement basculer sa cote de popularité.

"Tibopino" n’est alors plus seulement l’idole des puristes romantiques du cyclisme, il est le héros maudit d’un pays. "On s’identifie humainement à ce sportif qui fait des trucs de fou et qui s’écroule aussi, parfois. C’est cette destinée qui l’a fait rentrer dans le cœur des gens", estime Humbert, "Ce n’est pas le seul à avoir des failles, mais le seul qui en assume d’aussi grandes", résume Madiot avec son sens de la formule.

La suite ? Une cascade de déceptions. Pas franchement remis de ce coup de massue, le leader de la FDJ aborde le Tour 2020 de la pire des façons en chutant sous la pluie niçoise, le jour du départ. Malgré un dos meurtri, il va au bout de cette édition, sans savoir que cette chute va le priver de l'édition 2021. Alors, quand il annonce, pendant l’hiver 2023, sa retraite à l’issue de la saison, l’élan populaire se mobilise. Prévu sur le Giro, dont il finira 5e, Thibaut Pinot est appelé par tout un pays sur la route du Tour. Entendu, cet appel donne lieu au plus incroyable des jubilés jamais reçu par un cycliste.

Une fin en pente douce

Lors de la 20e étape, sur ses routes d’entraînement, le Collectif Ultras Pinot (déjà lui) lui réserve un accueil monumental dans le col du Petit Ballon. Échappé, Thibaut Pinot y arrive seul en tête, pour un dernier frisson colossal, avant de se faire reprendre. La vague d’amour qu’il a suscitée lui revient en pleine face. Quelques milliers de personnes transforment ces lacets alsaciens en stade de foot, sous les yeux d’Humbert : "On avait des gens de toutes les tribunes de France, qui venaient reprendre des chants de tous les clubs, mais réécrits pour Pinot. Des Marseillais qui chantent des airs du PSG, des Stéphanois qui chantent avec des Lyonnais…"

Le peuple de la Grande Boucle salue ainsi son héros, qu’il n’aura jamais vu en jaune, mais qui aura laissé une empreinte plus grande que nombre de porteurs de la précieuse tunique. Encore un point commun avec "Poupou". Le véritable jubilé, toutefois, aura lieu ce samedi 7 octobre sur les routes de la Lombardie. De l’aveu même de son manager, Thibaut Pinot n’aura, aujourd’hui, pour mission que de profiter du moment, et de le fêter comme il se doit. Le futur ? Personne ne le connaît vraiment. "Thibaut directeur sportif ? Sûrement pas. Il reviendra peut-être un jour, mais pas tout de suite en tout cas", tranche Marc Madiot

Seule certitude : celui qui n’apprécie rien tant que les barbecues au bord de son étang devrait vite rentrer dans sa ferme de Mélisey, au milieu de sa basse-cour et des matchs de foot entre copains. Cet été, il a toutefois fait une promesse au Virage Pinot, révèle Humbert : "Thibaut a dit que le virage ne mourra pas. On ne sait pas trop ce qu’il entend par là, mais on verra". En attendant, le Franc-Comtois aura tout le temps d’aller actualiser son tatouage sur l’avant-bras qui clame, en italien, que "Seule la victoire est belle". Après tout, Thibaut Pinot a prouvé le contraire pendant treize ans. 

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