Football : on vous explique la crise autour du retrait de plusieurs joueuses de l'équipe de France, qui fragilise Corinne Diacre
Qui composera l'équipe de France féminine de football lors du Mondial, en juillet ? La question s'est compliquée de manière inattendue après l'annonce de la mise en retrait de la capitaine des Bleues, Wendie Renard, rapidement suivie de Marie-Antoinette Katoto et Kadidiatou Diani, vendredi 24 février.
Choix personnels ou tentative de putsch ? Leurs critiques mettent, quoi qu'il en soit, Corinne Diacre dans une position délicate : si elle n'est pas ouvertement citée, difficile de douter que la sélectionneuse soit la cible des joueuses démissionnaires. Elles mettent aussi sous pression la Fédération française de football, qui traverse déjà une crise de gouvernance. Franceinfo vous explique ce qu'on sait cette nouvelle affaire.
Plusieurs joueuses se mettent en retrait jusqu'à nouvel ordre
Trois cadres de l'équipe de France ont annoncé vendredi qu'elles ne répondraient plus aux convocations. Wendie Renard a révélé la première, sur Instagram, sa décision "de prendre du recul avec l'Equipe de France" et de ne pas participer à la prochaine Coupe du monde, en juillet et août, "dans de telles conditions". Marie-Antoinette Katoto dit, sur Twitter, mettre sa carrière internationale "entre parenthèses (...) tant que les changements nécessaires ne seront pas appliqués". Sur le même réseau social, Kadidiatou Diani parle de "suspendre [ses] obligations internationales" mais assure qu'elle se remettra "au service du maillot tricolore" si "les changements profonds nécessaires arrivent enfin". Les joueuses ne prennent donc pas une retraite définitive (elles ont respectivement 32, 24 et 27 ans) et laissent la porte ouverte à un retour.
Elles ont reçu le soutien, samedi, de deux autres internationales qui, n'ayant pas été appelées récemment, n'annoncent pas une retraite en tant que tel. "Si je reporte un jour le maillot de l'équipe de France, j'espère que ce sera dans de meilleures conditions et avec des valeurs adéquates au haut niveau", écrit sur Instagram la défenseuse Perle Morroni, qui n'a plus été sélectionnée depuis avril 2022. Partenaire habituelle de Wendie Renard en défense centrale, mais déjà forfait pour le Mondial du fait d'une blessure, Griedge Mbock se déclare "solidaire", sur Instagram. Dans les commentaires, d'autres joueuses actuelles de l'équipe de France ont exprimé leur soutien à ces messages, dont Selma Bacha et les sœurs Delphine et Estelle Cascarino.
Elles visent indirectement Corinne Diacre et la FFF
Les joueuses ne citent aucun nom, mais leur colère ne peut qu'éclabousser la sélectionneuse et la fédération. Elles dénoncent le "système actuel" et le "management de l'équipe de France", dont Perle Morroni dit avoir "souffert personnellement", tandis que Wendie Renard confie vouloir "préserver [sa] santé mentale".
Ces propos rappellent les critiques qui visent Corinne Diacre depuis sa nomination en 2017. A sa prise de fonction, elle avait ainsi retiré à Wendie Renard le rôle de capitaine, critiquant son niveau, avant de se raviser en 2021. En 2020, la gardienne Sarah Bouhaddi avait renoncé à l'équipe de France en critiquant le climat "très négatif" instauré selon elle par l'entraîneuse, qui avait écarté d'autres joueuses importantes comme Gaëtane Thiney, Eugénie Le Sommer et Amandine Henry. Cette dernière s'est plusieurs fois confiée sur sa relation compliquée avec Corinne Diacre : "Je voyais des filles pleurer dans leur chambre", racontait-elle à Canal+, en 2020, au sujet du Mondial raté des Bleues un an plus tôt. Une compétition à laquelle Marie-Antoinette Katoto fait allusion quand elle mentionne "les événements de 2019".
Il est aussi question des "récents résultats", pour Kadidiatou Diani, tandis que plusieurs de ses coéquipières doutent de la capacité de l'équipe à atteindre "le plus haut niveau" avec cet encadrement. Sous la direction de Corinne Diacre, les Bleues ont obtenu pour meilleur résultat une demi-finale au goût de déception lors de l'Euro 2022 disputé en France. Si elles viennent de remporter une compétition amicale début février, le Tournoi de France, elles restaient jusque-là sur des défaites inquiétantes contre l'Allemagne et la Suède en octobre. "Etre championne des matchs amicaux, ce n'est pas l'objectif", cinglait Wendie Renard mardi, citée par L'Equipe.
Le texte de Griedge Mbock suggère aussi que les griefs dépassent le cas de Corinne Diacre. Elle y déplore "le décalage entre l'organisation actuelle, les attentes que l'on a et les moyens qu'on nous donne pour lutter au plus haut niveau". Marie-Antoinette Katoto, elle, cite sa "blessure de 2022" – une rupture des ligaments croisés d'un genou survenue lors de l'Euro, et dont elle n'est pas encore revenue. Des critiques qui font écho aux mouvements d'autres joueuses internationales, en Norvège, en Espagne ou au Canada, pour réclamer des moyens financiers plus importants et un encadrement sportif et médical de meilleure qualité.
