Actions du 8 mars, partenariat avec l'association Her Game Too... Le football français s'organise pour lutter contre le sexisme dans ses stades

Article rédigé par Sasha Beckermann, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Pancarte trouvée après la grande marche organisée par le mouvement féministe Nous toutes contre les violences conjugales, sexistes et sexuelles, les féminicides, le patriarcat et en solidarité avec toutes les femmes victimes, le 23 novembre 2019. (AMAURY CORNU / HANS LUCAS)
Dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes, vendredi, la Ligue de football professionnelle (LFP) dévoile une campagne pour mettre en lumière les supportrices, et un partenariat avec l’association Her Game Too France.

"Parce que le douzième homme est aussi une femme, célébrons toutes les spectatrices des stades." C’est par cette phrase que se termine le clip de sensibilisation de la Ligue de football professionnel (LFP) pour le lancement d’un combat plus large : la lutte contre le sexisme dans les stades. Seules, à plusieurs, en famille, les femmes sont de plus en plus présentes dans les stades de Ligue 1 - environ 17% en Ligue 1 et 15% Ligue 2 en 2022, selon une étude réalisée par le cabinet Nielsen Sports pour la LFP, contre 11% en 2013. Lors des 25e et 28e journées de Ligue 1 et Ligue 2, ce week-end du 8 mars, plusieurs actions vont accompagner les rencontres : la diffusion du clip de sensibilisation, des escorts kids filles, la présence de ramasseuses de balles…

La Ligue s’est associée avec l'association Her Game Too, née au Royaume-Uni et installée en France depuis 2022, qui sensibilise aux problématiques de sexisme dans les stades et lutte pour une plus grande inclusivité dans le sport. "On a souhaité travailler avec une association qui soit connectée au football. Her Game Too, ça a été une opportunité, à travers son réseau d’ambassadrices et de femmes qui vont au stade. C’est une formidable illustration de ce qu’il se passe dans les tribunes", confie-t-on du côté de la LFP. 

Un intérêt record des femmes pour le football

Emilie, supportrice du FC Nantes et abonnée en tribune Loire depuis huit ans, a été victime de sexisme et d’agression sexuelle au stade : "C'était principalement des phrases du genre 'T'es une femme, tu ne sais même pas ce qu'est un hors-jeu', 'Tu ne viens au stade que pour mater les joueurs, trouve-toi une autre tribune'... Mais il y a eu également des gestes, notamment des mains baladeuses pendant les pogos ou encore des mains aux fesses. Il était grand temps que la LFP fasse quelque chose", s’exclame la jeune femme de 23 ans. "Tant mieux si cette campagne permet de libérer la parole des femmes", réagit la Ligue. 

En novembre dernier, des supportrices lensoises avaient dénoncé des fouilles "poussées au niveau des parties intimes" avant l'entrée dans le stade Océane du Havre. Au total, huit plaintes avaient été déposées, toutes par des supportrices de Lens, et toutes classées sans suite selon La Voix du Nord

Cette campagne a été lancée dans un contexte d’augmentation de la part du public féminin dans les stades de football. Selon un baromètre d’images Ipsos réalisé en novembre-décembre 2023 pour la LFP, l’intérêt des femmes pour le ballon rond n’a jamais été aussi élevé : 11,4 millions de femmes se disent intéressées par le football. Un chiffre en hausse de 1,6 million en un an. 

"Nous, ce qu’on attendait, c’était une campagne réaliste. On ne voulait pas être donneurs de leçon. On ne voulait pas être dans le pathos, parce que le football c’est très souvent une fête, surtout en tribunes. Les femmes y participent aussi", souligne Anoush Morel, présidente de Her Game Too France. L’association n’a pas attendu la LFP pour lancer ses actions auprès des clubs. Elle a déjà signé des conventions de partenariat avec l’AS Saint-Etienne, le Toulouse FC ou tout récemment l’AJ Auxerre et les discussions avec l’Olympique lyonnais sont très avancées.

