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Vrai ou faux Les JO de Paris 2024 sont-ils vraiment financés par "3% d’argent public", comme l'affirme Emmanuel Macron ?

Cette présentation est trompeuse, jugent des économistes du sport auprès de franceinfo, car ce chiffre ne correspond qu'au budget du Comité d'organisation des Jeux olympiques.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Le président de la République, Emmanuel Macron (droite), et le président du Comité Paris 2024, Tony Estanguet, à Tokyo (Japon), le 23 juillet 2021. (MILLEREAU PHILIPPE / KMSP / AFP)

Au revoir Tokyo, bonjour Paris. La cérémonie de clôture des Jeux olympiques, dimanche 8 août, marque le passage de flambeau à la capitale française en vue des JO de 2024. Cet événement est activement défendu par Emmanuel Macron et Tony Estanguet, président du Comité d'organisation des Jeux olympiques à Paris (Cojo).

Parmi les inquiétudes régulièrement évoquées : un éventuel dépassement du budget des futurs Jeux et le coût de ceux-ci pour le contribuable français. "L'argent public ne représente que 3% du budget total", a assuré le président de la République dans un entretien au quotidien L'Equipe (article abonnés), le 25 juillet. Mais le chef de l'Etat a-t-il raison ? La cellule Vrai ou fake de franceinfo a disséqué cette affirmation.

Un chiffre mais deux budgets distincts

L'argument d'Emmanuel Macron n'est pas nouveau. Tony Estanguet l'a martelé, par exemple, au mois de mars, lorsqu'il a été auditionné par les sénateurs. Paris 2024 l'avait mis en avant, en septembre, pour répondre à une tribune d'intellectuels accusant les JO de "dilapider l'argent public". Il est également visible sur le site officiel de Paris 2024. "Le budget d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 est financé en quasi-intégralité (97%) par des recettes privées, c'est-à-dire du CIO (Comité international olympique), des entreprises partenaires, de la billetterie des Jeux ou encore des licences."

Mais cette présentation est incomplète. Les JO fonctionnent, historiquement, avec deux budgets distincts. L'un concerne le Comité d'organisation des Jeux olympiques. L'autre, la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo).

Or, le taux de 3% brandi par Emmanuel Macron et Tony Estanguet ne concerne que le budget du Cojo. Révisé en décembre 2020, il s'élève désormais à 3,9 milliards d'euros, et repose sur le sponsoring, la billetterie et une contribution du CIO. Cette somme doit couvrir les dépenses liées directement à l'organisation des Jeux. Elle financera, par exemple, l'aménagement du Grand Palais pour les épreuves d'escrime et de taekwondo, ou encore la mise en place du site temporaire de beach-volley au pied de la tour Eiffel. Le budget du Cojo financera aussi les cérémonies d'ouverture et de clôture, mais également le transport des personnes accréditées, qu'elles soient athlètes, journalistes ou salariées sur les sites des Jeux.

Une enveloppe différente pour les ouvrages olympiques

L'autre budget concerne donc la Solideo, qui est maître d'ouvrage d'une soixantaine d'équipements, dont le village olympique et le village des médias. Son montant s'élève à 3,4 milliards d'euros, dont 1,1 milliard provient de l'Etat et des collectivités territoriales. Si les fonds publics sont importants dans cette enveloppe, c'est parce que la Solideo est impliquée dans la construction d'équipements qui ne vont pas servir à la seule fin des Jeux olympiques mais seront utiles aux habitants, bien après les épreuves sportives. Le fameux "héritage" des Jeux pour le pays hôte.

"Parler de '3% d'argent public' est un peu fallacieux", estime l'économiste du sport Jean-Pascal Gayant, car cela "se fonde sur une base qui correspond à une certaine interprétation de ce qu'est le coût des Jeux olympiques pour la collectivité. Mais cela fait partie du roman des JO." Faire la distinction entre les deux budgets est pourtant fondamental, selon Paris 2024. "Le budget des Jeux, c'est 3,9 milliards, pas les 3 milliards de la Solideo", a souligné auprès du Figaro, en juillet, Michaël Aloïsio, directeur de cabinet du président du Cojo.

