Cet article date de plus de dix ans.

Coupe du monde : comment éviter que les Bleus pètent les plombs durant la compétition

Le sélectionneur de l'équipe de France et son staff doivent trouver des solutions pour gérer des joueurs enfermés durant six semaines dans un hôtel à des milliers de kilomètres de chez eux et soumis à une forte pression.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Didier Deschamps dirige un entraînement de l'équipe de France à Clairefontaine (région parisienne), avant la Coupe du monde, le 4 juin 2014.  ( CHARLES PLATIAU / REUTERS)

"Trois semaines là-dedans sans sortir, tu deviens fou." N'allez pas chercher plus loin les raisons de l'échec cuisant de l'équipe de France en Corée du Sud et au Japon lors de la Coupe du monde 2002. Comme le confie anonymement cet international tricolore au Parisien, l'hôtel Sheraton de Séoul a joué un grand rôle dans l'élimination des Bleus dès le premier tour de ce Mondial. Vingt chaînes coréennes et TV5 Monde en tout et pour tout, une vue sur l'autoroute ou un parking, au choix, un casino et un bar à hôtesses au sous-sol, l'enfer pour un footballeur à 330 euros la nuit. Comment éviter ce genre d'écueil et réussir à organiser la vie de 23 joueurs et 25 membres du staff pendant les six semaines de compétition ? Francetv info s'est plongé dans le passé des Bleus pour en tirer quelques conseils. 

Ne pas se tromper d'hôtel

L'intendant des Bleus, Erwan Le Prévost, a choisi avec soin le camp de base des Tricolores au Brésil. Le sélectionneur français Didier Deschamps lui avait confié un cahier des charges comptant 80 pages. Le contre-exemple, c'est l'hôtel Sheraton de Séoul, ouvert à tous les journalistes, où l'on croisait régulièrement les joueurs de l'équipe de France en train de causer transferts à leurs agents. Le Pezula Hotel, où a logé l'équipe de France en Afrique du Sud en 2010, n'était pas non plus idéal, explique à francetv info François Manardo, chef de presse des Bleus et auteur du livre Knysna, les raisons du désastre : "C'était un établissement qui favorisait une forme d'isolement au sein du groupe. Le Pezula Hotel est idéal pour passer des vacances en couple, avec des bungalows regroupés par deux ou quatre. Avec d'autres membres du staff qui occupaient les bungalows voisins, c'est à peine si on se disait bonjour ou bonsoir durant la compétition."

Eviter la bunkérisation

"Ce ne sera pas un bunker. Ce ne sera pas non plus la fête à Neu-Neu et portes ouvertes", a résumé Didier Deschamps. La bunkérisation, les suiveurs de l'équipe de France connaissent. Lors du Mondial 2002, ce sont 800 gardes qui surveillent les abords de l'hôtel des Bleus en Corée du Sud, traumatisme post 11-Septembre oblige. Quatre ans plus tard, le bus des Tricolores changera de route chaque matin pour se rendre au centre d'entraînement. "C'est pour éviter un attentat", explique un policier, cité dans La Décennie décadente du football français.

La sécurité sud-africaine ferme le centre d'entraînement de l'équipe de France, lors de la Coupe du monde en Afrique du Sud, le 7 juin 2010.  (FRANCK FIFE / AFP)

La pipolisation des joueurs ne va rien arranger. Toujours lors de la Coupe du monde en Allemagne, le défenseur français Willy Sagnol raconte : "Je me lève le matin, et je vois des photographes avec des appareils gros comme des missiles." En 2008, lors de l'Euro en Suisse, personne ne peut approcher à moins d'un kilomètre de l'hôtel des Bleus. Un véritable nid d'aigle. L'école de la direction technique nationale du foot français a encore frappé : "L'idéologie de l'enfermement remonte à l'INF Vichy [l'ancêtre de Clairefontaine] dans les années 1970-1980, note Julien Goron, sociologue spécialiste du football. Les institutions cherchaient à mieux contrôler la jeunesse. Leur idée, c'était : 'On va mieux former en enfermant', avec, en plus, une recherche d'austérité. Regardez Clairefontaine : c'est fermé, avec des barrières de sécurité partout." 

Bien gérer le calendrier

Les Bleus sont arrivés à Joao Ribeiro, leur camp de base brésilien, lundi 9 juin, soit moins d'une semaine avant leur premier match de Coupe du monde. Une approche radicalement différente avec les méthodes anciennes. L'équipe de France 1958, emmenée par Raymond Kopa et Just Fontaine, arrive en Suède trois semaines avant le début de la compétition. “Certains disaient qu'on partirait aussi les premiers”, sourit Raymond Kopa, interrogé par les Cahiers du Football. Les Bleus iront en demi-finales. Le contre-exemple absolu, c'est la préparation au Mondial 2010. Les Français commencent par un match amical à Lens, puis se déplacent en Tunisie pour y disputer une autre rencontre de préparation. Souffrant, le défenseur William Gallas fait venir son dentiste personnel pour le soigner... juste avant que les Bleus ne s'envolent pour La Réunion, où un ultime match amical les oppose à la Chine. Lessivés, les joueurs s'inclinent (1-0) et arrivent la tête pleine de doutes en Afrique du Sud six jours avant leur entrée dans la compétition. La suite, on la connaît.