L’AS Saint-Etienne est ainsi le premier club français à avoir signé une convention avec l'association, en février dernier. "L’inclusion à l’ASSE est l’un des trois piliers de notre démarche RSE [Responsabilité sociétale des entreprises] qu’on a lancée l’année dernière. On voulait se tourner vers les femmes, on a un public assez féminin, entre 17 et 20% de nos abonnés sont des femmes. On veut que Geoffroy-Guichard soit un lieu inclusif, donc quand on a eu connaissance de cette association, on a rapidement voulu signer la convention qu’ils proposaient", observe Thomas Granger, responsable de la communication des Verts. 

Lors de ce week-end de lancement de campagne, le club va dévoiler plusieurs mesures, dont un formulaire sur internet qui permettra aux victimes et aux témoins de signaler les violences et le harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) à Geoffroy-Guichard : "Her Game Too récupère l’information et peut nous la transmettre après", souligne Thomas Granger. "C’est important que la Ligue se saisisse du sujet, ça met tout le football français dans le même mouvement."

"On travaille main dans la main avec les clubs, assure Anoush Morel. Ce sont eux la force invitante, c’est à eux de mettre en place des systèmes qui font que les stades soient des endroits sûrs pour les supportrices, ce sont eux qui forment les stadiers à réagir en  cas d’agression sexuelle… Il faut aussi que les clubs fassent en sorte que les femmes ne se sentent pas juste comme un '+1' au stade. Ce ne sont pas forcément des mamans qui accompagnent un enfant, ce sont des vraies supportrices qui sont amoureuses du football", ajoute-t-elle.

L’association a par exemple organisé un atelier fin 2023 avec le Stade rennais autour de la question de la prise en charge des violences sexistes et sexuelles dans les stades avec les personnels d'accueil et de sécurité du Roazhon Park. Elle compte bien multiplier ces ateliers de sensibilisation. 

Peu de leviers coercitifs à activer

Émilie, la supportrice nantaise, ne cache pas ses doutes sur l’efficacité de l’action de la Ligue : "J'ai peur que ça n'aide pas forcément à résoudre le problème... On voit que ça ne fonctionne déjà pas avec les campagnes de lutte contre le racisme ou encore l'homophobie, pourquoi ça fonctionnerait pour le sexisme ?" L’association de Her Game Too au projet est néanmoins positive selon elle : "Le travail de cette association sur le terrain est déjà impressionnant donc ça peut apporter beaucoup à nos tribunes."

La difficulté va être de continuer à faire vivre ce combat après cette journée internationale des droits des femmes. Les acteurs en sont conscients : "Avec cette première initiative-là, on se donne la possibilité de voir comment on peut mieux travailler en profondeur cette question avec les clubs, et comment ils peuvent s’en emparer. Chacun doit prendre sa part, doit prendre ses responsabilités", insiste la LFP, qui, comme pour la lutte contre le racisme et l'homophobie, va organiser des ateliers au sein des clubs. 

Mais peu de leviers sont à la disposition de la LFP pour sanctionner, contraindre, les clubs qui refuseraient de jouer le jeu. Chaque saison, la Ligue attribue une licence, sorte de cahier des charges que les clubs sont obligés de respecter, pour rassembler le plus de points possibles. Pour l’obtenir, un minimum de 7 000 points est requis pour les pensionnaires de Ligue 1, 6 000 pour ceux de Ligue 2 : "Aujourd'hui, dans la licence club, on a un critère qui valorise la tenue des ateliers de lutte contre les discriminations dans les clubs. Quand les clubs réalisent ces ateliers, ils gagnent des points." 

Les critères RSE, qui concernent les luttes contre les discriminations ou l'écologie, représentent en tout environ 1 000 points sur 10 000. L'obtention ou pas de cette licence ne conditionne pas la participation d'un club au championnat. Elle conditionne en revanche la perception des droits TV. Un club qui n'obtiendrait pas sa licence club ne percevrait que la moitié des droits TV auxquels il aurait pu prétendre, un manque à gagner non négligeable. 

"On verra quels clubs ont envie de le faire pour leurs supportrices et lesquels veulent faire ça pour faire plaisir à la Ligue", conclut Anoush Morel.  

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