Ligue Europa : la Lazio est-elle vraiment un club fasciste ?
Le club romain, adversaire de l'Olympique de Marseille jeudi, est souvent pointé du doigt à cause des agissements de quelques supporters. Qu'en est-il réellement ?
Elsed Hysaj ne s'attendait pas à ça. Arrivé à la Lazio au mois de juillet en provenance de Naples, le latéral albanais a essuyé les critiques d'une partie de ses nouveaux supporters... avant même de porter la tunique biancoceleste. Son tort ? Avoir entonné le chant révolutionnaire Bella Ciao lors de son bizutage. "Hysaj parasite, la Lazio est fasciste", lui ont rétorqué quelques tifosi dans une banderole. Gêné, le club a tenté d'éteindre l'incendie par un communiqué. Las, l'épisode a rappelé combien il était difficile, pour la Lazio, de composer avec cette frange de supporters.
La polémique autour d'Elseid Hysaj continue à la #Lazio, accusé par les ultras d'avoir chanté "Bella Ciao" lors du rituel d'intégration. Le club l'a officiellement défendu, mais banderole ce soir des ultras à Rome (photo via Gazzetta) : "Hysaj parasite, la Lazio est fasciste". pic.twitter.com/xqZuGA6ROL
— GuillaumeMP (@Guillaumemp) July 19, 2021
Cette image de club très à droite, voire fasciste, a toujours collé à la peau de la Lazio. Créée en 1900, elle est la première équipe romaine. “C'est un club multisports, fondé par la grande bourgeoisie libérale et industrielle romaine, très anglophile", narre Fabien Archambault, professeur à la Sorbonne et spécialiste de l’histoire du football italien.
Mais si le club, 6e de Serie A l'an passé, a cette réputation, il le doit avant tout à ses supporters. À plusieurs reprises, ceux-ci se sont distingués par des cris de singes, autocollants antisémites représentant Anne Frank et saluts fascistes.
Dernier épisode en date ? Lors de la réception de l'Inter, samedi 16 octobre, un dresseur d'aigles - symbole du club - de la Lazio a été filmé en train d'effectuer des saluts fascistes, devant des supporters criant "Duce, Duce..." (surnom de Benito Mussolini). Le club a communiqué dans la foulée, suspendant la personne en question. Le mal est, définitivement, profond.
Nota della Società
— S.S.Lazio (@OfficialSSLazio) October 20, 2021
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Cette politisation de la Curva Nord - virage occupé par les ultras laziali au Stadio Olimpico - est intervenue dès les années 1970. "Pour certains, se déclarer néo-fascistes, c’était faire partie d’une minorité”, explique Sébastien Louis, historien et auteur du livre Ultras - les autres protagonistes du foot, avant d'ajouter :
"En réalité, peu de supporters sont réellement politisés. Mais ce sont des membres importants, qui décident de la colorisation politique d’un virage"
Sébastien Louis, historien et auteur du livre "Ultras - les autres protagonistes du foot"franceinfo: sport
Alors que le centre de la Ville Eternelle penche davantage pour l’AS Roma, les supporters de la Lazio viennent, eux, plutôt de la périphérie. Et notamment du sud du Latium. “On parle de villes comme Latina, construites par le pouvoir de Mussolini après l’assèchement des marais pontins, explique Fabien Archambault. Après-guerre, il y existe encore un fort ancrage fasciste." Autrement dit, la politisation de la Curva Nord tient d'abord de l'origine géographique de ses tifosi. Et pas d'un prétendu clivage politique, entre la Roma et Lazio.
Pour preuve, l'AS Roma a été fondée en 1927... par le pouvoir fasciste, soucieux de créer une grande structure de la capitale en fusionnant plusieurs clubs. "Mais comme la Lazio était assez puissante, elle a résisté, rappelle le chercheur Fabien Archambault. Tant et si bien que dans les années 30, on la considérait 'moins fasciste' que la Roma !" Et ce quand bien même le club biancoceleste était contrôlé par le général Vaccaro, officier de l'armée.
Depuis, la donne a changé. Si la Curva Sud de la Roma abrite toute sorte de mouvances politiques, la Curva Nord est très clairement marquée à droite. Certains membres revendiquent un héritage fasciste, quand d'autres se reconnaissent davantage dans les "nouveaux courants" d'extrême droite, ouvertement racistes. Une idéologie qualifiée par Sébastien Louis de "nationaliste-révolutionaire", empruntant tout de même quelques symboles marqués à gauche.
Des drapeaux palestiniens sont ainsi fréquemment arborés. "Ils ont aussi fait une banderole lorsque Carlo Giuliani a été tué lors des manifestations du G8 à Gênes, en 2001, rappelle l'auteur. Une extrême minorité se revendique anti-raciste, mais ils ne peuvent pas l'afficher au stade." Sébastien Louis poursuit, mobilisant la thèse de "la démocratie du coup de poing", selon laquelle le plus fort impose ses idées aux autres. Et ce, même si des associations se dressent contre toutes formes de discrimination, comme le groupe "Lazio e Libertà".
Des dirigeants pas perturbés par cette image
Aujourd’hui encore, les dirigeants affichent des accoutumances avec la droite italienne. Claudio Lotito, président de la Lazio, a été candidat aux élections nationales de 2018 sur une liste Forza Italia, parti de Silvio Berlusconi. Surtout, Lotito a lui-même dérapé en 2019 : “Les cris de singes ? Ils le font aussi à ceux qui ont la ‘peau normale’ (sic).” Dès lors, la question d’une réelle volonté de faire le ménage parmi ses supporters se pose.
“Quand cela fait trop de bruit médiatiquement, comme avec Anne Frank, Lotito prend position, mais c’est un peu hypocrite. C’est davantage une question d’image.”
Sébastien Louisfranceinfo: sport
De même, les sanctions n'incitent pas vraiment à la prise de décisions fortes. Lorsque des cris racistes ont été proférés à l'encontre de Mario Balotelli, en 2019, la Lazio a été condamnée à une amende de... 20 000 €.
Les tifosi de la Lazio bénéficient en effet d'un contexte politique italien favorable. "Leurs supporters ont toujours été là, mais ils ne pouvaient pas aller aussi loin qu'ils le souhaitaient lorsqu'ils étaient minoritaires, explique Fabien Archambault. Mais depuis quinze ans, le pouvoir politique est trop faible, et veut surtout ménager une partie de son électorat..." Si les élections municipales du week-end dernier ont avant tout profité à la gauche, l'extrême droite reste très forte, dans le sillage de Matteo Salvini et Giorgia Meloni.
Cette certaine impunité est confirmée par Sébastien Louis : "Les calendriers de Mussolini se trouvent facilement en Italie, une marche a lieu chaque année à Predappio, où il est enterré... Il y a un véritable problème de mémoire historique, il n'est donc pas étonnant que certains entonnent des chants fascistes au stade.", conclut l'historien.
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