ENTRETIEN. "A Vérone, la Lazio ou l'Inter, certains ultras se réclament du néofascime", assure l'historien Sébastien Louis après les cris racistes contre Samuel Umtiti
Mercredi 4 janvier 2023, Samuel Umtiti a été victime de cris racistes lors de la rencontre entre son club, Lecce, et la Lazio Rome. Ciblé par les supporters romains, le champion du monde 2018 s'ajoute à une tristement longue liste de victimes d'insultes racistes dans le monde du football, et particulièrement en Italie. Historien spécialiste du supportérisme, auteur du livre Ultras, les autres protagonistes du football, Sébastien Louis revient pour franceinfo: sport sur cet incident, les précédents, et leurs origines.
Franceinfo: sport : On ne compte plus les incidents racistes dans les stades italiens. Quand cela a-t-il commencé ?
Sébastien Louis : Le premier fait de racisme dans un stade italien remonte au 21 novembre 1982 lors d'un match de l'Hellas Vérone contre Cagliari, avec un étendard raciste et des bananes jetées par les supporters de Vérone à l'encontre d'un joueur adverse péruvien. Ce geste ne fait pas trop parler de lui à l'époque. Et Vérone, ce n'est pas un hasard car en Italie, les épisodes de racisme ont souvent lieu dans les mêmes villes. C'est lié à une fraction des ultras qui se réclament de l'extrême droite, même s'il y a peu d'idéologie, de militants. Car une partie des groupes ultras se revendique d'un bord politique. A Vérone, la Lazio ou l'Inter, certains se réclament du néofascime. Cela explique en partie ces gestes.
Par quel biais affichent-ils leur orientation politique ?
Soit par des symboles visibles d'extrême droite comme des croix celtiques ou des croix gammées, soit par des symboles codés. Jusqu'au début des années 2000, on voyait des emblèmes clairement néofacistes dans les stades. En ce qui concerne les actes xénophobes, il y a des chants, slogans ou plus rare, des mises en scènes racistes. Ainsi, en 1996, lors du derby de Vérone, l'Hellas est sur le point d'engager un Néerlandais originaire du Suriname. Deux ultras mettent des capuches du Ku Klux Klan, pendent un mannequin noir avec le maillot du club, et allument un fumigène pour être bien visible avec une banderole : "Le nègre, nous vous l'offrons pour nettoyer le stade" dans le virage Sud.
Pourquoi l'Italie est-elle autant touchée par ce phénomène ?
En Italie, il y a eu peu de joueurs d'origine africaine. Ils arrivent à la fin des années 1970, ce qui est tard comparé aux autres championnats. Jusqu'à la fin des années 1980, ils sont peu nombreux. Ensuite, au début des années 1990, on assiste à l'émergence des ligues régionalistes au nord du pays, des partis sécessionnistes avec des succès électoraux. Ils accusent les habitants du sud de la péninsule d'être des cul-terreux, des personnes peu éduquées, des voleurs. Ce discours infuse dans la société italienne. Dans tout l'espace public, on voit des affiches de propagandes discriminatoires envers le sud de l'Italie.
"A la fin des années 1980, la société italienne s'ouvre à l'immigration. La population devient perméable aux discours xénophobes de partis populistes et néofascistes. Tout cela prépare le terrain. Or, le stade est un miroir de la société. Les épisodes racistes qui augmentent depuis les années 1990 sont liés à cette partie de la société qui devient plus intolérante."
Sébastien Louisà franceinfo: sport
Et ce racisme s'est immédiatement prolongé dans les stades ?
On a très vite vu cela dans les stades, notamment avec le Naples de Maradona, devenu la première équipe du sud de l'Italie à gagner le championnat. Le Napoli cristallise toute cette haine, avec des chants agressifs à son encontre, parlant de choléra, de rats, de tremblement de terre, de manque d'hygiène... Des milliers de personnes chantaient cela lors des matchs de Naples dans le nord de l'Italie.
"D'abord, on voyait ce racisme contre les Italiens du sud, qui est devenu aujourd'hui un racisme contre les étrangers. La société italienne était plus perméable aux idées racistes."
Sébastien Louisà franceinfo: sport
Comment explique-t-on que ce racisme perturbe encore le football italien en 2023 ?
D'abord, les affiliations politiques des ultras. Certains sont militants à l'extrême droite et utilisent les stades pour faire de la propagande. Le mouvement ultra s'est inspiré des supporters britanniques et des militants de l'Italie des années de plomb (entre 1968 et 1982). Ils s'inspirent de la provocation, du côté punk, de ces militants politiques. C'est ce qui s'est passé à Lecce avec les ultras de la Lazio. Quand les médias s'offusquent, cela fait plaisir à ces ultras qui se réclament de l'extrême droite. C'est un jeu pour eux.
"Les ultras de la Lazio sont contents aujourd'hui, parce qu'on parle d'eux dans toute l'Europe pour ces "faits politiques". Certains voient ça comme de la provocation, pas du racisme. Bien évidemment cela est un acte raciste, mais ils en nient la portée en se cachant derrière le contexte du match de football…"
Sébastien Louisà franceinfo: sport
Pour les Italiens, ça fait partie du sfotto, c'est-à-dire de la moquerie. Certains ne comprennent pas la portée politique, raciste des chants. Ou la nie. Cependant, le public de Lecce, dans son ensemble, a soutenu et scandé le nom de Samuel Umtiti. C'est une réaction spontanée intéressante, car assez inédite en Italie. C'était une manière de dire "On en a assez de vos bêtises".
L'extrême droite est au pouvoir en Italie. Cela peut-il aggraver la situation ?
On subit un discours xénophobe sur des chaines de télé, en Italie comme en France. Donc il ne faut pas s'étonner qu'il y ait ce genre de choses au stade. On laisse des xénophobes notoires parler tous les jours à la télé. Et comparé à cela, on a finalement peu d'incidents au stade... Depuis longtemps il y a une banalisation du racisme dans le vocabulaire italien, mais il y a rarement des actions xénophobes violentes, ça reste un phénomène assez complexe. Le gouvernement actuel n'aime pas ce genre de manifestations, parce que ça le dessert.
Les instances italiennes doivent bien avoir prévu des sanctions pour punir les auteurs d'insultes racistes ?
Il y a des sanctions importantes en Italie, comme l'interdiction de stade, et les matchs peuvent être arrêtés. Mais, pour reprendre le cas d'Umtiti, difficile de trouver les individus qui font des cris, masqués sous des écharpes. Et personne au sein d'un groupe ultras ne va dénoncer des membres de son groupe. En France, le public est plus diversifié qu'en Italie, avec une tolérance moindre pour ces évènements. On a aussi des groupuscules d'extrême-droite en France, mais ils se font moins remarquer dans l'enceinte du stade par des actions de ce genre. Il n'y aurait pas de silence complice en tribunes françaises, ce serait plus compliqué pour les auteurs d'insultes.
Mercredi, l'arbitre a interrompu le match, le speaker a annoncé les sanctions encourues. Mais en fait, c'est rarement appliqué. Le seul match interrompu définitivement est une rencontre amicale en 2013 entre Pro Patria et l'AC Milan. The show must go on... Il y a souvent des condamnations politiques, mais finalement rien de concret derrière. Selon moi, ces condamnations doivent venir du monde du football, et on sent qu'il y a eu un changement ces derniers temps. Il faut éviter les sanctions collectives pour ne pas donner le pouvoir à ces gens-là, c'est pour cela qu'arrêter un match est peut-être si rare. La solution vient du reste du public qui, comme à Lecce, doit prendre le dessus.
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