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Vrai ou faux La France a-t-elle freiné plusieurs réformes européennes, comme l'affirme François Ruffin ?

Le député LFI reproche à Emmanuel Macron et son gouvernement d'avoir bloqué des textes sur le congé paternité, les taxes sur les transactions financières et la reconnaissance comme salariés des travailleurs d'Uber. La réalité est toutefois plus nuancée, et d'autres pays membres se sont également montrés réticents sur ces différents sujets.

Article rédigé par Alice Galopin, Pauline Lecouvé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
François Ruffin, député LFI de la Somme, était mardi 10 mai l’invité du 8h30 franceinfo. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

"Quand l'Europe veut avancer dans le bon sens, qui est-ce qui bloque ? C'est la France et c'est Emmanuel Macron", a déclaré François Ruffin, mardi 10 mai sur franceinfo. Le député de La France insoumise a reproché au chef de l'Etat de freiner sur plusieurs avancées sociales portées au niveau de l'Union européenne. L'élu de la Somme a visé "trois points" précis : le congé paternité, les taxes sur les transactions financières et la reconnaissance du statut de salarié pour les travailleurs des plateformes comme Uber ou Deliveroo.

"Il y avait la volonté, y compris de la Commission européenne, d'aller vers un vrai congé paternité avec un mininum garanti partout. Qui l'a bloqué ? La France d'Emmanuel Macron", a affirmé François Ruffin. "Sur les taxes sur les transactions financières, qui a bloqué ? La France d'Emmanuel Macron", a-t-il poursuivi. Avant d'accuser le chef de l'Etat de faire "le jeu des plateformes", en bloquant un texte sur la reconnaissance d'un statut de salarié. Franceinfo a vérifié ces trois affirmations de l'élu LFI.

Le congé paternité en partie vidé de sa substance 

Sur le congé paternité, François Ruffin fait référence à une directive de l'Union européenne sur "l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants"Ce texte, proposé en 2017 par la Commission, avait pour ambition d'instaurer une période de congé paternité de dix jours et une période de congé parental non transférable d'au moins quatre mois pour chacun des deux parents, toutes deux rémunérées au minimum à un niveau équivalent à celui d'un congé maladie.

Interrogé sur cette proposition en avril 2018, devant le Parlement européen, Emmanuel Macron avait déclaré qu'il "en approuvait les principes", mais avait émis des réserves sur sa faisabilité financière, en raison de son coût "potentiellement explosif" pour "le système français". "C'est une belle idée, mais qui peut coûter très cher et finir par être insoutenable", avait déclaré le chef de l'Etat. Une telle directive aurait obligé la France à adapter son droit en faveur d'une meilleure rémunération du congé parental.

En France, la durée du congé paternité, comme celle du congé parental, est plus longue que celle proposée dans la directive : 25 jours (auxquels s'ajoutent trois jours de congé de naissance) pour le premier, en cas de naissance d'un premier enfant. Et un an renouvelable deux fois, jusqu'aux 3 ans de l'enfant, pour le second. Mais leur indemnisation diffère de celle du congé maladie. Les indemnités journalières pour un congé maladie sont fixées à 50% du salaire de base. Les indemnités du congé paternité, comme celles du du congé maternité, sont, elles, basées sur un mode de calcul différent.

Dans le cas d'un congé parental en revanche, le salarié n'est pas rémunéré par son employeur. Il peut cependant percevoir la prestation PreParE, ainsi qu'une allocation attribuée sur critère de revenu. La France est donc actuellement en deçà de l'ambition d'un congé parental rémunéré à hauteur du congé maladie, tel que le souhaitait la Commission pour l'ensemble des pays européens. 

Face aux réticences de la France, mais également d'autres pays membres, les ambitions initiales de la Commission ont donc été revues à la baisse. La directive, finalement votée en 2019, prévoit un congé paternité d'au moins dix jours ouvrables, rémunéré au même niveau que le congé maladie, dans tous les pays de l'Union européenne. Mais sur le congé parental, la directive a reculé. Celle-ci ne préconise plus que deux mois de congé parental non transférable, et laisse en plus la liberté aux pays membres de fixer librement la rémunération durant ce congé.

