Lens interdit de L1 : les arbitres financiers de la DNCG, grand méchant loup du foot français ?
Le RC Lens et Luzenac, interdits de monter respectivement en L1 et en L2, sont les dernières "victimes" d'une institution qu'on connaît mal.
"Je reste persuadé qu'on sera en Ligue 1", veut croire le président du RC Lens, Gervais Martel. Mardi 15 juillet, la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), qu'on a coutume de qualifier de "gendarme financier du foot français", a interdit au club artésien de monter en Ligue 1, droit qu'il a acquis sur le terrain. En cause : un virement de 10 millions d'euros de l'actionnaire azerbaïdjanais Hafiz Mammadov qui n'arrive pas. Les supporters sont sous le choc. Certains ont lancé une pétition. D'autres envisagent une manifestation devant le siège de la Fédération française de football. Mais comment fonctionne cette DNCG qui fait peur à tout le foot français ?
Une mission : aucun club en faillite
La DNCG naît au début des années 1990, après les errements financiers des années 1980 (caisse noire de Saint-Etienne, double billetterie du PSG...) et frappe un grand coup. Exit de la L1 les Girondins de Bordeaux du sulfureux président Claude Bez, exit le Brest Armorique du président mégalo François Yvinec, épaulé par Philippe Legorjus, ancien du GIGN, et par un mystérieux marchand d'armes. L'organisme a le pouvoir d'éplucher tous les comptes des clubs professionnels français avec un objectif : s'assurer qu'un club ne va pas exploser en vol en cours de saison.
"Chaque club doit présenter un plan à trois ans, qui comporte forcément un scénario de crise", explique à francetv info Christophe Lepetit, économiste au Centre de droit et d'économie du sport. Les clubs sont auditionnés jusqu'à trois fois par saison. "Les gens seraient surpris du bon climat qui règne pendant les auditions", sourit Richard Olivier, le président de la DNCG, contacté par francetv info.
Sauf quand un grain de sable enraye l'examen des comptes prévisionnels des clubs, ce qui est arrivé à Lens, avec ce virement de 10 millions d'euros d'abord différé à cause d'un jour férié en Azerbaïdjan, puis en raison d'une erreur dans le numéro du compte IBAN. "On est plus tatillon avec un investisseur étranger ou avec quelqu'un qu'on ne connaît pas, poursuit Richard Olivier. On lui demande de mettre de l'argent dans le capital du club, ou de garantir l'investissement. Quand le Qatar est arrivé au PSG, on lui a demandé de préfinancer tous les risques du budget prévisionnel. Idem pour les Russes à Monaco."
Le Mans, dernière victime en date
La DNCG dispose d'un arsenal de sanctions allant de la simple amende à la rétrogradation administrative en passant par l'encadrement de la masse financière. A l'issue de la saison 2012-13, la moitié des clubs professionnels français étaient concernés par des sanctions, relève le rapport annuel de l'institution (PDF, p.10). Il existe plusieurs recours. "Les clubs gèrent bien leurs dossiers dans leur grande majorité, tranche François Ponthieu, qui a dirigé douze ans durant la DNCG. Souvent, lorsqu'ils passent en appel, les clubs vont compléter les manques pointés par la DNCG. Ce n'est jamais qu'une question de financement." Le dernier recours pour le RC Lens, c'est la commission de conciliation du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), qui avait repêché l'OGC Nice en 2002.
Certains clubs, comme Lens ou Le Mans, sont des habitués des procédures à rallonge devant le gendarme financier du football français. "Le club du Mans avait fait tourner en bourrique la DNCG en présentant des chiffres flatteurs pour être maintenu en Ligue 2 en 2011-12. En janvier 2013, un audit a permis de soulever le tapis. On a découvert pas mal de cadavres dans le placard, et une dette de 14 millions d'euros, raconte Jean-Pascal Gayant, économiste à l'université du Mans. Du coup, le club, relégué sportivement en National, avait été puni par la DNCG, qui avait demandé sa rétrogradation en division d'honneur, soit trois niveaux en dessous. Le club avait fait appel auprès du CNOSF, traditionnellement bienveillant, qui avait proposé une solution médiane, en les envoyant en CFA [la 4e division]." Le club n'a pas survécu longtemps. Sa liquidation judiciaire a été prononcée à l'automne.
Un "consensus mou" en faveur de l'organisme
Rares sont les clubs qui poursuivent les recours au-delà de la justice sportive pour s'aventurer dans les méandres de la justice administrative. Le club de Tours avait obtenu gain de cause pour avoir été rétrogradé abusivement. Mais l'appel devant le Conseil d'Etat intenté par le club de Sannois Saint-Gratien avait été débouté, renforçant la légitimité de la DNCG. Gervais Martel a d'ailleurs prévenu, cité par lensois.com : "Le Conseil d’Etat ? Vous savez que c’est perdu avant l’heure."
Une douzaine de clubs, de la Ligue 1 au CFA, sont concernés par des rétrogradations administratives. Parmi eux, aucun cador du championnat. "Il y a un consensus mou qui règne pour approuver le travail de la DNCG, dénonce l'avocat Thierry Granturco. Beaucoup passent au feu orange, mais passent quand même. La DNCG n'a jamais eu affaire à du lourd. S'il n'y avait pas Fabien Barthez au club [en tant que directeur général], qui aurait entendu parler des problèmes de Luzenac [qui s'est vu refuser la montée en Ligue 2] ?" Les grands clubs, au budget plus important, sont mieux armés pour résister aux déficits. Lyon, qui présente des déficits depuis quelques années, passe à travers les gouttes, car il a présenté un business-plan sur le long terme, dans lequel il est prévu qu'il renfloue ses caisses avec son nouveau stade.
Un mal pour un bien ?
Rétrograder administrativement un club peut faire des dégâts. "Je comprends que les supporters nous voient comme l'ennemi dans un premier temps", reconnaît Richard Olivier. "La DNCG n'est pas une instance d'accompagnement des clubs, mais de jugement, fustige Thierry Granturco, qui s'est vu refuser une montée avec Rouen en 2012-13 alors qu'il en était président. Elle n'est pas dans une démarche : 'Faisons en sorte que ça marche'." Il n'est d'ailleurs pas prouvé que les rétrogradations administratives permettent au club de repartir sur des bases saines : Strasbourg et Grenoble, plombés par des turpitudes financières, remontent lentement la pente. Très lentement.
Il existe des DNCG dans les autres sports français, en rugby, en handball et en volley-ball. "Cette dernière n'a pas hésité à rétrograder des clubs historiques comme Poitiers", fait remarquer Christophe Lepetit. On est loin de la situation italienne. En 2003, relève l'économiste Wladimir Andreff, cinquante clubs de foot présentent de fausses garanties bancaires pour s'inscrire dans le championnat. Plutôt que de procéder à un grand ménage, le gouvernement légifère en catastrophe pour ôter toute compétence aux tribunaux administratifs sur le dossier. "Ce qui correspond à une quasi-légalisation de la dérive financière", conclut-il.
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