Incidents OM-OL : "Nous sommes dans une société où la violence a repris ses droits", analyse un sociologue spécialiste du hooliganisme
Presque une semaine après les incidents qui ont conduit au report du match Marseille-Lyon, l'OM accueille Lille, samedi 4 novembre, dans un contexte toujours tendu. Si l'Olympico sera rejoué le 6 décembre dans un lieu encore indéterminé, beaucoup de questions restent en suspens. Maître Arnaud Ibanez, avocat au barreau de Marseille en droit pénal et droit du sport, et Dominique Bodin, professeur de sociologie à l'institut d'études politiques de Fontainebleau et spécialiste du hooliganisme, analysent pour franceinfo: sport l'impact de ces incidents sur la suite.
Franceinfo: sport : Ces incidents sont-ils le signe d'une augmentation de la violence des supporters ?
Dominique Bodin : La violence du supportérisme en France est la même depuis quarante ans, ça ne s'est pas amélioré, ni détérioré. En réalité, on n'a pas réglé les problèmes, on les a déplacés spatialement en dehors des stades. Nous sommes dans une société où la violence a repris ses droits. On voit bien que la violence dans le stade ressemble à la violence dans les quartiers, en ville, en marge des manifestations. Les rapports humains sont devenus excessivement violents depuis quelques années et la violence du supportérisme n'est qu'un miroir parmi d'autres.
Il faut bien faire attention à la nature de la violence : ce qui s'est passé est inacceptable et des mesures, y compris coercitives, doivent être prises en face. On est sur des dérapages, c'est grave, il faut les empêcher, mais surtout il faut empêcher qu'ils deviennent autre chose. Il ne faut jamais perdre de vue qu'être violent, perturbateur, c'est un moyen quand vous êtes jeune de se construire une identité individuelle au sein d'un collectif, qui est le groupe de supporters auquel vous appartenez.
Faut-il déconstruire la quête identitaire des supporters afin de réduire les incidents ?
Dominique Bodin : Quand vous êtes dans un groupe de supporters, vous n'êtes pas avec vos parents, donc vous avez envie de devenir quelqu'un aux yeux des plus anciens. On a cet attachement profond qui pose la question du manque de perspectives d'avenir chez les jeunes. Vous êtes d'autant plus enclin à vous identifier au club de football que cette identité est difficile à trouver dans la société.
Ne nous leurrons pas, le football a créé les supporters. Il s'en défend, mais c'est lui qui a ouvert la logique du 12e homme. Mais en même temps, le football supporte aussi les défauts de la société. Si on veut faire rêver les jeunes, il faut les ramener à des perspectives d'avenir, de travail, d'éducation, mais il faut aussi les ramener à ce qu'est la vie. Et la vie, ce n'est pas se battre avec les autres et avoir des idées sur tout et surtout contre les autres.
Comment distinguer les fautifs dans ce genre d'incidents ?
Arnaud Ibanez : Identifier les auteurs avec des caméras du centre de surveillance urbain ou des témoignages de commerçants ou de gérants de bar autour du lieu de la commission des faits, c'est possible. Après, déterminer le rôle de chacun, c'est autre chose. S'il n'y a pas d'interpellation en flagrant délit, c'est très compliqué pour les enquêteurs de retrouver les auteurs. Le jour des faits, on était à 250 mètres du stade Vélodrome, sur une artère en travaux pour la construction du tramway. Il y a des pavés sur la chaussée, il y a des gestes d'opportunité : quelqu'un qui prend un pavé, qui le jette en direction du bus lors de son passage, avec un mouvement de foule spontané... Déterminer la responsabilité est très compliquée dans ce cadre-là, d'autant plus que c'était à une heure assez tardive, il faisait déjà nuit et les axes routiers étaient mal éclairés.
Quelles peines encourent-ils ?
Arnaud Ibanez : Il y a deux critères à prendre en considération. La gravité de l'infraction : il s'agit de violences volontaires, peut-être en réunion, et éventuellement avec préméditation. Tout dépend de la qualification retenue par le parquet. Il y a également la personnalité des auteurs : si ce sont des individus qui sont insérés dans la société, inconnus des services de police, primo-délinquants (casier judiciaire néant), ils seront accessibles au sursis simple et au sursis probatoire, avec par exemple des obligations d'indemniser la victime (Fabio Grosso), et/ou de réparer les dégâts matériels. Ce préjudice matériel devra être chiffré par les plaignants et s'agissant du préjudice corporel de l'entraîneur (30 jours d'ITT), il sera déterminé et chiffré par voie d'expertise.
S'il s'agit d'un acte préparé par un groupe constitué d'individus dissimulant leur visage afin de ne pas être identifiés (guet apens), et que le ou les individus ont des antécédents, des casiers judiciaires comportant des condamnations relatives à des actes de violences, ils pourront se voir décerner soit une peine de prison ferme avec mandat de dépôt, soit un aménagement de peine ab-initio qui prend généralement la forme d'une Détention à Domicile sous Surveillance Électronique (DDSE), soit une peine mixte (une période assortie d'un sursis probatoire avec obligation d'indemniser la victime, et une partie ferme dont le quantum peut être aménageable sous la forme d'une DDSE).
S'agissant des peines, nous pourrions être sur des violences volontaires en réunion avec préméditation aux abords d'une enceinte sportive ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à 8 jours. En théorie, ces faits sont passibles d'une peine de 10 ans d'emprisonnement si nous retenons les circonstances aggravantes précitées.
L'arsenal de sanctions est-il suffisant ?
Arnaud Ibanez : On a une peine principale qui est la sanction pénale. Ensuite, les auteurs pourraient avoir à titre complémentaire, une peine d'interdiction judiciaire de stade, qui peut être d'une durée de cinq années maximum, avec une obligation de "pointage" les jours de match (généralement à la mi-temps) au commissariat. L'auteur de l'infraction peut également être condamné à une sanction financière (amendes) afin de réparer les préjudices causés. Les peines sont quand même assez lourdes, mais en pratique cela dépend de la personnalité du prévenu et des conséquences de ses actes. Il faut que la peine soit proportionnée à la personnalité de l'auteur. Je pense que l'arsenal juridique est largement suffisant.
Quelles mesures supplémentaires pourrait-on envisager ?
Dominique Bodin : Une meilleure protection pour les bus, c'est évident. Il faut multiplier les cheminements, varier les itinéraires et les arrivées, afin de ne pas être pris en défaut par les gens qui guettent ce qui est faisable. Ensuite, c'est la coercition. Il existe des lois, celle de 1993 ou celle de 2006 sur la dissolution des groupes de supporters. Il y a des clubs qui ont pris la chose en main, comme avec le plan Leproux au PSG. Donc, appliquons la loi avec les peines maximales qui sont encourues, il faut arrêter d'être tolérant avec ce type de choses.
Il faut également améliorer la communication avec les groupes de supporters, où la grande majorité des membres est contre ce type de comportements. En améliorant la communication avec ceux qui ne posent pas problème, vous recueillez des informations sur ceux qui en posent. Cette communication est fondamentale pour la bonne prise de décision et la bonne anticipation. Enfin, il faudrait améliorer l'accueil des supporters et joueurs adverses, donc accentuer la sécurisation des abords comme de l'intérieur de l'enceinte.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.