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Election, ISL, Qatar : à la Fifa, un scandale chasse l'autre

L'instance dirigeante du football mondial est au centre de multiples scandales financiers. Et les intrigues qui animent l'organisation sont dignes de celles d'une série policière à la télévision.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Le président de la Fifa, Joseph Blatter, le 20 mai 2015 lors d'un voyage officiel à Ramallah (Cisjordanie). (ABBAS MOMANI / AFP)

De bon matin, mercredi 27 mai, sept personnes sont arrêtées à Zurich par la police suisse à la demande de la justice américaine. Elles sont soupçonnées de corruption. Quelques heures plus tard, le parquet helvète révèle l'ouverture d'une procédure pénale. Elle suspecte un "blanchiment d'argent" et des "enrichissements illégitimes". Dix personnes sont entendues et des documents saisis. Les deux affaires ont un point commun : la Fédération internationale de football (Fifa).

Ces deux péripéties ne sont que les derniers épisodes en date d'un long feuilleton policier aux multiples rebondissements : celui de la Fifa sous la présidence de Joseph Blatter. Les intrigues sont entremêlées, les protagonistes souvent les mêmes et Sepp Blatter y apparaît toujours, soit comme acteur principal, soit comme figure au second plan. Voici le résumé des épisodes précédents. 

L'élection du président, en 1998

En 1998, Joseph Blatter est élu président de la Fifa. L'élection se tient à Paris. "Sepp" remporte le scrutin par 111 voix contre 80. Une nette victoire pour le candidat soutenu par le président sortant, le vieillissant João Havelange, sur qui pèsent déjà des soupçons de malversations. 

Le journaliste David Yallop décrit comment le camp Blatter a, selon lui, "volé le match" dans un livre justement intitulé How They Stole the Game. Les voix des représentants africains ont été achetées avec des pots-de-vin, affirme-t-il. L'un s'est vu proposer 100 000 dollars pour changer d'avis. Un autre a reçu 5 000 dollars avant le vote, et autant après. Au total, 50 000 dollars auraient été échangés. Ce lobbying intensif aurait eu pour décor les hôtels parisiens, notamment le Méridien Montparnasse.

"Je maintiens que je n'y étais pas, donc ça ne pouvait pas être moi", lâche Blatter, cité par l'agence américaine AP (en anglais), balayant ces accusations d'un revers de manche.

Joseph Blatter et son prédécesseur à la tête de la Fifa, João Havelange, le 15 juin 1998 lors de la Coupe du monde de football, à Paris. (PEDRO UGARTE / AFP)

L'attribution du Mondial à l'Allemagne, en 2000

En 2000, les membres de la Fifa sont réunis à Zurich au siège de l'organisation pour choisir le pays qui organisera la Coupe du monde 2006. L'Afrique du Sud est favorite. Mais c'est l'Allemagne qui l'emporte. Une victoire à l'arraché. Douze voix contre onze. Cette voix qui a manqué, c'est celle du président de la Confédération de football d'Océanie, Charles Dempsey, raconte Libération.  

Le Néo-Zélandais s'est abstenu au dernier tour du vote. Or, sa voix était promise à l'Afrique du Sud après l'élimination de la Grande-Bretagne. S'il avait suivi les consignes de vote de sa fédération, les deux pays se seraient retrouvés à égalité et Blatter, le président de la Fifa, aurait tranché en faveur de l'Afrique du Sud, qui avait sa préférence.

Les raisons du geste de Charles Dempsey restent encore peu claires, rapporte la BBC (en anglais). Il s'est contenté d'incriminer une "pression intolérable" de la part d'"intérêts européens". Les deux camps auraient tenté de le faire fléchir, y compris en achetant son vote. Les menaces de mort un temps évoquées ont été démenties. Dans la foulée, Dempsey a présenté sa démission, deux ans avant la fin de son mandat. Des sources officielles au sein de sa fédération assurent qu'il a été poussé vers la sortie par la Fifa, mécontente de son acte.

Charles Dempsey, Joseph Blatter et George Dick (ancien vice-président de la Confédération d'Océanie) à Auckland (Nouvelle-Zélande), le 20 mai 2002, lors du congrès de la Confédération d'Océanie de football. (DEAN TREML / AFP)

La faillite d'ISL, en 2001

ISL avait tout pour réussir. Ou presque. La société International Sport and Leisure (ISL), fondée en 1982 par le patron d'Adidas, Horst Dassler, et spécialisée dans le marketing sportif, décroche un contrat en or : la gestion en exclusivité des droits médias de la Fifa pendant les années 1990. Une période couvrant plusieurs Coupes du monde et deux présidences : celles de Havelange et de Blatter.

Pourtant, ISL fait faillite en 2001. Des juges suisses enquêtent. En 2012, le dossier est rendu public. ISL a dû verser 160 millions de francs suisses en pots-de-vin entre 1989 et 2001. Plus de 100 millions d'euros. Selon ces documents cités par PlaytheGame (en anglais), l'ancien président de la Fifa, João Havelange, et son gendre d'alors, Ricardo Teixeira, par ailleurs patron de la fédération brésilienne de football et membre du comité exécutif de la Fifa, ont reçu 41 millions de francs suisses à eux seuls.

En 2010, le journaliste anglais d'investigation Andrew Jennings accuse deux autres figures de la Fifa dans Fifa's Dirty Secrets (en français, Les sales secrets de la Fifa), un documentaire diffusé sur la BBC (en anglais) : Issa Hayatou, le président de la Confédération africaine (CAF), et Nicolas Leoz, celui de la Confédération sud-américaine (Conmebol).

