Le Tour de France est-il vraiment un événement "pour les vieux" ?

Article rédigé par Théo Gicquel - envoyé spécial
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 1 min
Historiquement événement suivi par un public âgé, le Tour de France voit son public rajeunir au bord des routes. (MARGAUX MOROCH / FRANCEINFO: SPORT)
La Grande Boucle a longtemps joui d'une image tenace de sport regardé par les retraités. Mais un nouveau public, bien plus jeune, afflue ces dernières années, notamment au bord des routes.

Les clichés du retraité qui roupille, télévision allumée sur le Tour de France, ou d'un public familial, souvent âgé, vissé sur sa glacière en bord de route, sont-ils toujours d'actualité ? La Grande Boucle, réputée pour s'adresser majoritairement aux retraités a vu depuis quelques années l'émergence d'un nouveau public plus jeune, notamment au bord des routes. Alors, qu'en est-il réellement ?

A la télévision, un public toujours âgé mais pas seulement

"Aujourd'hui, la deuxième tranche d'âge qui regarde le Tour de France à la télévision, ce sont les 15-34 ans", disait Christian Prudhomme au départ du Tour. Dans les faits, voici le détail : en 2023 sur France Télévisions, cette tranche fut la troisième (9 238 000 spectateurs), derrière les 35-59 ans (16 275 000) et les plus de 60 ans (16 353 000).

Par conséquent, l'âge moyen du public télévisuel du Tour de France reste élevé : 62,6 ans. Surtout, la tranche des plus de 60 ans reste beaucoup plus longtemps devant l'événement : plus de 14 heures par téléspectateur, contre 2h22 pour les 15-34 ans et 4h32 pour les 35-59 ans. 

En revanche, le Tour touche bien tous les publics : plus de 71% des 15-34 ont regardé le Tour l'an passé, un chiffre qui monte à 94% chez les plus de 60 ans. De plus, si le public de la Grande Boucle est certes plus âgé (62,6 ans) que le public moyen qui regarde la télévision (59,1 ans), il vieillit moins vite sur les 10 dernières années : +3 ans contre +7 ans pour le public global de France Télévisions.

Un constat que partage Cédric Vasseur, manager de la formation Cofidis et dans le cyclisme depuis 1992. "Je pense vraiment que le cliché des personnes très âgées qui regardent le cyclisme est dépassé. Aujourd'hui, on a toutes les tranches d'âge qui sont intéressées par la beauté du Tour de France, sportive et touristique".

Sur le bord des routes, un public plus jeune et plus bruyant

Sur le bord des routes, le Tour a toujours attiré tous les publics. Néanmoins, ses acteurs constatent un rajeunissement ces dernières années. "Ce changement de public, plus jeune et beaucoup plus festif, on l'a constaté sur le Tour 2023. Ça peut engendrer des difficultés par moments, mais tant que le respect est là, il n'y a pas de souci. Le constat est pour moi édifiant : il y a un nouveau public sur les routes du Tour", note Julien Jurdie, directeur sportif chez Decathlon AG2R La Mondiale.

Sur les routes, retraités et familles se côtoient toujours, mais un nouveau public a aussi fait son apparition : les groupes de supporters. "Avant, on posait la glacière en famille, avec les cousins et les parents. Là, on est plus en groupe, en bande", observe Christian Prudhomme, le directeur du Tour.

Un phénomène a notamment pris de l'ampleur : les "virages", lieux de réunion organisés un peu en amont pour soutenir un coureur. Celui pour Thibaut Pinot l'an passé avait été l'une des images du Tour, et il a fait des petits : Julien Bernard a eu droit à son fan-club vendredi, et il se murmure qu'un autre pour le dernier Tour de Romain Bardet se prépare. "Oui, c'est incontestablement nouveau. Le virage Pinot a été fait avec l'aide du Tour de France, ça a été un moment formidable", salue Christian Prudhomme.

Jeanne Meyer et son équipe ont suivi les supporters de Thibaut Pinot, venus en nombre à l'occasion de la 20e étape du Tour de France pour soutenir le coureur de la Groupama-FDJ.
Etape 20 : Au cœur du "virage Pinot" Jeanne Meyer et son équipe ont suivi les supporters de Thibaut Pinot, venus en nombre à l'occasion de la 20e étape du Tour de France pour soutenir le coureur de la Groupama-FDJ.

