Interview "Ce n'est pas toujours la route la plus rapide qui sera la plus facile" : comment travaille le météorologue du Vendée Globe pendant la course

La célèbre course à la voile n'est pas si solitaire. Plusieurs professionnels restés à terre sont mobilisés pendant tout le temps de la compétition. Christian Dumard, météorologue du Vendée Globe, garde les yeux rivés sur ses cartes, à l'affût des moindres phénomènes météo.
Article rédigé par franceinfo
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Christian Dumard, cofondateur de Marine Weather Intelligence et consultat météo pour le Vendée Globe. (ANNE BEAUGE / ALEA)

La 10e édition du Vendée Globe, course sans escale et sans assistance, ne se joue pas qu'en mer. Durant la compétition, plusieurs personnes travaillent dans l'ombre des skippeurs et jouent un rôle clé jusqu'à leur arrivée. Christian Dumard est le cofondateur de l'entreprise Weather Marine Intelligence et consultant météo pour le Vendée Globe. Il a d'ailleurs lui-même déjà navigué sur des bateaux de course, ce qui lui permet de mieux comprendre ce que vivent les skippeurs. Notamment quand la situation se corse.

franceinfo : Quel est votre rôle pendant la course ?

Christian Dumard : C'est d'abord de faire un bulletin quotidien sur la partie sécurité, parce qu'on n’aide pas les concurrents dans leur choix de route, mais on est là pour surveiller qu'il n'y ait pas de conditions extrêmes ou en tout cas pour les prévenir s'il y a des conditions extrêmes. Donc ils vont recevoir chaque jour vers 14 heures (heure de Paris) un document PDF, avec des images, sur lequel on fait ressortir les zones de vents forts, les zones de mer forte. On met aussi en évidence ce qu'on appelle les fronts, ce sont les zones où il y a beaucoup de grain (un vent soudain et fort pendant quelques minutes), des vents forts, des rafales. À eux d'analyser ce document puis de choisir leur trajectoire. Ils ont aussi des fichiers météo avec des logiciels embarqués à bord pour optimiser leurs routes. Et ça, c'est leur problématique. 

Vous suivez les skippeurs en temps réel ?

Pas tout à fait en temps réel, mais on sait toutes les quatre heures, comme sur le site officiel, où ils sont. On a des outils qui nous permettent de simuler la trajectoire de chacun des bateaux, pour savoir quels bateaux pourraient avoir des soucis dans les jours à venir. Nos prévisions portent sur une dizaine de jours, voire une quinzaine.

"Les coureurs reçoivent de l'information pour les cinq prochains jours. C'est vrai que parfois on en voit s'engager sur des trajectoires un petit peu osées, mais globalement, les skippeurs naviguent quand même bien."

Christian Dumard, météorologue de la course

à franceinfo

Par ailleurs, on n'a aucun lien avec les équipes des skippeurs. Tous les jours, on fait un point avec la communication du Vendée Globe, on leur fait des petites animations vidéo pour expliquer les enjeux stratégiques, ce qui va se passer dans les jours ou les heures à venir, est-ce que le vent va forcir ou mollir, pour que les gens de la communication puissent expliquer sur le live quotidien, sur le site web, sur les réseaux sociaux, aux journalistes également, ce qu'on attend les prochains jours. 

Vous vous basez sur quels genres de sources pour vos prévisions ?

On a plusieurs sources d'information, on a d'abord des données que tout le monde peut voir sur des applications grand public. On travaille beaucoup aussi avec des modèles probabilistes, ce qui donne un indice de confiance pour voir s'il y a des signaux faibles, s'il y a par exemple une probabilité d'avoir une dépression tropicale ou un coup de vent fort. À 5% ou 10%, on va le surveiller quand même. La probabilité n'est pas élevée, mais elle existe. Ce qu'on envoie aux coureurs tient compte de ces probabilités, avec notamment des systèmes de couleurs.

Y a-t-il des moments de la course que vous appréhendez ?

Là où on commence à avoir plus de travail, c'est lorsque les skippeurs sont dans le Sud parce qu'il y a toujours des dépressions qui passent. Alors ça ne veut pas dire que chaque coureur a du mauvais temps tous les jours, mais quand la flotte commence à être un peu dispersée, par exemple certains sont au cap de Bonne-Espérance, d'autres arrivent déjà en Australie... Là, il y a toujours un groupe de bateaux qui va être concerné par du mauvais temps chaque jour, et ça commence à être un peu plus compliqué.

"Il y a de la tension, forcément. On regarde beaucoup la cartographie et quand on voit des bateaux aller plus lentement, on se demande toujours s'ils n'ont pas un problème.

Christian Dumard, météorologue de la course

à franceinfo

Le Sud, ça va être ce qu'on appelle les quarantièmes rugissants ou les cinquantièmes hurlants. C'est après l'anticyclone de Sainte-Hélène, dans l'Atlantique Sud, au moment où ils vont arriver à peu près à la latitude du cap de Bonne-Espérance et jusqu'après le cap Horn. Juste après ce cap, parfois les conditions peuvent être difficiles. La dernière partie, la dernière semaine de course, peut être bien compliquée aussi pour les coureurs parce qu’ils arrivent aux Sables d'Olonne en hiver, c'est le moment où des dépressions passent dans l'Atlantique Nord et elles peuvent être bien méchantes. 

Et dans le cas où il y a bien un problème, que faites-vous ?

En cas de problème important, si un bateau est amené à abandonner parce qu'il a cassé, parce que le skippeur est blessé, ou pour une autre raison, à partir de ce moment, on a le droit de communiquer avec le skippeur. La direction de course va nous consulter pour essayer de trouver la route la plus adéquate pour que le skippeur et son bateau puissent rejoindre un port dans les meilleures conditions possibles notamment en fonction de la casse du bateau ou de l'état du skippeur. Ce n'est pas toujours la route la plus rapide qui sera la plus facile, en tout cas en termes de sécurité. Ça va être plus facile pour nous, bien au chaud derrière nos ordinateurs, de réfléchir à la meilleure route possible que pour le skippeur, qui est à bord de son bateau et qui doit déjà gérer ses problèmes. 

Vous avez vous-même déjà navigué, en quoi c'est un atout ?

Ça aide, parce qu'on se projette mieux dans les conditions que les skippeurs peuvent rencontrer à bord. On sait ce que c'est que d'avoir quatre, cinq ou six mètres de mer, d'avoir 40 nœuds de vent... Cela dit, je n'ai pas navigué sur des Imoca, qui vont très vite, et les chocs peuvent être violents. Mais le fait d'avoir navigué permet de mettre des sensations sur les chiffres et de se rendre compte qu'il n'est pas toujours facile de naviguer dans ces mers-là.

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