"Derrière chaque euro de la Solideo, il n'y a pas les Jeux, il y a un équipement public pour les habitants, c'est pour enfouir des lignes à haute tension, créer une école, dépolluer un terrain… Ce sont des infrastructures publiques."

Michaël Aloïsio, directeur de cabinet du président du Comité d'organisation de Paris 2024

dans "Le Figaro"

Interrogé par les sénateurs sur la question d'un éventuel lien entre les Jeux olympiques et le développement des transports en région Ile-de-France, Tony Estanguet a souligné que Paris 2024 n'avait rien sollicité : "En 2016, quand on construit notre dossier de candidature, on se cale sur la carte du Grand Paris Express." Et d'ajouter : "Aucune ligne de transport n'a été demandée par Paris 2024. Les Jeux se sont adaptés à la carte des transports de cette région Ile-de-France pour implanter des sites de compétition là où étaient prévues des gares." (A partir de 1h22 dans la vidéo ci-dessous).

Il a déjà été annoncé que la ligne 16 du futur métro du Grand Paris (Saint-Denis-Noisy) serait livrée avec deux ans de retard et ne serait donc pas prête pour l'échéance olympique. Paris 2024 va donc devoir s'en passer et s'est mis en quête d'autres solutions, avec notamment Ile-de-France Mobilités, pour pouvoir acheminer les spectateurs sur les sites de compétition.

Malgré les efforts déployés par le CIO ou Paris 2024 pour différencier les deux budgets, la distinction n'est pas si évidente. Michel Cadot, délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques 2024, les a lui-même regroupés. "Au total, nous sommes aujourd'hui sur ces budgets (…) pour le Cojo et la Solideo, en unifiant les deux, à moins de 25% de financements publics", avait-il déclaré devant le Sénat en décembre 2020.

Un dépassement systématique du budget

Par ailleurs, si "les Jeux payent les Jeux", comme le veut la formule ressassée par les instances officielles, la réalité est moins idyllique. Sur les trente dernières années, les coûts des JO ont à chaque fois dépassé le budget initialement prévu, parfois dans des proportions importantes. Londres a explosé son budget de 6,1 milliards d'euros en 2012, Rio de 23,5 milliards d'euros en 2016 et Pékin de 29,4 milliards en 2008. Les Jeux d'Athènes, en 2004, ont aussi eu un lourd impact sur les finances grecques, plombant de 2% à 3% la dette extérieure du pays.

Des chercheurs d'Oxford avaient aussi montré dans une étude (en anglais) en 2020 que, pour tous les JO depuis 1960, les dépenses ont été presque triplées par rapport au budget initial, avec un dépassement de 172% en moyenne, en données réelles (hors inflation). Le CIO avait contesté ces conclusions, reprochant aux auteurs d'avoir choisi une approche "profondément viciée" en mélangeant le budget Cojo et celui des autres infrastructures.

"Pour Paris 2024, on sait qu'il y aura un dépassement. Les budgets sont très difficilement tenables", anticipe auprès de franceinfo Jean-Baptiste Guégan, auteur spécialisé en géopolitique du sport. Si, pour Paris, les retards accumulés sur les constructions s'expliquent notamment en raison de la pandémie de Covid-19, ils sont fréquents sur les chantiers qui accompagnent les JO. "Pour finir les travaux à temps, si on veut accélérer, il faut payer des heures supplémentaires et des heures de nuit qui coûtent très cher et font augmenter la facture", explique à franceinfo Matthieu Llorca, maître de conférences en économie à l'université de Bourgogne.

"A chaque fois, les Jeux coûtent plus cher que ce qui avait été estimé, et en dernier ressort, celui qui paie, c'est le contribuable du pays organisateur."

Jean-Pascal Gayant, économiste du sport

à franceinfo

Néanmoins, Paris 2024 possède un argument de poids : 95% des sites sportifs utilisés pour la compétition sont déjà construits ou temporaires. Or les budgets qui explosent sont généralement ceux des infrastructures en construction.

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