Cette prise de position intervient aussi quelques jours après le retour en sélection de la joueuse du PSG Kheira Hamraoui, pour la première fois depuis quatre ans. En 2021, celle-ci avait été la cible d'une violente agression par des hommes masqués, et avait exprimé des soupçons envers sa coéquipière Aminata Diallo, aujourd'hui mise en examen. Celle-ci avait reçu le soutien public d'autres joueuses du PSG, dont Kadidiatou Diani et Marie-Antoinette Katoto, quand elle avait, dans un premier temps, semblé être mise hors de cause. Après la sélection inattendue de Kheira Hamraoui par Corinne Diacre, Wendie Renard assurait en conférence de presse qu'il n'y avait "pas de tensions" à son sujet. Mais Kadidiatou Diani laissait entendre, le 14 février à l'AFP, que le sujet restait brûlant : "Pour éviter d'être vulgaire, je m'abstiendrai de tout commentaire."
Elles ont le soutien du monde du foot féminin
La gardienne du PSG Sarah Bouhaddi a salué le "courage" de ses coéquipières sur Instagram, tandis Eugénie Le Sommer a déclaré sur Twitter son "respect" pour Wendie Renard, sa coéquipière à Lyon.
"Combien de temps devrons-nous aller aussi loin pour être respectées ?", a réagi sur Twitter la Norvégienne Ada Hergerberg, Ballon d'or et également joueuse de l'OL. Passées par Lyon, les stars américaines Alex Morgan et Megan Rapinoe ont aussi déclaré leur soutien à la capitaine des Bleues sur Instagram : "Avec toi capitaine. FFF, qu'est-ce que tu fais ?", écrit notamment la seconde.
Le syndicat des footballeuses et footballeurs professionnels, l'UNFP, a par ailleurs salué "le cri d'alarme extrêmement courageux" des internationales françaises, y voyant un appel à accélérer "la professionnalisation du football au féminin en France". Son vice-président, Fabien Safanjon, appelle cependant sur franceinfo à ne pas "stigmatiser" Corinne Diacre : "Il appartiendra à la FFF de prendre ses responsabilités, c'est à eux de faire l'analyse pour comprendre pourquoi ces joueuses se positionnent comme ça, l'essentiel est de les écouter". La Fifpro, syndicat international des joueurs et joueuses, a aussi exprimé sa "solidarité" sur Twitter.
Leur départ prive la France de cadres avant des échéances importantes
L'équipe de France ne perd par n'importe quelles joueuses. Wendie Renard, capitaine des Bleues, fait partie des dix Françaises les plus sélectionnées de l'histoire. Bien qu'elle soit absente pour les prochains mois, Griedge Mbock est habituellement sa partenaire en défense centrale. Quant à Marie-Antoinette Katoto et Kadidiatou Diani, elles sont, avec Renard, les meilleures buteuses françaises encore sélectionnées, et deux titulaires indiscutables en attaque.
Leur départ bouleverse donc le visage de l'équipe de France à cinq mois de la Coupe du monde, enjeu majeur pour les Bleues. La France entre en lice le 23 juillet à Sydney contre la Jamaïque. Il ne reste plus qu'un rassemblement pour préparer la compétition, début avril, avec des matchs amicaux le 7 avril contre la Colombie et le 11 contre le Canada. Un an plus tard, les Bleues doivent aussi participer aux Jeux olympiques à domicile, à Paris.
L'avenir de Noël Le Graët, patron de la FFF, pourrait être déterminant
La balle est dans le camp de la fédération. Vendredi soir, celle-ci disait avoir "pris connaissance des déclarations de Wendie Renard, Kadidiatou Diani et Marie-Antoinette Katoto". "La FFF tient à rappeler qu'aucune individualité n'est au-dessus de l'institution équipe de France", concluait le communiqué. Le message précisait cependant que le retrait des trois joueuses serait discuté mardi lors d'une réunion du comité exécutif de l'institution.
Jusqu'ici, le président de la FFF, Noël Le Graët, a toujours exprimé un soutien sans faille à Corinne Diacre. Questionné sur les critiques envers le management de cette dernière en 2021, il avait répondu par une déclaration remarquée à l'époque pour son sexisme à l'égard des joueuses : "Aucun match perdu. Voilà ce que je retiens. Donc, elles peuvent se tirer les cheveux, ça m'est égal." En août, après l'élimination en demi-finale de l'Euro, il avait prolongé le contrat de Corinne Diacre jusqu'à l'été 2024, lui réitérant sa confiance pour le Mondial 2023 et les JO de Paris.
Mais l'avenir de Noël Le Graët lui-même est en suspens. Un audit commandité par le ministère des Sports a conclu à son "illégitimité" à diriger le football français, notamment en raison de son comportement envers les femmes – il est visé par une enquête pour harcèlement sexuel et moral. Avant que cette crise au sein de l'équipe de France féminine s'invite au menu, le comité exécutif convoqué mardi avait pour unique objet de trancher son avenir, qui reste flou : appelé à démissionner par plusieurs membres de cette assemblée, il n'a pas encore fait connaître sa décision. S'il quittait la tête de la FFF, c'est une autre équipe dirigeante qui devrait décider de l'avenir de Corinne Diacre et des Bleues.
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