Récit Patinage artistique : Gabriella Papadakis-Guillaume Cizeron, de leurs débuts à Clermont au titre olympique, 20 ans d'une complicité en or

Depuis leurs huit et neuf ans, les deux athlètes ont toujours patiné côte à côte, gagnant tout, jusqu'à l'or olympique en 2022, avant d'annoncer la fin de leur carrière sportive, mardi.
Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
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Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron, lors des championnats du monde de patinage artistique, à Montpellier, le 26 mars 2022. (STUDIO AJ / SIPA)

Sur la glace, ils ne faisaient qu'un, tant leur symbiose était parfaite. Une description qui relève définitivement du passé, puisque Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron ont annoncé, mardi 3 décembre, l'arrêt de leur carrière. Leur association en danse sur glace aura duré plus de 20 ans. Ensemble, ils ont gravi toutes les marches, des championnats juniors aux Jeux olympiques, où ils ont décroché l'or en 2022, à Pékin. Sans jamais renier leurs idéaux. "Ils voulaient être eux-mêmes, avec leur liberté d'esprit et le besoin d'innover", résume à leur propos Romain Haguenauer, leur entraîneur depuis 2012.

Leur histoire débute en 2003 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Gabriella Papadakis a alors huit ans, Guillaume Cizeron, neuf. Sur suggestion de la mère de Gabriella, alors entraîneure, les deux jeunes patineurs en herbe tentent une association sur la glace. La combinaison des deux fonctionne immédiatement.

"Quand on met un couple ensemble, on les choisit déjà par le niveau de patinage, pour qu'ils s'accordent. On les choisit aussi pour la qualité du patinage, c'est-à-dire la manière de patiner", expliquait en 2008, à France 3 Auvergne, Catherine Papadakis, mère de Gabriella et entraîneure du couple de ses débuts jusqu'à 2014"Ils avaient un potentiel énorme. Malgré leurs différences, que ce soit la manière de patiner, leurs critères physiques et morphologiques, ils ont tout de suite été complémentaires, c'était naturel. Ils ont additionné leurs qualités", se souvient-elle aujourd'hui auprès de franceinfo: sport.

Un palmarès déjà bien garni chez les juniors

Dès les catégories jeunes, le couple excelle. Champions de France juniors 2008, 2009, 2010, 2011 et 2013, ils survolent les compétitions mais voient déjà plus loin. En 2011, ils passent de Clermont à Lyon, pour rejoindre Muriel Boucher-Zazoui, qui a notamment façonné les carrières d'autres grands couples : Anissina-Peizerat, Delobel-Schoenfelder et Péchalat-Bourzat. Cinquième des championnats du monde juniors l'année suivante, le jeune tandem marque les esprits. En 2013, ils passent une nouvelle étape en étant vice-champions du monde junior.

A Lyon, ils rencontrent également Romain Haguenauer, alors responsable du pôle France. Il les connaît depuis leurs 12 et 13 ans, mais ne les prend sous son aile à plein temps qu'en 2012, pour être toujours avec eux aujourd'hui. "J'ai tout de suite été impressionné par leur technique, leur qualité de genou", se souvient Romain Haguenauer auprès de franceinfo: sport. Il parle "d'alchimie" entre les deux patineurs. "Gabriella avait une expression qu'on voit rarement, et une facilité à s'adapter à Guillaume. Elle aurait pu le suivre les yeux fermés. Ils ont gagné beaucoup de temps grâce à cette qualité", pointe-t-ilLes points forts de Guillaume étaient, déjà à l'époque, "un toucher de glace, une souplesse et une puissance incroyable. Il était déjà capable de se déplacer deux fois plus vite que n'importe qui, sans effort apparent." 

Le trio se trouve parfaitement. "Il a toujours cru en nous, en nos capacités. Il a toujours eu une vision de comment on pouvait se développer. C'est quelqu'un qui a su nous guider", concédait ainsi Guillaume Cizeron auprès de l'AFP. 

Départ pour Montréal, le nouveau souffle

En 2014, Romain Haguenauer quitte Lyon pour Montréal (Canada). Tout juste majeurs, Gabriella et Guillaume décident alors de le suivre, pour faire de la capitale québécoise leur nouveau "chez soi", malgré le "désaccord" de Catherine Papadakis, écartée de la préparation du couple.

"Ma décision personnelle a été beaucoup orientée par le fait que je les entraînais, et j'arrivais à un moment où je sentais que le système en France me limitait à titre personnel et allait certainement limiter l'évolution de ce jeune couple très talentueux."

Romain Haguenauer, entraîneur de Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron

à franceinfo: sport

Le choix est payant. Alors âgés de 19 et 20 ans, ils s'adjugent leur premier titre européen en janvier 2015, suivi deux mois plus tard par un premier sacre mondial. "On ne l'espérait vraiment pas. On s'impressionne nous-mêmes", avouait alors Guillaume Cizeron après cette première médaille mondiale"Je redoute un peu l'année prochaine parce que, finalement, ça va être dur de faire la même saison", se hasardait Gabriella Papadakis. Pourtant, l'année suivante sera une copie conforme, avec le doublé Europe-Mondiaux. Au total, le couple remporte cinq titres européens consécutifs entre 2015 et 2019 et cinq titres mondiaux, en 2015, 2016, 2018, 2019 et 2022. 

