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Comment Sepp Blatter est passé entre les mailles de la justice

Le vieux renard à la tête de la Fifa depuis seize ans traîne une impressionnante batterie de casseroles, mais n'a jamais été vraiment inquiété. 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le président de la Fifa, Sepp Blatter, le 20 mars 2015 à Zurich (Suisse).  (PHILIPPE SCHMIDT / GETTY IMAGES EUROPE)

Sepp Blatter, c'est le "dictateur qui a le mieux réussi sans avoir de sang sur les mains" pour le journal britannique The Guardian. A la tête de la Fifa depuis 1998, il se présentera vendredi 29 mai à la présidence de la Fédération internationale de football (sauf imprévu). Et peu importe le vaste coup de filet de la justice américaine – 14 arrestations dans les cercles proches du pouvoir – et l'enquête de la justice suisse sur les conditions d'attribution des Mondiaux 2018 (Russie) et 2022 (Qatar). Car le dirigeant suisse, âgé de 79 ans, est un fin politicien qui en a vu d'autres. 

De solides alliés tu te ménageras

Qui a dit : "Sepp Blatter est un homme charmant. Il connaît le nom de chaque président de fédération, et le nom de sa femme avec" ? Michael Van Praag, un des opposants à Blatter un temps candidat à la présidence, cité par le Financial Times (en anglais). Lors d'une visite en République dominicaine, le président de la fédération locale l'a comparé à Jésus-Christ, à Nelson Mandela et à Winston Churchill. "En quoi est-il différent de ces gens-là ?" s'est interrogé Osiris Guzman... suspendu un mois de ses fonctions par Blatter en 2011 pour achat de vote, raconte Bloomberg. Sincérité ? Basse flagornerie ? Un peu des deux ?

Sepp Blatter a depuis longtemps compris que le centre de gravité du football ne se situe plus en Europe. Surtout dans un système électoral où la voix des Iles Caïmans pèse autant que celle du Brésil. D'où de fréquents déplacements dans le monde (la Fifa compte plus de membres que l'ONU) et l'octroi généreux de subventions pour installer des terrains de foot dans les lieux les plus reculés du globe. 

Les mains dans le cambouis tu ne mettras pas

Malgré la liste impressionnante de casseroles que la Fifa traîne depuis sa présidence, Sepp Blatter n'est personnellement impliqué que dans une poignée d'entre elles. En 2014, il répond à une journaliste du Washington Post : "Vous parlez de corruption ? Montrez-moi les preuves !"

Et, malgré un faisceau de présomptions accablant, les preuves manquent. Prenez son élection controversée, en 1998. Farah Addo, vice-président de la confédération africaine de football, explique à CNN qu'il a vu les dirigeants africains faire la queue pour récupérer une enveloppe de 5 000 dollars dans les couloirs de l'hôtel Méridien Montparnasse de Paris (5 000 de plus une fois Blatter élu). "Mais je ne peux pas affirmer que Blatter ou ses proches collaborateurs étaient impliqués."

Quatre ans plus tard, Blatter enrôle un ancien arbitre, Lucien Bouchardeau, pour 25 000 dollars. Son but : déterrer des informations compromettantes sur Addo. Blatter ne nie pas le paiement, mais le but : "A cause d'Addo, Bouchardeau était dehors, dans le froid, en Afrique. Il m'a dit, avec des larmes dans la voix, qu'il n'était qu'un pauvre diable et qu'il n'avait plus rien. Donc je lui ai donné 25 000 dollars de ma poche. Je suis vraiment trop bon !" se gargarise Sepp Blatter, cité par Slate (en anglais). Et quand un livre sur l'élection – How They Stole the Game – sort en 1999, il balaie : "Je ne peux pas vraiment ouvrir d'enquête sur moi-même. Et puis, les élections sont terminées."

Difficile de prouver un quelconque enrichissement personnel illicite. Lors de l'affaire ISL – la société qui gérait les droits marketing de la Fifa – plus de 100 millions de dollars de pots-de-vin ont été découverts, sans aucun centime à Blatter, note Sporting Intelligence (en anglais). "Je considère que Blatter est un homme très intelligent, qui sait ce qu'il doit faire pour rester au pouvoir. Je ne pense pas qu'il ait touché de l'argent personnellement", commente le député suisse Roland Büchel, farouche adversaire de Blatter, sur ESPN. L'affaire s'est soldée discrètement devant la justice suisse. 

