Cyclisme : d'un triplé à l'autre, une saison de monopole pour la Jumbo-Visma
Primoz Roglic sur le Giro, Jonas Vingegaard sur le Tour de France, et désormais Sepp Kuss sur la Vuelta. Voilà le butin des abeilles de la Jumbo-Visma en 2023. La formation néerlandaise est devenue, dimanche 17 septembre, la première équipe de l'histoire à remporter les trois Grands Tours lors d'une même saison. Un triplé qui en cache un autre, puisque la Jumbo-Visma s’est également offert le luxe de monopoliser les trois premières places du classement général sur le Tour d’Espagne, Sepp Kuss étant accompagné sur le podium par ses deux coéquipiers, Jonas Vingegaard et Primoz Roglic.
Le rose du Giro, le jaune du Tour de France et le rouge de la Vuelta. Les trois couleurs désignant le leader de chacune des courses ont été exhibées fièrement par la Jumbo-Visma dans les rues de Madrid, avec une tenue inédite et des vélos personnalisés pour ses trois leaders. "Ce triplé [sur les trois Grands Tours], on l’avait en tête en novembre dernier déjà. Il fallait le réaliser marche après marche", confiait Richard Plugge, manager de l’équipe, au micro d’Eurosport samedi.
Un Giro mal embarqué puis renversé
Si le plan a connu un dénouement parfait, son exécution avait pourtant mal commencé. En mai, le Covid-19 est venu mettre des bâtons dans les roues de la Jumbo Visma (en plus de la chute à l'entraînement de Jan Tratnik), contrainte de procéder à quatre changements à quelques heures du grand départ. Articulée autour de Primoz Roglic, la formation néerlandaise a gardé le même objectif, "gagner le Giro", d'après les propres termes du directeur sportif Mark Reef.
La spirale de malchance s’est inversée, et c’est le principal adversaire de Primoz Roglic, Remco Evenepoel, qui a été rattrapé par le Covid-19 après 9 étapes, alors qu’il portait le maillot rose de leader avec plus de 40 secondes d’avance sur le Slovène. Une fois l'ex-champion du monde sur le carreau, Roglic a limité la casse dans son duel avec Geraint Thomas (Ineos Grenadiers) avant de renverser la course lors de l'avant-dernière étape. Sa victoire dans le contre-la-montre du Monte Lussari, en dépit d'un saut de chaîne en pleine montée, lui a permis de récupérer le maillot rose pile à temps pour la parade à Rome. De quoi conjurer le sort, trois ans après sa défaillance dans le chrono de La Planche des Belles Filles sur le Tour.
Si la victoire au classement général s’est jouée pour 14 secondes sur le Giro, le Tour de France, lui, sera moins serré. Avec 7 minutes et 29 secondes d’avance sur son dauphin Tadej Pogacar à Paris, Jonas Vingegaard a écrasé la Grande Boucle et marqué les esprits en troisième semaine avec son contre-la-montre supersonique entre Passy et Combloux, qui l'a vu prendre plus d’une minute et trente secondes d’avance sur son rival de l'équipe UAE en seulement 22,4 kilomètres. Assommé, Pogacar ne s’en relèvera pas et perdra près de six minutes supplémentaires le lendemain dans l'étape reine et l'ascension du terrible col de la Loze.
Triplé sur un même Grand Tour, une première depuis 1966
Derrière le sacre de ces deux monstres du peloton se cache un travail collectif impressionnant. Les abeilles de la Jumbo-Visma piquent en essaim et sont du genre à étouffer leurs adversaires dans les cols tout en étant en supériorité numérique. Leur leader n'est jamais seul dans les moments cruciaux. L'homme clé se nomme Sepp Kuss. Depuis son recrutement en 2018, l'Américain est de tous les sacres en Grand Tour de son équipe. Alors, malgré la fatigue engrangée sur le Giro et le Tour, ce dernier a été sélectionné pour remettre le couvert sur la Vuelta.
