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Affaire Anigo : la mafia est-elle entrée sur le terrain du football ?

Après les révélations sur de possibles liens entre José Anigo et le milieu, Hervé Martin Delpierre, réalisateur du documentaire "Sport, Mafia et corruption", répond aux questions de francetv info.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Lors des 32e de finale d'Europa league entre le Borussia Monchengladbach et la Lazio de Rome, le 21 février 2013. (FILIPPO MONTEFORTE / AFP)

L'OM se serait bien passé de ces nouvelles suspicions. Des écoutes téléphoniques dans le cadre d'une information judiciaire interrogent sur les rapports que José Anigo, le directeur sportif de l'Olympique de Marseille, pourraient entretenir avec la pègre, révèle RMC, vendredi 22 février. Après la découverte d’un réseau de matchs truqués européens, ces révélations sont-elles le signe d'une tentative de mainmise de la mafia sur le football ? Hervé Martin Delpierre, le réalisateur du documentaire Sport, mafia et corruption, qui a enquêté sur le fonctionnement des paris truqués, revient sur ce danger selon lui bien réel.

Francetv info : Au vu de l’affaire Anigo, comment expliquez-vous l’importance des liens de proximité entre la mafia et le football ?
Hervé Martin Delpierre : Les criminels se sont toujours intéressés au sport, pour l’image de la virilité et la médiatisation qui y est associée. En plus, certains gangsters ont parfois la même origine sociale que les sportifs. Ils viennent des mêmes quartiers, fréquentent les mêmes écoles. José Anigo partage ces mêmes origines. Il ne faut pas non plus oublier les agents de joueurs, qui ont toujours entretenu des relations étroites avec la criminalité. On sait qu’un agent peut influencer les décisions d’un joueur dans certaines affaires de paris truqués. La création de licences pour les agents par la Fifa avait pour but de lutter contre cette criminalisation, mais le problème demeure.

Cette affaire peut-elle être mise en parallèle avec le réseau géant de matchs truqués européens mis en lumière par l’Office européen de police Europole ?
La mafia marseillaise pourrait très bien prendre exemple sur les mafias italiennes. On se souvient de Crémone en 2010, où un gardien de but corrompu avait versé des somnifères dans la boisson de ses coéquipiers. Pour mémoire, le système est le suivant : les mafias locales contactent les joueurs de foot et tentent de les convaincre en leur proposant de l’argent ou en les menaçant. Elles s’assurent ainsi de pouvoir influencer le résultat et, quand elles en ont la certitude, elles approchent les mafias asiatiques [les triades] et indiquent la somme à miser. Les triades jouent le rôle d’intermédiaire et profitent de l’occasion pour miser (souvent des sommes encore plus conséquentes). C’est donc en Asie que se trouve le marché des paris. Environ 80% des paris concernant la Ligue 1 se déroulent à l’étranger, avec une énorme majorité en Asie.

Avec l’action récente d’Europole, pensez-vous que l’ampleur du problème est désormais pris en compte ou reste-t-il sous-estimé ?
Europole n’a pas révélé grand-chose de nouveau, mais s’est contenté de regrouper les chiffres disponibles en Italie, en Angleterre, en Allemagne. Environ 400 matchs truqués sur 27 000 rencontres européennes, c’est à la fois peu et beaucoup. Le phénomène est de toute manière sous-évalué car le marché européen n’est qu’une partie du problème. 

Qu’en est-il du football français? Certains considèrent qu’il ne peut pas être épargné.
Des cas ont été portés récemment devant le parquet de Paris, concernant des matchs de Ligue 2. Je sais que la mafia corso-marseillaise était suspectée pour l’un des matchs. Mais l’affaire a été classée sans suite, car il fallait prouver le blanchiment d’argent pour déterminer le caractère délictueux, ce qui est très difficile à faire.

Quelle est la marge de manœuvre des autorités dans cette lutte contre les paris truqués ?
L’arrivée d’internet et l’explosion des paris sportifs ont permis à la mafia de développer des activités indétectables, sans risques. Le crime organisé a toujours su compartimenter ses activités, avec toujours plus d’intermédiaires. Du coup, le seul levier reste de prouver la corruption à travers des affaires connexes. Par exemple à Bochum, en Allemagne [où des paris truqués ont été organisés par un gang croate], c’est une affaire de prostitution qui a permis de découvrir l’affaire. 

Pour le reste, les autorités doivent s’en remettre au débat politique, puisque chacun ne peut agir que sur son territoire. En Europe, des mesures doivent être prises pour harmoniser l’arsenal législatif de lutte contre les paris truqués. Le Conseil de l’Europe cherche à mettre en place une convention internationale à ce sujet. Il faut aussi que les fédérations internationales fassent pression sur chaque fédération nationale pour les contraindre à adopter des règlements contre la fraude sportive. Le Comité international olympique (CIO) y est parvenu, sur le dossier du dopage, avec la Chine. La Fifa devrait s’en inspirer pour forcer le Brésil à agir. La Coupe du monde de football s’y déroule l’an prochain et on observe déjà un mouvement des paris asiatiques vers l’Amérique latine.

La Fifa, suspectée de corruption en interne, est-elle vraiment capable d’agir ?
C’est l’intégrité du football qui est en question. En Chine, en Albanie, il n’y a plus personne dans les stades, vu que l’enjeu a disparu à cause des paris truqués. Tout le monde le dit, c’est le plus grand fléau du sport en général. Il faut du temps pour agir, mais on observe des évolutions. On a vu par exemple, en 2012, le président du Conseil italien, Mario Monti, proposer une suspension du championnat pendant deux ou trois ans afin d’assainir la situation. Les politiques sont également très liés au monde du football et ils ont compris qu’ils n’avaient pas d’autres choix que de lutter contre les paris truqués.

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