Pour Romain Haguenauer, cette expatriation outre-Atlantique a été révélatrice, notamment pour Gabriella. Nouveau pays, nouvelle méthode d'entraînement. "Je pense qu'elle s'est ouverte à cet instant, observe-t-il. Elle a découvert un autre elle-même et son univers. Gabriella est une personne avec des choses à raconter et cela a contribué à leur titre de champion du monde remporté à 19 ans, plutôt qu'à 29 comme la plupart des couples de danse."

C'est un tournant dans leur carrière. "Lors de ce titre, ils sont passés d'inconnus à champions du monde", confesse Romain Haguenauer au sujet de "l'un de ses couples les plus faciles à entraîner".

La déception de 2018 avant la consécration en 2022

L'année 2022 abat de nouvelles barrières. Ils remportent un cinquième titre mondial un peu plus d'un mois après avoir enfin conquis l'Olympe à Pékin. L'exploit est historique. Avant eux, seuls les danseurs sur glace de l'URSS, Lioudmila Pakhomova et Aleksandr Gorchkov, avaient réalisé ce doublé. Ce titre olympique est aussi une revanche sur eux-mêmes, quatre ans après les JO de PyeongChang en 2018. Arrivés en favoris, ils avaient alors vu leurs espoirs s'effondrer dans le programme court, en même temps que le tour de cou de la tenue de Gabriella se décrochait, perturbant leur prestation finie à la deuxième place.

Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron, champions olympiques en danse sur glace, lors de la cérémonie des médailles, aux Jeux olympiques de Pékin (Chine), le 14 février 2022. (CHINE NOUVELLE / SIPA)

Vice-champions olympiques, derrière leurs rivaux et partenaires d'entraînements Tessa Virtue et Scott Moir, ils ont été profondément marqués par cette déception. A Pékin, ils l'effaçent avec l'or et la meilleure note totale de l’histoire (226,98 points). "Nous voulions réécrire ce chapitre de notre carrière, déclarait Guillaume Cizeron après avoir enfin décroché l'or olympique. On n'avait jamais été aussi stressés de toute notre vie. Mais en même temps, on a vécu l’un des plus beaux moments de notre carrière. On savait qu’on pouvait avoir confiance dans notre entraînement, que l’on pouvait se faire confiance sur la glace. Il y avait toutes ces 17, 18 années de partenariat."

Une longévité rare

Ensemble, ils traversent plus de vingt années de leur vie, passant de l’enfance à l’adolescence, les changements du corps qui parfois éloignent, la séparation avec leur famille… "Ce qui est exceptionnel, c’est d’arriver à trouver son et sa partenaire à un très jeune âge, c’est-à-dire qu’il y ait un ‘match’ quasi-parfait à huit-neuf ans, et que cela dure toute la carrière, souligne Romain Haguenauer. A vingt ans, ils avaient déjà plus d’une dizaine d’années d’expérience ensemble. Cela compte sur la glace pour les automatismes."

Le couple de danseurs sur glace Papadakis-Cizeron, lors de leur programme libre des Championnats du monde de patinage artistique, à Montpellier, le 26 mars 2022. (KAZUKI WAKASUGI / SIPA)

"Ils n'ont pas besoin de se parler pour se comprendre, et cela fait toute la différence. D'ailleurs, je ne connais personne d'autre dans le milieu qui n'a pas changé de partenaire", constatait à franceinfo: sport Annick Dumont, entraîneure française de patinage artistique et consultante pour France Télévisions, en 2022 au moment du titre olympique.

Cette longévité, ils la doivent à une vision artistique commune. "Ce sont certes des compétiteurs, mais gagner n'était pas leur but premier, livre Romain Haguenauer. Ils n'ont jamais fait de concessions, en se disant 'on ne va pas faire ça parce qu'on risque de ne pas gagner'. L'envie d'essayer de nouvelles choses a toujours pris le dessus sur la stratégie de marquer plus de points. C'est rare, car on parle quand même d'un sport olympique."

"Ils ont toujours été au-dessus du lot, et en-dehors du moule. Ils ont toujours gardé leur singularité, c'est pourquoi, ils ont été, selon moi, sous-notés pendant des années. Ça a pris du temps, mais ils ont fini par être reconnus."

Catherine Papadakis, mère de Gabriella et ex-entraineure du couple

à franceinfo: sport

Pendant 20 ans, Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron ont contribué, au-delà de leur palmarès, à changer leur discipline. "Ils ont réussi à montrer qu'en patinage, on peut faire les choses les plus simples, ou qui paraissent les plus simples, et les rendre magiques. Et qu'on ne soit pas obligé de multiplier des difficultés acrobatiques, ou, j'exagère volontairement, de se déguiser en clown avec des plumes et des paillettes", tranche Romain Haguenauer.

Pour lui, ils ont même "ramené la pureté du patinage alliée à celle de la danse pour gagner, avec les règlements actuels. En 2015, c'était une réelle révolution. Cela a amené un vent de fraîcheur dans ce patinage qui a toujours eu tendance à rester dans une zone 'un peu kitsch'". Catherine Papadakis, qui se félicite de leur avoir inculqué "la liberté de mouvement", loin du "formatage" du patinage, abonde : "Ils ont apporté un toucher de glace inégalable, une harmonie, une recherche artistique, et un relâchement dans le patinage". Après leur mise en retrait des compétitions en 2022, Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron raccrochent ainsi les patins pour de bon, ces derniers laissant derrière eux l'un des sillons les plus gracieux du patinage mondial.

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