Un phénomène totalement nouveau ? Pas complètement selon Cédric Vasseur. "Ça a toujours existé, je pense qu'il y a plus de médiatisation aujourd'hui, mais du temps de Thévenet, Merckx ou Hinault, il y avait toujours une forte effervescence", estime le manager de Cofidis. De quoi renforcer également les craintes sur la sécurité. "Avant le virage Pinot, c'était le virage des Hollandais dans l'Alpe d'Huez depuis 20 ans. (...). On ne peut pas en avoir trois comme ça par jour", précise Christian Prudhomme, qui a triplé le cordage dans les ascensions cette année.

Netflix, réseaux sociaux, génération dorée : les raisons d'une évolution

D'où vient ce nouvel attrait pour le cyclisme chez les jeunes ? Les raisons sont multiples, mais à cette question, les interrogés débutent tous par ça : Netflix. La série dédiée à la Grande Boucle, commencée en juin 2023, a ramené un public peu au fait du cyclisme.

Combiné aux réseaux sociaux, le cyclisme fait peau neuve chez les jeunes. "L'effet Netflix, Tiktok, tous les réseaux sociaux, on l'a bien ressenti, c'est une certitude", affirme Julien Jurdie. "Ça permet de découvrir des champions, de mieux comprendre les stratégies de course, donc de fait, il y a un rajeunissement du public", confirme Christian Prudhomme.

Pour Philippe Mauduit, directeur course chez Groupama-FDJ, ce rajeunissement a cependant un effet pervers et narcissique chez ce nouveau public. "Ces jeunes sont attirés par ce qui brille, et peut-être qu'ils ne connaissaient pas le cyclisme car ce n'est pas très fun pour des gamins de rester cinq heures dans un canapé à regarder les mecs pédaler"

"L'arrivée de certains réseaux sociaux et cette série Netflix un peu romancée, où on provoque des rebondissements qui n'ont pas existé, ça attire forcément un public qui vit dans l'émotion, le zapping."

Philippe Mauduit, directeur course chez Groupama-FDJ

à franceinfo: sport

Un jeune public qui s'identifie plus facilement aux coureurs, les sollicite plus et peut parfois les mettre en danger, selon Philippe Mauduit. "On voit de plus en plus de téléphones qui touchent les coureurs, des selfies qui sont faits le dos tourné au peloton. D'un côté, c'est bien pour notre sport, de l'autre, on met encore une fois les coureurs en danger et on n'a pas trop les moyens de régler le problème."

En plus de Netflix, la génération dorée des "Six Fantastiques", Tadej Pogacar, Jonas Vingegaard, Primoz Roglic, Remco Evenepoel, Wout van Aert et Mathieu van der Poel, est l'autre facteur de ce rajeunissement.

Courses explosives, duels au sommet, coureurs "bankables" : le cocktail a tout pour séduire un public pas forcément averti. "On est passé d'un cyclisme ultra formaté il y a huit ou dix ans à des attaques parfois lointaines avec beaucoup plus d'imprévus. Ça ressemble plus au cyclisme des années 1970, avec des champions emblématiques, un peu comme le tennis avait Federer, Nadal et Djokovic", observe le directeur du Tour. 

Le maillot jaune Tadej Pogacar et Mark Cavendish en discussions lors de la 5e étape du Tour de France 2024. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

Mais certains grognards arrivent à traverser les générations. Lors de la 35e victoire de Mark Cavendish, on trouvait tous les âges au bus Astana. "La plupart des champions d'aujourd'hui sont jeunes et très forts tout de suite. Dans le même temps, un Cavendish de 39 ans va gagner sa 35e victoire. Ça fait que ça touche absolument tout le monde", observe le directeur du Tour.

Le cyclisme a revu sa copie pour toucher davantage de public. Une obligation pour continuer à exister face à l'émergence d'autres sports parfois plus télégéniques pour les plus jeunes. "Le propre d'un sport qui continue d'exister, c'est d'évoluer avec son temps, et le cyclisme s'adapte très bien", conclut Cédric Vasseur.

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