Open d'Australie : "Mentalement, j'étais vidée"... Le calendrier trop chargé, insoluble équation des joueuses et des joueurs du circuit

Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Une joueuse fait appel au kiné lors du tournoi d'Auckland, le 5 janvier 2025. (MICHAEL BRADLEY / AFP)
Le calendrier ATP se densifie encore un peu plus en 2025 avec deux Masters 1000 qui passent de 7 à 12 jours de compétition ainsi que l'ajout de trois nouveaux ATP 500.

Une spirale infernale. Comme chaque année, l'Open d'Australie signe le début de la saison tennistique. Des saisons qui sont de plus en plus interminables pour les joueurs et les joueuses qui enchaînent de nombreux tournois aux quatre coins du monde. "Il y a beaucoup de tournois obligatoires, ils vont nous tuer", interpellait l'Espagnol, 3e mondial, Carlos Alcaraz, mi-septembre en marge de la Laver Cup.

"Je trouve que c'est du grand n'importe quoi. La saison est beaucoup trop longue, admettait à son tour Ugo Humbert, 14e mondial, en amont du Masters 1000 de Paris-Bercy. Il n'y a aucun autre sport où tu n'as qu'un seul mois de pause. Je vais finir ma saison juste après Metz [du 2 au 9 novembre 2024, où il déclarera finalement forfait après sa finale à Paris]) et je vais partir un mois après pour l'United Cup, qui commence le 27 décembre. Je ne peux même pas faire Noël chez moi."

Ce rythme effréné n'est pas près de ralentir en ce début d'année 2025. Les Masters et WTA 1000 du Canada et de Cincinnati passeront désormais à 12 jours de compétition au lieu de sept auparavant. Ils rejoignent ainsi Rome et Madrid qui avaient opéré le changement dès 2023, tout comme Shanghai pour les hommes ainsi que Pékin pour les femmes (passé déjà à neuf jours en 2023). Le circuit féminin est également passé à 10 WTA 1000 par saison pour la deuxième année. Chez les hommes, le nombre de tournois ATP 500 croît aussi (de 13 à 16), pour un total de 60 compétitions réparties dans 29 pays. "Il n'y a presque jamais un moment dans la saison où l'on peut faire trois semaines de préparation physique. Cette année, je n'ai pris qu'une seule semaine de vacances, puis j'ai eu deux semaines de préparation et c'est reparti pour un tour d'un an", relève, amer, Titouan Driguet, 185e mondial.

Un circuit qui oblige à enchaîner les matchs

Bien que la saison s'arrête sur les circuits ATP et WTA en décembre, le circuit Challenger (la deuxième division des tournois), lui, se poursuit, avec pas moins de 30 tournois organisés sur le mois aux quatre coins du globe chez les hommes comme chez les femmes. Autant de dates qui poussent de nombreux joueurs à s'aligner, même ceux déjà qualifiés pour leurs échéances. "Certains ont sécurisé leur place pour l'Open d'Australie en septembre, mais comme il y a des tournois jusqu'à décembre, ils peuvent se faire dépasser par d'autres qui vont continuer à jouer pour gagner des points jusqu'au dernier moment", souligne Constant Lestienne, 177 à l'ATP.

"Ils sont forcés à rejouer pour sécuriser leur place à nouveau. Si l'ATP organise des tournois, les joueurs qui ne sont pas dans le cut vont chercher des points."

Constant Lestienne, 177e à l'ATP

à franceinfo: sport

Ugo Humbert (14e mondial), lui, avoue avoir été obnubilé par son objectif d'atteindre le top 10 cette saison, au prix d'un sévère épuisement. "À force de trop penser à ça, j’ai perdu pas mal d’énergie dans la tête. (...) Si j'avais été un peu moins pressé de vouloir rentrer dans le top 10 - la raison pour laquelle j’ai joué toutes les semaines et que j’ai peut-être moins bien géré mon calendrier - j’aurais pu peut-être rentrer dans les 10", avait-il reconnu au Rolex Paris Masters, tout en étant satisfait d’avoir "appris" pour "mieux gérer [son] calendrier l’année prochaine".

"Un cercle vicieux"

La surcharge du calendrier, Alice Tubello l'a aussi vécue en 2024. Opérée d'une blessure à l'épaule en juin 2023, retombée à la 720e place mondiale, elle a multiplié les tournois pour retrouver son classement, autour de la 300e place. "Mon objectif était vraiment d'arriver le plus vite possible à mon meilleur classement et de viser les qualifications en Grand Chelem. Je suis bien remontée, mais j'ai fait un nombre de matchs incalculable", raconte la joueuse, désormais 222e à la WTA. En 2024, la native du Puy-de-Dôme a en effet joué 83 matchs entre le circuit principal et secondaire. À titre de comparaison, la Polonaise Iga Swiatek, numéro deux mondiale, est la joueuse à avoir le plus joué sur le circuit principal avec 73 matchs, alors que chez les hommes, c'est l'Allemand Alexander Zverev (90 rencontres) qui culmine le plus haut, d'après les données recensées par le compte X Jeu, set et maths.

