Tour de France 2023 : pour Warren Barguil et Thibaut Pinot, la délicate gestion de l'enchaînement Giro-Tour
Il n’avait jamais réussi à trouver un bon coup de pédale. Sur le Tour de France 2022, Mathieu van der Poel, attendu pour se mêler à la lutte pour des victoires d’étapes, avait finalement abandonné lors de la 11e étape, regrettant de ne pas avoir les jambes, alors qu’il avait disputé le Giro quelques semaines plus tôt. Enchaîner un succès en Italie et en France, seulement sept coureurs l'ont fait dans l'histoire, le dernier étant Marco Pantani en 1998. Un défi hors norme. Thibaut Pinot, meilleur grimpeur sur les routes italiennes, et Warren Barguil, leader de l’équipe Arkea, vont enchaîner les deux Grand Tours cette année, dont la Grande Boucle débute samedi 1er juillet. Ils ont tenté de se préparer au mieux pour garder de la fraîcheur et aller jusqu’à Paris.
Cinq semaines ont séparé la fin du Tour d'Italie du début du Tour de France. Pour dix-neufs coureurs qui s’apprêtent à enchaîner les deux Grands Tours, dont six ont abandonné en cours du Giro, la préparation pour la Grande Boucle a été de courte durée. "Ce qu’il faut prendre en considération, c’est la manière dont le coureur a terminé le Giro. S’il est épuisé, ça sera compliqué de récupérer en cinq semaines, assure Frédéric Grappe, directeur de la performance de Groupama-FDJ. Thibaut a terminé son Giro loin d’être épuisé, il était même plutôt sur une pente ascendante, avec une relative fraîcheur et c’est ce qui a fait pencher la balance de son côté pour la sélection sur le Tour".
Pour repartir sur de bons rails, Thibaut Pinot, qui a déjà connu cet enchaînement en 2017 sans réussite (abandon sur la 17e étape du Tour), a bénéficié d’une semaine complète de repos, sans monter sur le vélo, pour se ressourcer. "Une grande partie de la récupération se fait au niveau du cerveau, avance Frédéric Grappe. Car si un coureur lâche sur le vélo ensuite,ce n’est pas à cause du physique, mais de la fatigue centrale, du cerveau, qui contrôle tout. Il a trois fonctions essentielles : une motrice, qui envoie du jus au niveau des muscles, une cognitive, qui traite l’information, et une perceptive, qui fait en sorte que l’on ressent des choses. Si vous faites beaucoup travailler la partie cognitive, le cerveau va prendre beaucoup d’énergie de ce côté-là et va envoyer moins d’énergie aux muscles. Il faut donc laisser son cerveau se recharger dans la sérénité".
Des repères complètement bouleversés
Si Thibaut Pinot s’est ressourcé chez lui auprès de ses chèvres, Warren Barguil est, lui, parti en vacances une semaine à Marrakech. Un schéma que le coureur et son équipe découvrent : "Ça change totalement nos repères, parce que d’habitude, la préparation du Tour se déroule sur 10 semaines, pas cinq, avec un stage en altitude. On a plein de jalons qui nous permettent de savoir si on est dans les temps pour monter en puissance. Là c’est totalement l’inverse, on est dans l'inconnue, puisque la priorité, c’est de récupérer", explique Kévin Rinaldi, entraîneur au sein de l’équipe Arkea. De retour de vacances, Warren Barguil a ensuite connu un contretemps. "Malheureusement, je n’ai pas pu repérer d’étapes de montagne. Je devais venir en stage dans les Pyrénées juste avant le championnat de France, pour faire un petit bloc de 3-4 jours, mais il faisait mauvais, donc on a fait le choix de rester à la maison pour faire des heures de vélo", explique-t-il.
Habitué des stages en altitude au printemps, Warren Barguil a donc tiré un trait dessus cette année, et a simulé l’altitude et ses effets grâce à une tente hypoxique, dans laquelle la disponibilité de l’oxygène est réduite, afin d'obliger l’organisme à s’adapter. Sur les routes bretonnes, il n’a en revanche pas pu simuler le dénivelé des montagnes et volcans habituellement empruntés en stage. "Lors de ses sorties pour du travail spécifique, il a réussi à trouver du dénivelé, mais pas sur de longues distances", précise son entraîneur.
Une montée en puissance attendue au fur et à mesure du Tour
Thibaut Pinot a lui aussi repris l’entraînement progressivement. "Je n’ai pas eu l’autorisation de faire beaucoup d’intensité ni beaucoup d’heures. On m’a beaucoup freiné pour garder du jus et maintenir ma forme en fin de Giro", décrit le coureur. "Il faut trouver le juste milieu entre ne pas trop en faire et en faire trop, explique Frédéric Grappe. Le danger serait que le coureur veuille se tester pour savoir où il en est, et en mette trop en terme d’intensité. Il ne faut pas créer de fatigue, pour que l’athlète ne se retrouve pas dans le rouge. Par exemple, dans la deuxième semaine, si on a prévu une sortie de cinq heures, mais que le corps ne répond pas bien au bout de 3 heures, il ne faut pas forcer, et il vaut mieux rentrer à la maison. Et ensuite il faut réinjecter un peu de spécifique course dans les troisième et quatrième semaines, avec un peu plus de rythme, de travail derrière un scooter, et quelques montées de col, mais sans pour autant mettre trop d’intensité".
Pour se remettre dans le bain de la course avant le Tour de France, Warren Barguil et Thibaut Pinot ont participé aux championnats de France, sans beaucoup de réussite. "Si le circuit n’avait pas été ainsi, j’aurais bien aimé faire l’impasse sur le championnat pour faire un stage en montagne avant d’arriver au Tour, mais il fallait que j’y sois et la chaleur a freiné mes ardeurs", explique le coureur d’Arkea, quand Thibaut Pinot explique qu’il a "manqué d’intensité".
Alors que la logique pourrait laisser croire à une accumulation de fatigue au fur et à mesure du Tour, les deux coureurs estiment au contraire qu’ils devraient monter en puissance en deuxième et troisième semaines. "Il y a des étapes de montagne sur les trois semaines, donc Warren va se réhabituer à l’intensité et à cet effort petit à petit", mise Kévin Rinaldi.
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