Coupe du monde de rugby : de poil à gratter des grandes nations à pire équipe de la compétition, la Roumanie en plein déclin
"Des Chênes qui inspirent la pitié". Le quotidien de sport Gazeta Sporturilor n’est pas coutumier des unes consacrées au rugby, mais l’affront était trop grand. Samedi 30 septembre, la Roumanie a subi contre l’Ecosse (0-84) sa troisième déconvenue de rang, après les premières corrections infligées par l’Irlande (8-82) et l’Afrique du Sud (0-76). Le calibre des adversaires ne saurait être autre chose qu’un trompe-l'œil pour ce rugby roumain dans le creux de la vague.
La mauvaise passe ne date pas d'hier, mais le XV du Chêne parvenait jusqu'à cette Coupe du monde à conserver un peu d’écorce face aux grandes nations (24-34 contre l’Ecosse en 2011 ; 11-38 face à la France en 2015). Il apparaît désormais abîmé jusqu’à la racine, avant sa dernière sortie face aux Tonga, dimanche. Une nouvelle large défaite, de plus de 48 points d'écart, ferait de la Roumanie 2023 la pire équipe de l’histoire de la Coupe du monde en termes de différence de points. Elle en est à -234 après trois matchs et n'est pas très loin des -282 de la Namibie en 2003.
On en oublierait presque que, contrairement aux autres souffre-douleur d’hier ou d’aujourd’hui – citons par exemple la Namibie, la Russie ou l’Uruguay –, la Roumanie dispose d’une tradition rugbystique séculaire. Un test match annuel face à la France était ainsi organisé pendant une cinquantaine d’années, de 1957 à 2006. "Et ils n’étaient pas mauvais du tout !, se rappelle Christian Darrouy, international dans les années 50 et 60. Ils avaient un bon paquet d’avants. Ce n’était pas une partie de plaisir." Ces matchs, disputés au mois de novembre, sur un terrain souvent boueux et devant plus de 50 000 personnes à Bucarest, ressemblaient à un traquenard. Sur la période, la France en a d’ailleurs perdu huit face aux Roumains.
"S'ils étaient venus dans le Tournoi, ils n'auraient pas fini derniers tous les ans ! D'ailleurs, j'ai été surpris de leur décadence, ils sont tombés dans l'oubli..."
Christian Darrouy, ancien capitaine du XV de Franceà franceinfo: sport
La dernière défaite française en date, en 1990 à Auch (6-12), a à la fois coûté sa place de sélectionneur à Jacques Fouroux et marqué le chant du cygne du rugby roumain. L'âge d'or du rugby des Carpates coïncide en effet avec la dictature de Nicolae Ceausescu (1967-89). À l’instar d'autres sports, le Steaua (club de l'armée) et le Dinamo (club de la police) fournissaient l'intégralité de la sélection et étaient pleinement professionnels, dans un rugby international encore amateur. La chute du régime communiste, en 1989, a provoqué la fin de ce système.
Une qualification acquise sur tapis vert
Depuis, le rugby roumain ne progresse plus et, pire, recule dans la hiérarchie européenne. La Géorgie lui a volé son rôle de poil à gratter des grandes nations. Les Lelos dominent ainsi outrageusement le Tournoi des Six nations B, auquel participe également la Roumanie. Ils ont remporté 11 des 12 dernières éditions. "Nous n'avons que le Tournoi B et nous nous battons pour que tout ça évolue parce qu'en l'état, on ne pourra plus progresser", se désole l'ancien international roumain Valentin Ursache à Rugbyrama.
Même dans cette division européenne, les Roumains sont cantonnés aux seconds rôles. Leur présence au Mondial n'est rien d'autre qu'un trompe-l’œil, puisqu'elle a été acquise à la faveur de l'exclusion des Espagnols, qualifiés sur le terrain mais coupables d'avoir aligné un joueur suspendu. Quatre ans plus tôt, la Roumanie avait été privée de l'édition précédente pour la même raison, une première dans son histoire. Sur le terrain, elle ne suit plus le rythme de l'Espagne. Le contraste avec le Portugal, impressionnant dans ce Mondial, est frappant.
"Les Portugais investissent beaucoup plus sur la jeunesse", explique Zyad El Aichouni. L'ailier du Dinamo Bucarest est le seul joueur français du championnat roumain. Et après seize ans passés au Portugal, il maîtrise la comparaison. "Dès que je suis arrivé en Roumanie, j'ai proposé de donner des entraînements aux jeunes. Mais il n'y a pas d'équipe de -14 ans, de -16 ans ou de -18 ans. Il n'y a qu'une seule équipe juniors", décrit-il. Lors du dernier championnat d'Europe des moins de 18 ans, les jeunes roumains ont subi un désolant 0-102 contre l'Espagne.
"Il y a cinq ou six clubs complètement pro, mais les autres sont plutôt amateurs... Ils ont même jumelé la première et la deuxième division, donc il y a des gros écarts"
Zyad El Aichouni, joueur français du Dinamo Bucarestà franceinfo: sport
El Aichouni évolue dans un club historique et "très professionnel", qui truste les sommets dans un championnat au niveau disparate. Il évalue la Liga Nationala roumaine à un niveau proche de la Nationale 2, le quatrième échelon français. Cette confidentialité n'empêche pourtant pas 73% des joueurs sélectionnés pour la Roumanie d'évoluer dans ce championnat.
L'appel de joueurs étrangers au détriment de la formation
"Faute de bons adversaires, ils sont dans une perpétuelle zone de confort et se heurtent à un mur contre les grosses nations", confirme Catalin Fercu, ancien international pour Gazeta Sporturilor [lien en roumain]. "Et il y a aussi beaucoup d'étrangers dans le championnat, des Géorgiens ou des joueurs du Pacifique par exemple, illustre Zyad El Ainouchi. La Fédération leur donne des contrats pour les naturaliser et ainsi jouer en sélection."
Plusieurs Tongiens ont ainsi garni les rangs nationaux ces dernières années, pour un impact jusque-là limité, si ce n'est d'illustrer les carences roumaines en matière de formation. D'autant que, dans le même temps, les joueurs du cru ne s'exportent plus. Aucun des 33 sélectionnés pour la Coupe du monde ne joue par exemple en Top 14, alors qu'ils étaient en moyenne six lors des dernières participations depuis 1999 – première édition réellement professionnelle.
Les mieux lotis évoluent à Biarritz, Rouen ou Mont-de-Marsan en Pro D2, et aucun mondialiste n'a l'habitude du haut niveau. Les équipes roumaines ne sont d'ailleurs plus invitées en Challenge Cup, en raison du trop grand écart de niveau.
"Les nations de catégorie inférieure ont besoin de plus de confrontations avec les meilleures sélections."
Eugen Apjok, sélectionneur de la Roumanieen conférence de presse
"Ce serait bien d’avoir au moins un match par an contre eux", poursuit-il. En ce sens, la Roumanie a conclu un partenariat avec l'Italie pour disputer au moins un test par an et faire croître cette jeune équipe. Depuis sa prise de fonction en février dernier, Eugen Apjok a en effet évincé plusieurs cadres historiques. À défaut de faire l'unanimité au pays, la décision a le mérite d'être pensée pour le long terme. Mais il n'est pas dit que ce dernier, cinquième homme à occuper le poste en cinq ans, ait le temps de construire. "95 % des joueurs présents cette année seront certainement là lors de la prochaine édition", se projette-t-il. Encore faudra-t-il que le XV du Chêne se qualifie, ce qui n'est pas garanti malgré un format à 24 équipes.
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