Des symboles tu te soucieras

Une des premières décisions de Sepp Blatter a été de rénover le siège de la Fifa, pour la somme rondelette de 250 millions de dollars. Signe particulier du bâtiment : il est transparent, l'image que Sepp Blatter veut donner de la Fifa. La réalité est tout autre. Le président de la Fifa – dont les revenus sont tenus secrets, mais estimés à un million de dollars annuels hors bonus – s'attache à donner une image modeste : il fréquente toujours sa boulangerie habituelle à Zurich, où a été créé spécialement pour lui le "Fifabröt", un pain en forme de ballon de foot, relève ESPN. Quand il est en déplacement, en revanche, le standing change : lors du Mondial 2006, il logeait dans des suites à 20 000 euros la nuit. 

Et, histoire d'entretenir son côté glamour, il ne refuse pas un petit pas de danse avec la mannequin Fernanda Lima lors du tirage au sort du Mondial 2014...

... et n'hésite pas à imiter Cristiano Ronaldo lors d'une conférence à Oxford. 

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A la Fifa les enquêtes gênantes tu confieras

La grande spécialité de Sepp Blatter est de nier toute corruption au sein de la Fifa, et de diligenter aussitôt une enquête interne. Peu avant l'élection de 2011, pour laquelle il est candidat, il sort le grand numéro aux journalistes : "Arrêtez de dire que la Fifa est corrompue ! Elle ne l'est pas !" Trois jours plus tard, il demande une enquête interne pour prouver que son challenger, le Qatari Mohamed Bin Hammam a acheté des voix de délégués caribéens 40 000 dollars pièce, relève Grantland (en anglais).

La Fifa s'est ainsi vu confier des dossiers explosifs... sur la Fifa. L'enquête sur les accusations du numéro 2 de la Fifa, Michel Zen-Ruffinen : 500 millions de dollars se sont évaporés en pots-de-vin en 2002. Résultat : le corbeau a été viré, l'enquête n'a pas abouti, et Blatter a claironné qu'il était blanchi. Autre exemple : l'enquête sur l'attribution critiquable du Mondial 2022 au Qatar : le rapport de l'enquêteur spécial Michael Garcia a été caviardé par la Fifa au moment de la publication, et son auteur a été muselé par une clause de confidentialité. 

Faire des enquêtes en interne, Blatter sait faire. La dernière fois que les comptes de la Fifa ont été audités par une société de conseil, c'était en 2002. Son choix s'était porté sur la firme McKinsey, représentée par Philippe Blatter, son neveu, révèle le journaliste Andrew Jennings dans Foul ! The Secret World of Fifa

Aux changements législatifs, attentif tu demeureras

La Fifa a été fondée à Paris en 1904, mais a émigré pour des raisons fiscales en Suisse dès 1932. Ce n'est pas tout à fait ce qui est écrit sur le site de la Fifa : "La Suisse est un pays central en Europe, elle est neutre, ce qui correspond parfaitement à la philosophie de la Fifa, et elle est parfaitement desservie par le train." Le droit suisse n'est pas contraignant pour l'institution. Elle demeure une association à but non-lucratif, avec les mêmes statuts que le club de bridge local, à la différence près qu'elle brasse un milliard d'euros les années de Coupe du monde. 

Autre avantage : la loi suisse s'est longtemps montrée complaisante. Il a fallu attendre 2014 pour que le parlement vote la "Lex Fifa", une loi qui introduit la corruption privée dans le code pénal, et la possibilité de la poursuivre en justice. Avec le risque que la fédération déménage, comme l'a fait son homologue de badminton de Londres à Kuala Lumpur. 

Moralité : il est beaucoup trop tôt pour enterrer le vieux Sepp Blatter. Confidence de Bruno Affentranger, auteur de la biographie Sepp – König der Fussballwelt, à Swissinfo"S'il a appris une chose à l'armée, c'est de rester sur ses gardes 24 heures sur 24."

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