Coupe du monde de rugby : Maxime Lucu, une doublure qui a de l'étoffe
La vie de demi de mêlée dans l'ombre d'Antoine Dupont est souvent ingrate. Contraint de ronger son frein, de se contenter de miettes et de se cantonner à un rôle d'éternel second sans faire la moindre vague, il lui est conseillé d'assumer l'héritage du grand absent, quand vient le moment de jouer. Telle est la dure mission de Maxime Lucu, propulsé titulaire lors du dernier match de poule contre l'Italie, vendredi 6 octobre, après la blessure du capitaine habituel.
"C’est la suite logique, il y a une hiérarchie depuis quelques années entre Dupont et Lucu", explique Vincent Clerc, ancien ailier international et consultant pour France Télévisions. Celle-ci est on ne peut plus claire. En 17 sélections, le joueur de Bordeaux-Bègles compte cinq petites titularisations, à chaque fois au sein d'une équipe remaniée et contre des nations de moindre calibre - le Japon trois fois, les Fidji et l'Uruguay.
L'Italie est sans doute plus proche de cette division que des sommets, mais Lucu va, vendredi, mener l'équipe "premium" dans un match à enjeu pour la première fois de sa carrière. "Il est prêt à endosser ce rôle", a promis son partenaire à la charnière Matthieu Jalibert, en conférence de presse lundi. "Ce sont deux joueurs différents, a concédé Grégory Alldritt mercredi. On travaille des stratégies, des circuits, des lancements, on ne travaille pas avec des personnes. Peu importe celui qui joue."
11 minutes de jeu en moyenne avec les cadres
L'homme au crâne lisse est pourtant de tous les succès récents des Bleus. Il incarne même à la perfection la notion de "finisseur". Ses 12 entrées en jeu, au relais de Dupont, sont souvent courtes : en moyenne, Lucu passe 11 minutes sur le pré, avec pour sommet ses 28 minutes contre l'Afrique du Sud, en novembre 2022 à Marseille. Entré prématurément après le carton rouge du capitaine, le Basque a apporté son flegme dans un océan de chaos et grandement contribué au succès asphyxiant des Bleus (29-26).
"C'est un stratège, très posé, il a une capacité à garder du sang-froid et à gérer les matchs à pression", poursuit Vincent Clerc. "Il est dans l’équipe depuis quelques années, donc il connaît très bien les lancements de jeu et la philosophie", confirme Dimitri Yachvili, consultant pour France Télévisions. A 30 ans, Lucu a en effet davantage l'étoffe du briscard expérimenté que du petit nouveau. Son statut de capitaine et de buteur lors des dernières phases finales avec Bordeaux-Bègles en atteste.
Un tel destin ne coulait pas forcément de source pour le gamin de Saint-Pée-sur-Nivelle, une commune de 7 000 habitants dans le Pays basque intérieur. Il y a grandi et découvert le rugby en même temps que son ami Charles Ollivon. "Au départ, je n'avais pas envie d'en faire mon métier, a-t-il confié pour UBB Mag. Comme tout le monde, je voulais être pompier (rires). Puis j'ai commencé des études pour être chef de chantier."
Le demi de mêlée choisit finalement de piloter des paquets d'avants plutôt que des travaux, et démarre en professionnel lors d'un anonyme Biarritz-Aurillac en Pro D2, à 21 ans et demi. Sa trajectoire est nettement moins rectiligne que celle du "Grand Charles", révélé chez le rival bayonnais et déjà sélectionné chez les Bleus au cours de cette même année 2014.
Des débuts en Top 14 à 26 ans
Aux côtés de son frère aîné Ximun, Maxime Lucu fait ses gammes dans son club de cœur et en devient capitaine. Mais la fratrie a le malheur de se trouver au milieu des années de plomb du Biarritz Olympique, englué dans une Pro D2 dont il ne peut s'extraire. Le cadet prend son mal en patience avant, à 26 ans durant l'été 2019, de remonter l'A63 pour rejoindre la capitale régionale. Son transfert à Bordeaux-Bègles est ficelé dès l'automne 2018, quelques semaines avant l'arrivée du manager Christophe Urios. "Je n’aimais pas trop sa façon de jouer, je trouvais que ça manquait de vitesse, avouait ce dernier en juin 2022. J'avais demandé au président si on ne pouvait pas changer, mais c'était trop tard."
"J'aurais probablement fait la plus grosse connerie de ma carrière si je n'avais pas fait venir ce mec. Il est énorme."
Christophe Urios, ex-manager de Bordeaux-Bèglesen conférence de presse
En Gironde, Lucu change de monde, découvre le Top 14, mais convainc immédiatement Urios d'en faire un incontournable. Son adaptation est telle que le Basque est appelé par Fabien Galthié lors de sa première liste, en janvier 2020, après seulement 12 matchs joués dans l'élite. Sa complicité avec Matthieu Jalibert saute aux yeux, et les deux hommes s'imposent vite comme une charnière "bis" de luxe, derrière Antoine Dupont et Romain Ntamack.
"À ce niveau-là, tout le monde est capable de jouer ensemble, mais c'est important d'avoir des automatismes, ne serait-ce que dans la communication", rappelle Dimitri Yachvili, lui-même ancien demi de mêlée biarrot.
"On ne peut pas toujours communiquer sur un terrain, surtout là, quand les stades sont pleins. Cela se joue vraiment aux sensations et au feeling, et ils l'ont."
Dimitri Yachvili, consultant pour France Télévisionsà franceinfo: sport
Vendredi, le duo de l'UBB va célébrer sa troisième titularisation commune en équipe de France. "Max est un gros bosseur, il a les pieds sur terre", décrit son complice Jalibert, de cinq ans son cadet. Et l'ouvreur de poursuivre les contours d'un portrait plutôt élogieux : "Si je devais donner une qualité, ce serait son leadership, sa façon de gérer le lien entre avants et trois quarts et son jeu au pied, en plus du fait que c’est un excellent défenseur." Autant de traits pour composer la panoplie du parfait n°9. "Voilà ce que je peux dire, il me donnera son billet plus tard !", en rigole Jalibert. Quelques offrandes de Lucu pour son ouvreur face à l'Italie combleraient probablement cette dette.
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