Débarqué avec le rôle d’équipier de Jonas Vingegaard et Primoz Roglic en Espagne, Kuss est devenu un leader par les circonstances de course. Une échappée prise en montagne sur la sixième étape qui le place en deuxième position du classement général, puis quelques difficultés pour le maillot rouge Lenny Martinez trois jours plus tard, et le voilà leader du Tour d’Espagne. Une position qui devient idéale quand Remco Evenepoel craque dans le Tourmalet et que les trois premiers du général sont les trois grimpeurs de la Jumbo-Visma. Difficile alors pour Jonas Vingegaard et Primoz Roglic d'attaquer celui qui a largement contribué à leurs plus grands faits d'armes.
Pour satisfaire tout le monde au sein de la Jumbo-Visma, les deux leaders d’origine se sont réparti les victoires d'étapes (deux chacun). Du Tourmalet à l’Angliru, les deux étapes reines du Tour d’Espagne voient triompher les jaune et noir avec des triplés historiques, 1-2-3 à l’arrivée, qui concrétisent la devise de l’équipe "Samen Winnen" ("Gagner ensemble"). Ces triplés en mènent à un autre : un podium 100% Jumbo-Visma à Madrid. Il fallait remonter à 1966 pour trouver un précédent à cette performance au classement général final d'un Grand Tour, avec le triplé de l’équipe Kas-Kascol sur la Vuelta (où seulement neuf équipes étaient engagées).
Une domination qui soulève des doutes
Aussi impressionnante soit elle, une telle domination ne ravit pas forcément les passionnés et suscite la suspicion de beaucoup d'observateurs. Jonas Vingegaard avait déjà dû s’en expliquer sur le Tour de France, et Sepp Kuss a, à son tour, été interrogé sur le sujet en Espagne : "Tricher ou se doper est juste hors de question pour moi. La défaite fait partie du sport. L’une des choses les plus importantes pour moi dans le sport est d’accepter que parfois, vous n’êtes pas assez bon".
"Le vélo paye son passé. C’est logique qu’on s’interroge quand il y a des dominations individuelles ou collectives. Mais sans preuve, je n’irai pas sur ce terrain-là. On n’a pas attendu cette Vuelta pour savoir qu’ils étaient les meilleurs, affirme Thomas Voeckler, ancien coureur et consultant France Télévisions. Ce ne sont pas des gars qui arrivent de nulle part, et quand ils sont à leur meilleur niveau, ils sont meilleurs que les autres, d’autant que Pogacar n’était pas là en Espagne, et qu’Evenepoel a eu un coup de mou. Pour moi ce classement est épatant mais pas surprenant".
Julien Jurdie, directeur sportif d’AG2R-Citroën est lui aussi impressionné et explique cette domination par une richesse d’effectif sans pareille au micro de la RTBF. "Ils ont les meilleurs équipiers du monde. Des gars qui seraient leaders chez nous. Personnellement, je passe beaucoup de temps avec eux, que ce soit en course ou en stage dans la Sierra Nevada. On sent très bien qu’il y a un grand professionnalisme. J'ai envie d’y croire et ne pas émettre de doutes."
Un calendrier pensé pour briller
Les trois leaders de la Jumbo-Visma se sont également concentrés sur un calendrier uniquement centré sur des courses à étapes, afin de se préparer au mieux pour les Grands Tours, contrairement à Tadej Pogacar ou encore Remco Evenepoel, tous deux engagés dans une course aux Monuments. Le Slovène s’est mis en évidence sur les classiques flandriennes et ardennaises, tandis que le Belge a remporté Liège-Bastogne-Liège.
"Dans le cyclisme d’aujourd’hui, il faut tout calculer. Le calendrier compte évidemment. J’imagine mal qu’on puisse être présent dans le final du Tour des Flandres et ensuite être performant sur plusieurs Grands Tours", note Thomas Voeckler. Avec ce calendrier, l'équipe néerlandaise n'a pas seulement gagné les trois Grands Tours, elle s'est aussi imposée sur huit autres courses à étapes, dont Tirreno-Adriatico, le Tour de Catalogne et celui du Pays-basque.
Les trois têtes d'affiche de la Jumbo-Visma sont encore sous contrat l'année prochaine. Un nouveau lieutenant a déjà été recruté, en la personne de Matteo Jorgenson (Movistar). "On a déjà commencé à penser à ce qu’on pourra faire de mieux l’année prochaine", assure Richard Plugge. Pas question pour le patron de la meilleure équipe du monde de se contenter de la razzia de 2023.
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