L'OM et les années Tapie, grandeur et décadence d'un amour passionnel
Disparu ce dimanche à l'âge de 78 ans, Bernard Tapie restera dans les esprits comme l'homme à l'origine du grand Olympique de Marseille des années 80-90, mais aussi celui qui causera sa propre perte.
L'OM lui doit d'être "à jamais le premier". Avec l'annonce du décès de Bernard Tapie, l'Olympique de Marseille a perdu une de ses plus grandes figures. Celle qui a posé les fondations de l'étoile dorée qui trône sur son blason. Celle aussi qui l'a entraîné la tête la première dans l'un des plus grands scandales de l'histoire du sport français.
Tapie et l'OM, c'est surtout un roman aux milles intrigues, de la romance enflammée au feuilleton policier. Le résumé presque parfait de toutes les vies d'un homme hors cadre, mais dont la marque restera plus indélébile encore dans la cité phocéenne qu'ailleurs. Marseille a été son coeur : président de l'OM, il y devient député, y rachète la célèbre marque Adidas. Sport, politique, affaires, ces trois faits de gloire seront tous trois à l'origine de sa chute. Sans qu'il n'ait jamais perdu l'amour d'une ville à nul autre pareil.
Bernard Tapie est déjà une figure au milieu des années 80, un animal médiatique même, possiblement la première vedette du petit écran issu du monde des affaires. Il a déjà réussi financièrement, ce qui l'entraîne vers les succès dans le monde du sport et le cyclisme. Avec La Vie Claire, Bernard Tapie vit ses premiers émois de dirigeant sportif au sein du peloton, et gagne deux fois le Tour de France avec Bernard Hinault et Greg LeMond. Mais la petite reine ne fait pas le poids face à la puissance du ballon rond.
Alors, Tapie cherche à faire fonctionner ses bonnes vieilles recettes entrepreneuriales qui ont jusque-là fait leurs preuves : reprendre un club à l'agonie pour le remettre d'aplomb et en tirer profit. Gaston Deferre et son entourage voient en l'industriel le candidat idéal pour prendre en main l'Olympique de Marseille en 1986. Le maire de la ville des Bouches-du-Rhône sait tout le poids affectif du club pour ses administrés. Et pour Bernard Tapie, devenir le patron d'un grand nom du football français, en plus de s'implanter dans la deuxième ville de l'Hexagone, permet de faire d'une pierre deux coups. A lui le cadre idéal dans la course à la gloire, et le contexte idoine pour ses desseins politiques.
Un franc symbolique et le début d'une légende
Marseille n'est plus un grand club du moment quand Bernard Tapie l'achète pour un franc symbolique en contrepartie des dettes comblées par ses deniers. Les finances sont dans un état désastreux et par ses résultats (12e du championnat en 1985-1986), le pensionnaire du Vélodrome est devenu un club lambda, une hérésie sur le Vieux-Port. L'Olympique de Marseille peut tout faire, même décevoir. Mais jamais s'affadir et tomber dans la banalité. Exactement comme Bernard Tapie. L'association est bien plus qu'un mariage de raison.
Bernard Tapie n'est pourtant pas du sérail. Il n'est pas un Marseillais, pire il est un Parisien pur souche comme on les honnit sur la Canebière, et pas plus un homme de foot. Mais son caractère et toutes ses excentricités font de lui l'un des leurs, unis par cette même furie, cette même envie de vibrer. Et de briller.
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Pour cela, Tapie ne lésine pas sur les moyens. Il amène dans son sillage Michel Hidalgo, le sélectionneur de l'équipe de France victorieuse de l'Euro 1984, comme directeur sportif. Les recrues de prestige se succèdent (Papin, Giresse, Abedi Pelé...). L'OM n'attend que la troisième saison de l'ère Tapie pour décrocher le cinquième titre de champion de France de son histoire et signe le doublé avec le succès en Coupe de France. Le football français voit naître une nouvelle dynastie : 5 titres de champions de France consécutifs et deux Coupes de France.
Mais Bernard Tapie n'est pas rassasié. Dans ses affaires, il fait l'acquisition de l'iconique marque allemande Adidas en juillet 1990 contre 1,6 milliard de francs (245 millions d'euros), un montant estimé insuffisant par rapport à la valeur réelle de la société et qui lui valu par la suite d'être l'acteur d'une chronique judiciaire toujours pas close avec le Crédit Lyonnais. Et sur la pelouse aussi, son ambition dépasse largement le cadre de l'Hexagone.
La main de Vata et les tirs au but de Bari
Déjà surdimensionnée pour les joutes de 1re Division, l'équipe phocéenne continue de se construire saison après saison par un recrutement trois étoiles (Mozer, Waddle, Francescoli, Tigana, Beckenbauer, Deschamps) grâce aux fonds de son propriétaire. L'effectif est armé pour regarder les grands du continent les yeux dans les yeux. Ceux de l'arbitre Marcel Van Langenhove ne verront pourtant jamais la main du Lisboète Vata, qualifiant Benfica dans les dernières minutes de la demi-finale de la Coupe d'Europe des clubs champions en 1990.
Marseille est révolté, Bernard Tapie ulcéré. Le financier se mue plus que jamais en patron défenseur de son club, souligne les différences de traitement entre l'OM "petit d'Europe" et les autres. Et prend date, avec sa gouaille caractéristique. "On a perdu ce match parce que Benfica est un beaucoup plus grand club, et plus ancien que nous. Il ne faut pas me la faire trop longtemps. Sur le plan du recrutement et de manager un club, je pense que j'avais su faire. Manager l'environnement d'une Coupe d'Europe, je n'avais pas compris. Je vous promets que j'ai compris. Cela ne se reproduira plus jamais."