Le  Comité international olympique (CIO) – autre partenaire d'ISL – a mené sa propre enquête. En 2011, avant la publication de ses conclusions, João Havelange, devenu patron du CIO et président honoraire de la Fifa, a démissionné. A 95 ans, le voilà à l'abri de toute sanction. Un an plus tard, Ricardo Teixeira a lui aussi quitté ses fonctions à la Fifa. Pour raisons médicales. La fin de vingt-deux années de présidence émaillées d'accusations de malversations financières, d'enquêtes, mais sans aucune condamnation.

Quant à la Fifa, sa commission d'éthique a blanchi "Sepp" en 2013 : "Le comportement du président Blatter ne peut aucunement être qualifié de mauvaise conduite à l’égard des règles d’éthique, même s’il peut avoir été maladroit." Ancien directeur marketing de la Fifa au moment de l'affaire ISL, Guido Tognoni livre une tout autre analyse dans Le Monde : "Depuis quarante ans et l’intronisation de Havelange, la Fifa a la culture de la corruption. Blatter ne l’a pas initiée, mais il a toujours toléré la corruption. C’est un moyen de rester au pouvoir."  

Le président de la Fifa, Joseph Blatter, et son directeur marketing, Guido Tognoni, le 10 mai 2002 à Zurich (Suisse). (WALTER BIERI / KEYSTONE / AFP)

La réélection du président, en 2011

Fin mai 2011, une nouvelle affaire ébranle la Fifa, une fois encore juste avant l'élection de son président. Le sortant, Sepp Blatter, est évidemment candidat. Face à lui, Mohamed Bin Hammam, président de la confédération asiatique et vice-président de la Fifa. MBH, pour les intimes.

Mais voilà que le challenger est accusé par un repenti de la Fifa devenu informateur du FBI d'avoir voulu acheter des voix au cours d'une réunion de représentants caribéens de la Concacaf. Les enveloppes auraient contenu 40 000 dollars chacune. Des photos des enveloppes circulent sur internet, repérées par le Daily Mail. Impossible de les authentifier. MBH "a simplement appliqué les règles de la Fifa de manière extrême. Il a fait ce que tout le monde faisait", observe Guido Tognoni dans Le Monde.  

Surprise, Jack Warner, l’ex-président de la Concacaf, est lui aussi accusé des mêmes faits. En apprenant qu'il est suspendu le temps de l'enquête interne, Warner balance. Il accuse Blatter d'avoir fait un don généreux d'un million de dollars à sa confédération. L'accusation retombe aussitôt. 

Jack Warner, président de la Concacaf, le 17 mai 2011 à Mexico (Mexique). (OSVALDO AGUILAR / MEXSPORT / AFP)

Les auteurs de The Ugly Game – un autre ouvrage sur la face sombre de la Fifa – cités par Le Monde, jugent que cette affaire et la précédente sont liées "Blatter a passé un deal secret avec le Qatar pour protéger sa présidence à la Fifa, veillant en échange à ce que l’émirat ne perde pas le Mondial. Il a forcé Bin Hammam à se retirer de la course à la présidence et était ainsi en mesure d’être réélu sans opposant pour quatre ans. Pas de candidature, pas de poursuite." 

Mais "Sepp" n'a pas tenu parole. Un mois seulement après que l'affaire a éclaté, Mohamed Bin Hammam est banni à vie de toute activité liée au foot. Jack Warner doit démissionner. Sepp Blatter, lui, est réélu. Conclusion de Guido Tognoni dans Le Monde : "La Fifa, c’est une mafia d’une certaine façon. On résout les problèmes en famille. Mais il faut le dire : on ne tue pas les gens..." 

Soupçons de corruption sur les Mondiaux 2018 et 2022, en 2014

Le 2 décembre 2010, l'organisation du Mondial 2022 est confiée au Qatar (et celle du Mondial 2018 à la Russie). Mais le scandale du Qatargate n'est exposé au grand jour que trois ans et demi plus tard, en juin 2014. Le Sunday Times (en anglais) révèle alors les agissements passés d'un homme d'affaires qatari, Mohamed Bin Hammam. Encore lui. 

Le journal britannique avance qu'il a déboursé 5 millions de dollars pour obtenir le soutien de plusieurs représentants du foot mondial à la candidature du Qatar. Avec ses caisses noires, quelque 200 000 dollars auraient également atterri sur des comptes contrôlés par les présidents de 30 associations de foot africaines.

Surprise, le nom de l'un des hommes les plus influents de la Fifa, déjà évoqué dans l'affaire de 2011, apparaît : Jack Warner, un homme d'affaires originaire de Trinité-et-Tobago, vice-président de la Fifa et président depuis près de trois décennies de la Concacaf, l'instance dirigeante du football pour l'Amérique du Nord, l'Amérique centrale et les Caraïbes. MBH aurait transféré 1,6 million de dollars sur des comptes lui appartenant.

Mohamed bin Hammam, président de la Confédération asiatique de football, le 8 mai 2009 à Kuala Lumpur. (KAMARUL AKHIR / AFP)

La justice interne de la Fifa se saisit du dossier. Une fois encore. Mais là, l'enquête est conduite par Michael Garcia, un ancien procureur fédéral américain. Son rapport de 400 pages n'a cependant toujours pas été rendu public, la Fifa repoussant sans cesse l'échéance. Tout au plus déclare-t-elle que le rapport Garcia pointe "des comportements douteux", mais "aucune irrégularité majeure"Garcia dénonce une présentation "erronée et incomplète" de son enquête. Ecœuré, il a démissionné.

Reste que cinq des 22 membres du comité exécutif de la Fifa qui avaient pris part au scrutin ont été suspendus ou ont démissionné à cause de scandales ou de soupçons de corruption.

 

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