"Les matchs s'enchaînaient et je n'arrivais plus à récupérer d'un match à l'autre, d'une tournée à l'autre. Et mentalement, j'étais vidée."

Alice Tubello, 222e joueuse mondiale

à franceinfo: sport

Après une année 2024 trop intense, la joueuse de 23 ans est lucide sur ce "cercle vicieux", où la chasse aux points devient une obsession. "On a toujours en tête les qualifications en Grand Chelem, car c'est un monde à part. On a toujours envie de les jouer, et financièrement, cela permet d'alléger un peu le coût de la saison. Il faut donc essayer d'être intelligent dans nos choix, et de bien se connaître". Titouan Droguet dresse le même constat après une année 2024 où il s'est mis "beaucoup de pression" et a enchaîné "trop de semaines d'affilée. Ça a fini par lâcher et j'ai multiplié les blessures, à l'épaule, à l'omoplate, ou encore à l'ischio. Je n'avais pas assez d'entraînement et de repos. J'essaie d'en prendre note pour la suite."

Un temps de préparation réduit, une hausse des blessures

L'enchaînement des tournois est tel que la plupart des joueurs passent plus de temps à jouer en compétition qu'à s'entraîner. "Cela m'a manqué par le passé, et c'est pour cela que j'ai décidé de couper un bon moment en fin de saison [son dernier tournoi remonte à mi-octobre]", reconnaît Alice Tubello. Sa 222e place doit lui permettre de rentrer dans de plus gros tournois et donc de remporter plus de points en moins de matchs en 2025.

Cette intensité n'est pas sans conséquence, notamment sur le plan physique. "Les joueurs ont moins de périodes d'entraînement, moins le temps de se préparer au niveau du foncier. Et qui dit moins de préparation dit une augmentation du risque de blessure", alerte Vincent Guillard, médecin à la Fédération française de tennis (FFT). Si le nombre de blessures n'a pas augmenté récemment selon lui, le nombre de joueurs jouant diminués est lui plus important. "Ils sont tous, globalement, blessés au moins une fois ou deux dans la saison. C'était moins le cas auparavant, parce qu'ils prenaient le temps de se préparer", souligne le médecin.

Les risques de burn-out sont également de plus en plus présents. "On leur conseille le plus souvent d'être suivis sur le plan psychologique, par un psychologue ou par un préparateur mental, de bien travailler sur leur programmation pour essayer de se laisser des temps de repos avant que ce soit un cocktail explosif, pose Vincent Guillard. Si le sujet est relativement nouveau, on a quand même la sensation qu'avant, il était plus facile pour les joueurs de se reposer quand ils en avaient besoin." Pour Alice Tubello, les prises récentes de parole des meilleurs joueurs mondiaux ont été bénéfiques. "Quand Jannik Sinner ou Carlos Alcaraz en parlent, forcément ça éveille les consciences."  

Faire des choix forts, l'une des clés du succès

Face à ce calendrier "trop lourd", Constant Lestienne accuse de son côté l'ATP "d'exploiter les joueurs" et de se "faire de l'argent sur [leur] dos". "Leur intérêt est de mettre le maximum de tournois au calendrier. Nous, nous sommes juste des pions qui s'exécutent parce qu'on subit la pression des points et du classement, donc on est obligés de jouer, sinon, on nous passe devant", regrette-t-il. Si l'heure est davantage au toujours plus, tous s'accordent à plaider un assouplissement du circuit par l'ATP. "Il n'y a qu'eux qui peuvent le faire", tranche le médecin Vincent Guillard.

L'ancienne n°1 mondiale Justine Hénin pointe néanmoins la responsabilité individuelle : "Les joueurs restent indépendants et peuvent, malgré tout, sur une partie de leur saison, choisir ce qu'ils veulent faire ou non, appuie la septuple vainqueure en Grand Chelem et consultante pour France Télévisions. Mais cela reste difficile car on est pris dans un système dont il faut beaucoup de force pour s'extraire et arriver à dire : 'non, là je vais prendre du temps pour m'entraîner, me ressourcer et me reposer'".

Un choix d'autant plus difficile pour les joueurs moins bien classés à la recherche de points. Pour autant, ce passage est obligé à en croire la Belge : "Pour continuer à franchir des paliers, assure-t-elle, il est fondamental de trouver une planification qui soit vraiment optimale et de faire des choix forts."

"Il faut se faire confiance et oser. C'est ce qui, parfois, peut faire la différence entre les grands joueurs et ceux qui deviennent des grands champions."

Justine Henin, ancienne n°1 mondiale

à franceinfo: sport

Premier joueur depuis Andy Murray en 2016 à remporter plus de 70 matchs dans la saison (73 pour six défaites), l'Italien Jannik Sinner disait en septembre, lors du tournoi de Pékin : "C’est vrai, ces dernières années, les saisons sont très longues, mais il faut faire des choix. Il y a des tournois obligatoires, c’est évident, mais chaque joueur peut encore choisir où et quand jouer. Ces deux dernières années, j’ai sauté des tournois parce que je voulais m’entraîner." Il est actuellement numéro 1 mondial.

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