Six nations 2024 : Jack Crowley, de l'ombre de Jonathan Sexton à la lumière du jeu irlandais
Le moment redouté par l'Irlande entière est arrivé. Après 14 ans et 118 sélections (un record pour dans cette sélection), l'ouvreur emblématique Jonathan Sexton a mis, à 38 printemps, un terme à sa carrière après la dernière Coupe du monde. Orphelin de son maître à jouer, le XV du Trèfle va entamer cette nouvelle ère par un choc face à la France, vendredi 2 février à 21 heures (sur France 2 et france.tv) en ouverture du Tournoi des six nations. "Il est évident qu'il y aura un vide", avoue d'emblée le sélectionneur irlandais Andy Farrell. Pour tenter de combler ce trou béant, il a fait appel à Jack Crowley. Mais la tâche sera colossale.
Et pour cause, l'influence de Sexton sur son équipe était immense. "Je pense que Sexton, comme Dupont en France, n'est pas remplaçable", juge l'ex-international Dimitri Yachvili, consultant pour France Télévisions. Buteur hors pair, il est devenu le meilleur réalisateur de l'histoire de l'Irlande lors du dernier Mondial. "Il a un jeu comparable à personne d'autre, reprend Yachvili. Il était aussi efficace dans son aura, dans l'emprise qu'il avait sur les autres." Capitaine depuis 2019, il a laissé son rôle au troisième ligne Peter O'Mahony (34 ans).
Sur le pré, Sexton incarnait le jeu à la fois méthodique et imprévisible des Irlandais. Peu adepte des prises d'intervalle, l'ex-Racingman (2013-15) aimait semer la zizanie dans les défenses en distribuant le cuir parmi ses cellules de coéquipiers en mouvement perpétuel. La dernière séquence de sa carrière, d'une durée de 5'17" en quarts du Mondial contre la Nouvelle-Zélande (24-28), en est l'illustration : l'ouvreur a touché 21 fois le ballon sur 37 temps de jeu, dans une configuration de fin de match où les avants sont le plus souvent à la manœuvre. "Il représente tout ce qu’il y a de bon dans le rugby irlandais depuis près de deux décennies", soulignait le troisième ligne Jack Conan lors du dernier match de Sexton avec le XV du Trèfle.
Les deux dernières victoires françaises étaient sans Sexton
"Quand il est là, tout marche, quand il n'est pas là c'est un peu moins huilé", confiait d'ailleurs Romain Ntamack lors du dernier Tournoi. Lui non plus ne sera pas de la partie vendredi soir, victime d'une rupture du ligament croisé en août, remplacé par l'ouvreur de l'UBB Matthieu Jalibert, en attendant son retour à la compétition.
La succession de Jonathan Sexton présente nettement moins de garanties. Sur les quatre dernières années, l'Irlande a perdu trois fois en 17 matchs dans le Tournoi quand il jouait (18% de défaites) et deux fois en trois rencontres sans lui (66%). Ces deux revers ont d'ailleurs été concédés face à la France (13-15 en 2021, 24-30 en 2022), où ses successeurs de fortune Billie Burns puis Joey Carbery n'avaient pas pesé. La relève sera cette fois assurée par Jack Crowley, neuf sélections au compteur dont trois maigres titularisations à 24 ans.
"J'ai essayé d'apprendre autant que possible de Johnny au cours des deux dernières années, et d'absorber autant que je pouvais", a avoué l'intéressé, dont l'expérience dans le Tournoi se limite à... trois minutes en Italie l'an passé. "Jack a été comme une éponge auprès de lui, a poursuivi le sélectionneur Andy Farrell. Son héritage sera donc perpétué, je n'en doute pas."
La pression sur le dos de Crowley
Installé à l'ouverture au Munster depuis le printemps dernier, Crowley a, par exemple, montré son sang-froid en claquant le drop victorieux à la dernière minute face au Leinster, en demi-finale du dernier United Rugby Championship (ex-Ligue celtique)... à la manière de Sexton en 2018 face aux Bleus.
"Quand il commet une erreur, il tente quelque chose d'audacieux derrière, il ne panique pas inutilement", a salué l'ex-ouvreur Tony Ward à l'AFP.
"L'autre jour, il s'est fait contrer sur un coup de pied rasant et cinq minutes après, il a tenté une passe au pied vers un ailier. Cela montre une certaine force de caractère."
Tony Ward, ex-ouvreur international irlandaisà l'AFP
Parfois positionné en premier centre ou à l'arrière en club, Crowley est moins réfractaire à attaquer la ligne que ne l'était Sexton, usé par les blessures et les commotions lors de ses dernières années. Se pliera-t-il à un rôle de chef d'orchestre dans un cadre plus restrictif ? "On s’attend à une formation et une philosophie de jeu similaire que quand il y avait Sexton", a avoué Patrick Arlettaz, nouvel entraîneur de l'attaque des Bleus.
11 des 15 titulaires irlandais étaient en effet présents pour débuter face à la Nouvelle-Zélande en octobre lors de la Coupe du monde. Mais l'engrenage quasi parfait survivra-t-il à la perte de son élément moteur ? "L'ombre de Johnny Sexton plane sur eux", répond déjà l'ex-international Hugo MacNeill.
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