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Foot : le Mondial en Russie sent le caviar frelaté… comme au Qatar

Coincé entre les très controversés JO de Sotchi et la très polémique Coupe du monde au Qatar, le Mondial en Russie ne fait pas trop parler de lui. A tort ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un ouvrier montre le chantier du stade olympique de Sotchi, en Russie, à une journaliste, le 10 février 2012. Le stade doit accueillir les JO d'hiver en 2014, puis le Mondial 2018 de football. (WOLFGANG RATAY / REUTERS)

Alors que les déboires du Qatar, pays hôte du Mondial 2022, font les gros titres, alors que le comité directeur de la Fifa se réunit jeudi 3 et vendredi 4 octobre pour peut-être décider de déplacer la date de la compétition en hiver, on en oublie presque l'épreuve précédente, attribuée à la Russie pour 2018. Même si Vladimir Poutine vante les bienfaits sur la santé publique de sa Coupe du monde - "une fois que les Russes auront été piqués par le virus du sport, ils vont arrêter de boire et de fumer" -, en Russie, tout n'est pas rose non plus.

Les projets sont pharaoniques, comme au Qatar

Construire un stade sur une île, ce n'était pas que dans le projet qatari. La Russie l'a sérieusement envisagé, avant que des inondations à Samara ne poussent les autorités à se rabattre sur un site niché entre une bretelle d'autoroute et un aéroport. Moins glamour, mais moins cher. Pourtant, le projet russe ne manque pas d'ambition. Sept nouveaux stades, quatre rénovés, 19 000 nouvelles chambres d'hôtel rien qu'à Moscou, des lignes de métro flambant neuves dans une demi-douzaines de villes, et des aéroports internationaux comme s'il en pleuvait : le pays compte profiter de l'évènement pour donner un coup de jeune à ses infrastructures, dont beaucoup datent de la période soviétique. 

Les dépenses sont hors de contrôle, comme au Qatar

Au moment de l'attribution du Mondial 2018 à la Russie, la facture était estimée à 10 milliards d'euros. Aujourd'hui, on approche du double. Et d'après Stephen Cozens, avocat d'affaires interrogé dans le Moscow Times (en anglais), la facture pourrait atteindre 50 milliards d'ici au début de la compétition, soit 2% du PIB russe. Les grandes entreprises du pays, déjà mises à contribution pour financer les Jeux olympiques de Sotchi, savent que le gouvernement attend d'elles un geste pour payer les stades. 

Le cas du stade de Saint-Pétersbourg est emblématique de ce qui pourrait arriver au projet russe, où six stades ne sont toujours pas sortis de terre. Entre 2007 et 2012, le chantier n'a pratiquement pas avancé. Les coûts, en revanche, ont été multipliés par six, faisant du futur stade à un milliard d'euros l'enceinte sportive la plus chère du monde. "C'est dans le même état qu'il y a deux ans", peste le Premier ministre, Dmitri Medvedev, cité par le New York Times (en anglais). Le gouverneur local, embarrassé, appelle les fans du club à venir donner un coup de main (bénévolement) sur le chantier, rapporte l'agence Ria Novosti (en anglais). Leur réponse : "Vends ta datcha !" 

Le Premier ministre russe, Dmitri Medvedev, en visite sur le chantier du stade du Zenit Saint-Pétersbourg, le 1er septembre 2012.  (YEKATERINA SHTURKINA / SIPA)

Des soupçons de corruption, comme au Qatar

Des doutes pèsent sur l'attribution du Mondial 2018 aux Russes, mais ont eu beaucoup moins d'écho médiatique que ceux entourant la victoire du Qatar pour le Mondial 2022. Pourtant, le Mr Propre de la Fifa, Michael Garcia, va aussi enquêter sur les irrégularités autour de la victoire russe, entre hacking supposé des ordinateurs de la candidature anglaise et soupçon de trafic d'influence. "Nous n'avons rien à cacher", répond-on côté russe, sur CNN. Ah oui ? "Les responsables de la candidature de la Russie pour la Coupe du monde 2018 savaient une semaine avant le vote qu'ils l'avaient emporté", écrit Luke Harding, dans le livre Mafia State (en anglais).

Des conditions de travail précaires, comme au Qatar

Les ouvriers exploités qui se tuent au travail sur les chantiers des stades au Qatar ont fait les gros titres. La situation n'est pas identique en Russie, où trois ouvriers ont trouvé la mort sur les chantiers du Mondial (un à Kazan, un à Moscou, un à Saint-Pétersbourg). Mais la situation des Jeux de Sotchi, où des travailleurs venus des ex-pays frères de l'URSS sont exploités pour des salaires de misère, est susceptible de se reproduire à l'avenir. "Quand 500 sociétés emploient 96 000 personnes sur 800 sites, c'est impossible de n'avoir aucun incident de ce genre", se défend Dmitri Kozak, vice-Premier ministre, chargé de la préparation des JO, cité par Bloomberg (en anglais). C'est, presque mot pour mot, la même ligne de défense que les autorités qataries.

Les homosexuels ne sont pas les bienvenus, comme au Qatar

La loi contre la propagande homosexuelle, votée cette année en prévision des Jeux de Sotchi, s'appliquera aussi pour la Coupe du monde de foot. Jugez plutôt avec les déclarations du patron du comité d'organisation, Alexeï Sorokin, dans World Football Insider (en anglais) : "Les Jeux olympiques et la Coupe du monde ne sont pas une tribune pour vanter la vision du monde des nazis ou de ceux qui ont un autre mode de vie", explique-t-il, faisant référence aux homosexuels. Un peu plus loin dans l'entretien : "Est-ce que vous voudriez d'un Mondial où des gens nus se baladent, en affichant leur homosexualité ? La réponse est évidente, non ?"

Il n'y pas que les homosexuels qui ne sont pas les bienvenus en Russie. Une étude (PDF en anglais) menée en 2009 par l'Eglise protestante de Russie montre que 60% des habitants noirs de Moscou ont déjà été agressés, et 80% déjà insultés. Les universités conseillent aux étudiants étrangers de rester calfeutrés chez eux autour du 20 avril, date de naissance d'Adolf Hitler, rapporte le Guardian (en anglais).

En revanche, contrairement au Qatar, l'alcool coulera à flots en Russie. Vladimir Poutine a déjà signé un décret libéralisant la vente de bière dans les stades de la compétition. Certaines villes font de la boisson un de leurs arguments touristiques pour attirer les supporters. Car à Saransk, reliée quotidiennement à Moscou par un seul avion fatigué, il faut mettre tous les atouts de son côté. Nikolaï Merkushkin, l'ancien président de la république de Mordovie, déclarait très sérieusement à la BBC, en 2010 : "Il y a des kiosques qui vendent de la bière à tous les coins de rue. La bière est devenue très accessible, sa consommation dans la région augmente de 50 à 70% par an."

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