Tour de France 2023 : de vainqueur tyrannique à perdant magnifique, Tadej Pogacar est redevenu humain dans le col de la Loze
"Je suis lâché. Je suis mort." Les mots sont courts, expéditifs, à bout de souffle. Ce sont ceux de Tadej Pogacar, scotché au bitume dans l'interminable montée du col de la Loze, mercredi 19 juillet, à la radio de son équipe. Déjà repoussé à 1'38" de Jonas Vingegaard dans le contre-la-montre mardi, le Slovène avait pourtant lui-même écrasé le reste du peloton. Mercredi, il a rejoint les autres, laissant filer vers un second Tour un Jonas Vingegaard impassible, et visiblement déterminé à ne laisser d'espoir à personne, et surtout pas à Pogacar.
Résultat : 5 minutes et 45 secondes à ajouter à son débours, pour un retard culminant désormais à 7 minutes et 35 secondes d'avance sur le Danois. "Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. En bas de la dernière ascension, j'étais complètement vidé. J'ai beaucoup mangé mais ce n'est pas arrivé dans les jambes. Je suis extrêmement déçu", a-t-il ressassé.
Si la chute en début d'étape et la chaleur peuvent expliquer en partie sa journée terrible, Tadej Pogacar a connu la seconde grosse défaillance de sa carrière sur le Tour. En 2022, personne ne s'attendait à ce qu'il coince autant dans le col du Granon. Cette fois, on pouvait deviner quelques signes annonciateurs. Depuis le puy de Dôme (9e étape), il n'avait plus jamais décollé Vingegaard de sa roue. Le début du contre-la-montre a vite donné la mesure de la gifle qu'il allait prendre.
Mercredi, Tadej Pogacar a rapidement enlevé ses lunettes, ouvert son maillot, et n'affichait pas le sourire qu'il aborde en toutes circonstances. Son teint était livide au pied du dernier col, son souffle court, son casque légèrement dévissé. La messe a rapidement été dite. "Probablement qu’hier, il a pris un coup derrière la tête malgré son bon chrono, ça a dû le fatiguer. Il s’est sauvé aujourd'hui avec une grande classe", retient son manageur Mauro Gianetti, satisfait de voir que son coureur n'a perdu aucune place au classement général.
Alors que Jonas Vingegaard, derrière ses lunettes opaques, exhibait ses canines aiguisées comme des lames et s'envolait pour tuer le Tour, Pogacar est redescendu au niveau des autres, ceux qu'il a eu l'habitude de laminer sans pitié sur les classiques cette année, où sur le Tour en 2021. Attendu par Marc Soler, dépassé par plusieurs coureurs, éreinté à l'arrivée, le regard vide, Pogacar a pris la mesure de sa place dans ce Tour. "C’est la première fois que je le vois comme ça, mais c’est quelque chose qui va lui permettre de prendre conscience de lui-même. Même si on est Tadej Pogacar, on ne peut pas tout faire", tempère Mauro Gianetti.
Le Tour est terminé, Tadej Pogacar le sait. Il ne montera pas sur la plus haute marche du podium pour la seconde année consécutive. Si l'excuse d'une préparation tronquée par sa blessure au poignet tient la route, le Slovène n'a pu grappiller que des petits paquets de secondes quand Jonas Vingegaard a frappé trois gros coups qui l'ont à chaque fois assommé : dans le col de Marie-Blanque, sur le chrono et dans le col de la Loze. "Avec ce genre de préparation, il n’y a que Tadej qui peut réaliser ce qu’il est en train de faire. Probablement qu’un autre coureur n’aurait pas pu se présenter sur le Tour en aussi bonne condition", a tenu à souligner son manageur.
Dauphin au classement, leader sur le bord des routes
Mais Tadej Pogacar n'a peut-être pas tout perdu mercredi. Alors que Jonas Vingegaard laisse sans voix le peloton et rappelle par instants la domination de l'équipe Sky, le zébulon slovène, qui endossait ces mêmes critiques depuis son explosion en 2020, apparaît plus humain car faillible. "Le vrai Tadej c’est celui qui attaque dans les classiques, qui a gagné deux Tours. Ce n'est pas celui que l’on a vu aujourd’hui", a reconnu Mauro Gianetti.
Affable en dehors de la course, blagueur sur ses jours de repos, une baguette sous le bras ou à faire des saltos dans la piscine, Pogacar est passé mercredi dans la case des perdants magnifiques. Son caractère fougueux en course et sa modestie lui avaient déjà permis de gagner le cœur d'une grande partie du public.
"Je pense qu’il a touché le cœur de tout le monde aujourd'hui. Tout le monde souhaite qu’il revienne au plus vite."
Mauro Gianetti à propos de Tadej Pogacarle 19 juillet
Malgré ses déboires, il sera important de se souvenir que Tadej Pogacar évolue malgré tout une jambe au-dessus de tout le monde, là où Jonas Vingegaard passe allègrement les deux jambes. S'il n'a pas hésité à saluer son rival à Combloux, acceptant sa défaite, le Slovène n'a pas réussi à cacher sa tristesse sur le podium du maillot blanc mardi. "Hier après le repas j’ai parlé avec lui, deux minutes seulement, pour le soutenir, soutenir la personne. Il a traversé beaucoup de choses, fait beaucoup de sacrifices pour la préparation, il a quitté sa famille, chez lui. C’est important de créer une bonne atmosphère autour de Tadej, dans les bons, comme dans les mauvais moments, et surtout dans les mauvais moments", souligne son directeur sportif Joxean Fernandez Matxin.
Tadej Pogacar devrait vraisemblablement terminer deuxième du Tour, et concéder une nouvelle fois son trône à Jonas Vingegaard. En 2022, l'argument de la surprise pouvait fonctionner. Pour la seconde fois, le roi déchu doit ployer le genou. Il laisse la couronne à l'imperturbable Danois, mais Pogacar a sans doute gagné cette année ce que Vingegaard n'a pas encore, et n'aura peut-être jamais : l'affection du grand public, qui découvre un peu plus chaque année son caractère intrépide et ses failles. C'est aussi comme ça que les légendes du Tour se dessinent.
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