Distraire les joueurs... mais pas trop

"L'avant-veille de la finale de la Coupe du monde 2010 entre les Pays-Bas et Espagne, les joueurs néerlandais se sont baladés dans un centre commercial de Johannesburg, tandis que les Espagnols faisaient visiter leur hôtel aux journalistes, note François Manardo. Ça ne peut pas leur faire de mal. Nous, en Afrique du Sud, on n'a fait qu'une seule sortie, dans un township, et ça sonnait faux." 

Les joueurs de l'équipe de France saluent les habitants d'un township près de Knysna, en Afrique du Sud, le 13 juin 2010. ( REUTERS)

Michel Hidalgo, sélectionneur de l'équipe de France entre 1978 et 1984, se souvient : "On évite quand même de laisser les joueurs partir dans la nature dans un pays étranger. Avec le staff, nous organisions des programmes, mais c'était encadré." Didier Six, qui a participé aux éditions 1978 et 1982 est encore plus radical. "On va à la Coupe du monde avec un objectif bien précis, martèle-t-il à francetv info. Dès qu'on a fini le premier match, on a déjà la pression du suivant. Les journées passent très vite. Si on n'est pas capable de se concentrer sur trois rencontres en dix jours, on n'a rien à faire au Mondial. Après, je peux concevoir que c'est plus difficile pour les remplaçants."

Faire la paix avec les médias

Des employés du centre d'entraînement, où évolue les Bleus en Corée du Sud, installent une bâche pour empêcher les journalistes de prendre des photos, le 3 juin 2002 à Séoul.  (PATRICK HERTZOG / AFP)

Entre des conférences de presse insipides et les joueurs qui boycottent les médias, il est difficile de recueillir des déclarations intéressantes des Bleus pendant la compétition. L'époque où Thierry Roland bronzait aux côtés de Michel Platini près d'une piscine au Brésil en 1977 paraît bien loin. Tout remonte à 1998, explique Julien Goron : "La presse était considérée comme une ennemie quand j'étais à Clairefontaine. Aimé Jacquet détestait les journalistes. Et depuis, c'est resté dans la mythologie de l'équipe de France." On a vu la suite : Roger Lemerre a boycotté pendant l'Euro 2000 (que les Bleus ont brillamment remporté) les médias car il s'estimait traité injustement. Et Raymond Domenech a tout fait pour diaboliser les médias pendant son passage sur le banc des Bleus. "Le message que nous avions n'était pas celui d'une collaboration intelligente avec les médias", euphémise François Manardo. Seul bémol : désormais, le code de conduite de l'équipe de France prévoit une amende de 5 000 euros pour chaque joueur qui séchera une interview.

Limiter le recours aux intervenants extérieurs

Le message d'un coach s'use avec le temps. C'est pourquoi les sélectionneurs ont, de plus en plus, recours aux intervenants extérieurs. Raymond Domenech a ainsi tenté l'expérience en 2010, avant la Coupe du monde, en faisant venir l'athlète Stéphane Diagana et Claude Onesta, le sélectionneur de l'équipe de France de handball au palmarès long comme le bras. Tout sauf une réussite. "La visite d'Onesta à Tignes [lors du stage de préparation], les joueurs l'ont reçue comme 'le mec vient nous parler de la gagne et de l'état d'esprit de la gagne, mais notre sélectionneur lui n'a rien gagné', se souvient François Manardo. Ils se sont demandés si ce n'était pas pour combler un manque, une faille. En plus, les deux fois, Raymond n'est pas intervenu." Le principe de l'intervenant extérieur est resté, mais après-Knysna, l'accent a été mis sur l'amour du maillot avec des invités comme Zinedine Zidane ou Raymond Kopa lors de la campagne de qualification des Bleus pour l'Euro 2012.

Trouver le bon équilibre avec les femmes des joueurs

Il n'existe pas de solution idéale. En 2002, les femmes des joueurs tricolores étaient logées... dans l'hôtel de l'équipe du Sénégal. Maintenues à l'écart, certaines d'entre elles parviennent à faire le mur pour retrouver leur mari au Sheraton. En 2010, les femmes des joueurs les rejoignent lors du stage en Tunisie, mais sont tenues à l'écart. L'une d'elles s'exclame, devant le triste spectacle proposé par les Bleus : "Mais regardez-moi ces chèvres. Ils ne courent même pas. Et dire qu'on n'a pas été autorisées à niquer avec nos maris parce qu'il ne fallait pas les fatiguer avant le match !" Bref, quoi qu'il se passe, les femmes des joueurs ont toujours le mauvais rôle.

Ces problèmes sont-ils limités à l'équipe de France ? Si tout le monde se souvient de la grève des Bleus en 2010, l'Angleterre et l'Italie avaient connu des psychodrames pendant la compétition et les équipes africaines sont régulièrement secouées par des problèmes de primes. Arsène Wenger résumait la situation, en 2010 : "80% des groupes sont au bord de l'implosion."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.