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"United Passions", le film produit par la Fifa qui souligne à son insu les affres... de la Fifa

Toute ressemblance avec la réalité n'est pas que pure coïncidence.

Article rédigé par Boris Jullien
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Sepp Blatter, le président de la Fifa, et Gérard Depardieu, à la présentation de "United Passions" à Cannes, le 18 mai 2014. (LOIC VENANCE / AFP)

A la lumière du récent scandale de corruption, le film United Passions prend une drôle de signification. Réalisé par le Français Frédéric Auburtin, ce long-métrage raconte l'histoire de la Fifa, depuis sa création au début du 20e siècle jusqu'à l'accession au pouvoir de Sepp Blatter.

La Fédération internationale de football a directement participé au financement de ce navet au budget de 24 millions d'euros, jamais sorti en salles. En 2014, alors que United Passions était présenté à Cannes, le cinéaste français se défendait d'avoir réalisé un film de propagande. "La Fifa a coproduit le film. Ils ont lu le scénario, comme tout producteur, mais ils n'ont pas eu de droit de regard, déclarait-il, cité par Culturebox. Il y a du sous-texte, des allusions."

Ce n'est rien de le dire puisque, à bien y regarder, United Passions souligne avec force les affres de la Fifa. Démonstration en cinq dialogues extraits du film, que francetv info a visionné.

"Soit coupable, soit un sacré incapable"

Dans le film. Globalement, Sepp Blatter, incarné ici par Tim Roth (Reservoir Dogs, Pulp Fiction), a le beau rôle. Si la Fifa est confrontée à un scandale financier, sa responsabilité est attribuée à son prédécesseur, Joao Havelange, joué par Sam Neill (Jurassic Park). "Vous étiez le secrétaire général de la Fifa [le numéro 2 de l'organisation], bon dieu ! Soit vous étiez au courant, ce qui vous rend coupable, soit non, ce qui fait de vous un sacré incapable", lui lance un journaliste d'investigation, étonné par la naïveté affichée du patron du football mondial.

Dans la vraie vie. Le Suisse jure qu'il ne savait rien des malversations présumées qui ont valu à plusieurs hauts responsables de la Fifa d'être interpellés. C'est de cette façon, en évitant d'être personnellement impliqué, que Sepp Blatter est passé à chaque fois entre les mailles de la justice. Mais in fine, le président a quand même été contraint de démissionner. Et il serait bien dans le viseur du FBI...

"Des preuves ! Quelles preuves ?"

Dans le film. Lorsque paraît Game Over, livre de révélations fictif accablant Sepp Blatter (un ouvrage qui fait référence à How They Stole the Game, de David Yallop, sorti en 1999, ou encore à Carton rouge ! d'Andrew Jennings, en 2006), le personnage de Tim Roth refuse de démissionner. Lors d'une réunion avec le comité exécutif de la Fifa, il s'insurge : "Vous dites que vous avez des preuves ! Des preuves de quoi ?"

Dans la vraie vie. Après sa réélection à la tête de la Fifa, vendredi 29 mai, le Suisse s'est dédouané dans une interview télévisée : "Pourquoi je démissionnerais ? C'est accepter, c'est dire je suis fautif de tout ce qui arrive.En 2014, il répond même à une journaliste du Washington Post "Vous parlez de corruption ? Montrez-moi les preuves !"

Joao Havelange (à gauche) et Sepp Blatter (à droite), respectivement interprétés par Sam Neill et Tim Roth dans "United Passions". (TF1 DISTRIBUTION)

"Je n'oublierai pas"

Dans le film. United Passions évoque aussi les jeux d'alliance dignes de House of Cards entre la direction et les pays membres, qui ont notamment permis à Sepp Blatter d'être réélu 5 fois à la présidence de la Fifa. Ces renvois d'ascenseur sont portés à l'écran lorsque Joao Havelange, le méchant de l'histoire, est élu grâce au soutien du président de la Confédération africaine de football. Ainsi, ce dernier félicite le nouveau boss de la Fifa, qui l'embrasse et lui glisse à l'oreille : "Je n'oublierai pas."

Dans la vraie vie. Noël Le Graët, le président de la Fédération française de football, a expliqué avoir voté pour le président sortant de l'organisation, vendredi 29 mai, car la Fifa avait attribué l'organisation de la Coupe du monde féminine en 2019 à la France. Bref, un accord donnant-donnant.

"Nous ne vendrons pas notre trésor"

Dans le film. Jules Rimet (président de la Fifa de 1921 à 1954), interprété par Gérard Depardieu, décide d'organiser la première Coupe du monde de l'histoire. Il rencontre un responsable venu d'Uruguay. "Un événement tel que celui-ci coûte une fortune", lui fait remarquer Jules Rimet. "Nous sommes prêts à payer", réplique son interlocuteur. "La Fifa est pauvre [nous sommes à la fin des années 1920], mais ça ne signifie pas que nous allons vendre notre trésor", objecte le président de la Fifa. Le dirigeant sud-américain promet ensuite de ne pas orienter l'arbitrage, bien sûr, avant de préciser : "Nous serions juste très honorés d'accueillir la compétition. Nos fonds sont illimités." Et devinez qui remporte les suffrages de la Fifa ?

Jules Rimet (Gérard Depardieu) attribue l'organisation de la Coupe du monde à l'Uruguay dans le film "United Passions". (TF1 DISTRIBUTION)

Dans la vraie vie. De nombreux soupçons pèsent sur l'attribution des Mondiaux 2018 en Russie et 2022 au Qatar. L'Afrique du Sud a même avoué avoir versé 10 millions de dollars, après l'obtention de la Coupe du monde 2010. Officiellement, en faveur du développement en Amérique du Nord, en Amérique centrale et aux Caraïbes.

"Communistes, fascistes, on s'en fout !"

Dans le film. Dans une autre scène, qui se déroule au milieu des années 1970, United Passions fait allusion au non-respect des droits de l'homme en Argentine, où doit être organisée la Coupe du monde. "Les sponsors sont nerveux, des violations des droits de l'homme ont été constatées", indique Sepp Blatter à Joao Havelange. "Communistes, fascistes, on s'en fout !" proteste le président de la Fifa de l'époque. Il poursuit son argumentaire (discutable) : il s'agit surtout, dit-il, d'apporter aux Argentins des raisons de se réjouir. Peu importe les prisonniers politiques. "Le football apporte une consolation à toutes les tragédies", philosophe encore le patron de la fédération, sans trop se préoccuper des régimes politiques des pays dans lesquels les compétitions sont organisées.

Dans la vraie vie. Sepp Blatter ne fait guère mieux face aux critiques émises à l'égard de la Russie. Et la Fifa, via son président, a mollement réagi après la mort de plus de 1 200 Népalais et Indiens sur les chantiers de la Coupe du monde au Qatar : elle a simplement appelé le comité d'organisation à améliorer le traitement des ouvriers face aux accusations d'esclavage.

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