Dans la position de l'attaqué, de l'outsider qu'il faut faire tomber, Bernard Tapie se régale. Son tempérament bouillonnant pour transformer l'Olympique de Marseille de roi de France à géant du football européen, cimente un peu plus sa place dans le coeur de la cité phocéenne, attachée viscéralement à son club. Et avec le technicien belge Raymond Goethals, il déniche son talisman pour tenir sa promesse.
En 1991, Marseille tombe aux tirs au but contre l'Etoile Rouge de Belgrade, en finale de la C1 à Bari. Papin, Waddle ou Mozer s'en iront dans les mois suivants. Bernard Tapie les supplée avec de nouveaux grands noms : Rudi Völler, Alan Boksic, ou Marcel Desailly. Et l'OM, par la main de son président, écrit en quelques jours la plus grande et la plus sombre page de son histoire.
1993, le Graal de Milan et la chute libre de VA
Marseille retrouve la finale de la Coupe d'Europe des clubs champions. Face à lui, un monument : l'AC Milan. Le rêve footballistique de Bernard Tapie se tient à 90 minutes de lui. Un coup de tête de Basile Boli envoie tout l'Olympique de Marseille au paradis. La Coupe aux grandes oreilles est enfin sienne, la première de l'histoire du football français. L'OM de celui qui cumule aussi un temps le poste de ministre de la Ville sous François Mitterand est dans la légende. La fête est à peine finie que déjà pourtant se lève un voile.
Quatre jours avant ce sacre, le club sudiste fait un pas vers un cinquième titre de champion de France de rang en s'imposant sur la pelouse de Valenciennes, qui lutte pour son maintien dans l'élite. Entre besoin de l'emporter pour se rapprocher d'un nouveau sacre et nécessité de ne pas cumuler les bobos avant le grand rendez-vous de Munich, ce qui devait être une formalité se transforme en piège. Celui-ci se referme. Le Valenciennois Jacques Glassmann révèle que le joueur de l'OM Jean-Jacques Eydelie, et Jean-Pierre Bernès, directeur général du club, lui ont demandé de lever le pied durant le match en échange d'argent.
L'enquête s'ouvre en juin 1993, et Bernard Tapie crie à la France entière son innocence et celle de l'institution OM. Entendu à plusieurs reprises, le dirigeant nie, accuse même VA de lui avoir proposé de s'entendre pour un match nul. Mais la spirale est enclenchée et ne s'arrêtera plus. Le 10 février 1994, Bernard Tapie est mis en examen pour corruption et subornation de plusieurs témoins. "Nous étions à une semaine de la finale contre le Milan AC, il fallait être certains d'avoir tous nos titulaires intacts, finira-t-il par admettre à la barre en 1997. Nous ne pouvions pas nous permettre de répéter l'erreur de la finale de Bari où deux joueurs étaient absents."
"Sur un terrain, je suis chauvin, Machiavel, je suis aveuglé par la passion de ce sport"
Bernard Tapieà Libération, le 18 mars 1995
L'OM a porté Bernard Tapie au firmament, autant que l'inverse. Et "qui veut la fin justifie les moyens", même s'ils sont au-delà des règles. "Le football est dans un univers clos, avec des règlements différents, qui se permet de bafouer la loi universelle" évoque-t-il à Libération en 1995. "Celui qui fait du sport, il peut comprendre qu'on essaie de couvrir un de ses mecs qui a fait une connerie. Mais payer le match c'est incompatible avec quelqu'un qui fait du sport et qui aime ça. Moi, entre prendre une condamnation ultra-sévère pour une subornation de témoin d'un de mes joueurs ou une toute petite peine pour corruption sur le match, je n'hésite pas une seconde."
Comme Icare, Tapie est parvenu à sortir d'une vie d'obstacles. Le passionné de sport avait côtoyé la mort dans sa jeunesse en espérant devenir pilote automobile. De petites affaires en grands coups financiers, Tapie avait pu, avec le club marseillais, s'élever jusqu'aux sphères qui le faisaient tant fantasmer. Il est "le boss" pour les supporters du Vélodrome qui avaient déployé une banderole en ces termes pour rendre hommage à leur ancien patron le 19 septembre dernier. Une énième preuve d'amour du peuple marseillais à son ancien patron, son ancienne idole. Et qui le restera à jamais, tant dans sa ferveur que sa démesure. Le titre de champion de France de 93 sera retiré, l'OM contraint au dépôt de bilan avec plus de 400 millions d'euros de dettes, et l'oprobre à jamais jeté sur les résultats de toute une époque.
#OMSRFC Force au Boss et à toute la famille Tapie ⚪️ pic.twitter.com/8VpZLGb61P
— VieilleGardeCU84 (@VGCU84) September 19, 2021
Grisé par la soif de victoire et de reconnaissance, Bernard aura fini par se brûler les ailes devant l'éclat doré des trophées. "Sur un terrain, je suis chauvin, Machiavel, je suis aveuglé par la passion de ce sport", résumera-t-il avec une justesse désarmante à Libération. Tapie et l'OM, une histoire d'amour qui ne s'éteindra jamais, malgré tout.
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