: Vrai ou faux Avec la réforme des retraites, 40% des Français pourront-ils partir avant 64 ans, comme l'affirme le gouvernement ?
Pour défendre sa décriée réforme des retraites, le gouvernement martèle un élément de langage. "Ce sont près de quatre travailleurs sur dix qui pourront prendre leur retraite avant 64 ans", assure le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, à l'issue du Conseil des ministres, le 11 janvier. "Avec notre réforme, (...) c'est 40% des Français qui partiront avant 64 ans", insiste Gabriel Attal, ministre des Comptes publics, sur Europe 1 le 15 janvier. "Au total, quatre Français sur dix, souvent les plus modestes, les plus fragiles, celles et ceux qui ont des métiers difficiles, pourront partir avant 64 ans", renchérit la Première ministre Elisabeth Borne devant le Sénat, le 18 janvier. L'exécutif dit-il vrai ou "fake" ?
Le dossier de presse de la réforme des retraites (PDF, page 21) précise d'où provient cette estimation. Il s'agit d'une projection basée sur le nombre d'assurés bénéficiaires, en 2020, d'un départ anticipé ou de mesures d'aménagement. Cette année-là, 40% des nouveaux retraités ont pu profiter de conditions de retraite assouplies, au titre du dispositif pour les carrières longues (22% des départs), de leur appartenance à certaines catégories, dites "actives", de la fonction publique (3%) ou pour des raisons médicales, d'invalidité, de handicap ou de pénibilité (16%). Ces chiffres concordent avec ceux publiés par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) sur le nombre de retraités ayant bénéficié d'une retraite anticipée ou de mesures dérogatoires (environ 23%) ou de pensions d'invalidité ou d'inaptitude (16%).
Selon le gouvernement, avec sa réforme, la même proportion d'assurés, soit quatre Français sur dix, pourront partir avant l'âge légal de 64 ans. Vu sous un autre angle : avec le projet gouvernemental, six assurés sur dix partiront eux à la retraite après 64 ans et bénéficieront d'un taux plein à coup sûr à 67 ans, comme aujourd'hui. L'estimation paraît "crédible", "même si elle ne constitue pas une étude d'impact détaillée", juge pour franceinfo l'économiste Michael Zemmour, maître de conférences à l'université Paris-1.
Un départ repoussé de deux ans
Pour autant, avertit Michael Zemmour, la réforme aura "un effet très fort de décalage" de l'âge de départ en retraite pour des catégories de travailleurs en carrière longue ou exposés à la pénibilité. "Typiquement, une personne qui a commencé à travailler avant 20 ans peut partir aujourd'hui à 60 ans. Demain, cela sera à 62 ans", fait remarquer l'économiste. Les personnes qui ont commencé à travailler tôt font "partie des gens qui prennent le maximum avec cette réforme", en conclut l'universitaire. "Les personnes en maladie professionnelle seront également perdantes et devront partir à 62 ans au lieu de 60 ans", ajoute à franceinfo Régis Mezzasalma, conseiller confédéral CGT en charge des retraites.
Les dérogations sur l'âge légal sont "uniquement de la cosmétique", dénonce Régis Mezzasalma. "Affirmer que 40% des gens partiront en retraite anticipée, ce n'est pas la même chose si ces 40% partent à 60 ans ou à 64 ans". "Dans le meilleur des cas, vous partez au même âge que maintenant", souligne le syndicaliste. Le représentant CGT fustige un effet d'annonce de la part du gouvernement. Actuellement, "les personnes en invalidité ou inaptitude, environ 100 000 personnes, peuvent partir à 62 ans", explique le syndicaliste. Avec le nouveau système, "elles continueront à partir à cet âge, mais rentreront dans la catégorie plus large des personnes qui pourront partir avant 64 ans", alors que leur situation personnelle n'aura pas changé.
Les classes moyennes, les plus touchées par la réforme
Le projet de réforme des retraites présente bien, cependant, des dispositions améliorant la prise en charge de certains assurés. Les travailleurs en situation de handicap verront les conditions de validation de leurs trimestres simplifiées et les congés parentaux seront pris en compte dans le dispositif des carrières longues. Cette dernière mesure ne visera toutefois que 3 000 femmes.
De même, les aidants qui s'arrêtent de travailler pour s'occuper d'une personne âgée ou d'un proche en situation de handicap pourront également valider gratuitement des trimestres de cotisation. Environ 40 000 personnes sont concernées. Enfin, précise le gouvernement dans le dossier de presse de sa réforme, ceux qui ont commencé à travailler entre 16 et 18 ans pourront toujours partir à la retraite à partir de 60 ans. Pour les personnes ayant débuté leur carrière à 16 ans, un départ dès 58 ans sera encore possible, comme dans le régime actuel, "sous réserve d'avoir cotisé la durée d'assurance requise majorée d'une année, et non plus de deux années comme aujourd'hui".
Pour Bertrand Martinot, économiste à l'institut Montaigne, un groupe de réflexion à tendance libérale, la réforme comporte une part "d'équité". Certes, les travailleurs les plus modestes "vont subir un recul de leur âge de la retraite" mais "il sera moins élevé que celui pour les autres assurés", estime-t-il, interrogé par franceinfo. "Les plus touchés ne seront pas ceux qui auront commencé à travailler plus tôt ou les classes supérieures qui, de toute façon, vont devoir cotiser 43 annuités. Le gros bataillon, ce sont en fait les classes moyennes", conclut l'expert.
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