Si la France, pendant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron, a effectivement participé à vider d'une partie de sa substance la directive européenne, la responsabilité ne lui revient pas exclusivement. Quatre autres pays s'y étaient notamment opposés. La Pologne et l'Autriche pour les mêmes raisons que la France. La Suède et le Danemark car ils jugeaient ce texte moins ambitieux que leur propre législation.

La taxe sur les transactions financières, un projet embourbé de longue date

L'instauration d'une taxe sur les transactions financières (TTF) divise les Européens depuis une dizaine d'années. En 2011, José Manuel Barroso, alors président de la Commission européenne, propose un projet de taxe portant à 0,1% sur les actions et les obligations, et 0,01% sur les dérivés, escomptant sa mise en œuvre en 2014. Le Parlement européen en approuve les modalités en 2012, tablant sur 55 milliards d'euros de recettes par an, rapporte ReutersMais dès le début, plusieurs pays membres s'y opposent. A commencer par le Royaume-Uni, soucieux de protéger sa place financière. 

Côté français, Nicolas Sarkozy porte cette proposition de taxe, notamment lors du G20 de 2011. A partir de 2012, les négociations se poursuivent à onze seulement. La France fait partie de ce groupe de coopération renforcée. Ses membres parviennent à un accord en 2014 pour une entrée en vigueur de la TTF en 2016. Mais les désaccords persistent sur les modalités de la taxe – notamment avec la Belgique, détaille Le Monde – et la date butoir est repoussée.

Sous le quinquennat de François Hollande, la position de la France évolue : Paris est d'abord favorable à une taxe à l'assiette de prélèvement restreinte, afin de préserver les banques françaises, relate L'Express. Mais en 2015, le socialiste change de posture, prônant une TTF à l'"assiette la plus large possible", rapporte Le Figaro

Emmanuel Macron arrivé à l'Elysée, les négociations sont mises à l'arrêt à la suite du Brexit. Pas question d'effrayer les traders souhaitant quitter Londres, raconte Marianne. Le nouveau locataire de l'Elysée relance les débats lors de son discours sur l'Europe de 2017 à la Sorbonne, proposant une nouvelle mouture de la TTF. En 2019, une proposition franco-allemande est soumise à discussions, rapporte La Tribune. Celle-ci propose de taxer à hauteur de 0,2% les actions des entreprises cotées en Bourse à plus d'un milliard d'euros. Une hausse de la taxe en apparence seulement, puisque l'assiette réduite au maximum ne concerne plus que 500 sociétés. Cette mouture allégée déplaît à certains Etats membres, notamment l'Autriche, qui plaide pour une taxe plus importante, révèle Mediapart en 2020. Si la TTF attend toujours de voir le jour, il est donc réducteur de dire que seule la France bloque son instauration.

Pour le statut des travailleurs des plateformes, la France privilégie le "dialogue social"

François Ruffin a enfin assuré qu'Emmanuel Macron et la ministre du Travail, Elisabeth Borne, "bloquent" la reconnaissance comme salariés des travailleurs des plateformes numériques comme Uber ou Deliveroo. Début décembre 2021, la Commission européenne a effectivement dévoilé une proposition de directive pour renforcer les droits de ces travailleurs. 

La Commission a notamment proposé de fixer des "critères" à l'échelle de l'UE pour déterminer si une plateforme est considérée comme un "employeur" et si les personnes qui exercent leur activité par son intermédiaire sont des "travailleurs salariés". La Commission a rappelé que le statut de salarié permet l'accès à de nombreux droits : un salaire minimum, "une protection du temps de travail et de la santé" ou encore des congés payés.

Cette directive n'a pas encore été votée mais le gouvernement français s'y est montré réticent. "L'approche retenue par la Commission européenne pose question quant à son intérêt même pour les travailleurs", a estimé Elisabeth Borne, interrogée mi-décembre 2021 par un sénateur lors des questions au gouvernement. "Ces interrogations trouveront leur réponse dans le processus normal d'adoption d'une directive : c'est un temps long, qui doit permettre de nombreuses itérations entre la Commission européenne, les Etats membres et le Parlement européen", avait-elle ajouté.

En septembre, auditionnée par la mission d'information du Sénat intitulée "Ubérisation de la société", la ministre avait expliqué que le gouvernement ne voulait pas se "prononcer a priori sur le statut des travailleurs des plateformes", estimant qu'une "proportion écrasante" de ces travailleurs "ne souhaite pas être salariée". Plutôt que de légiférer, le gouvernement privilégie donc la piste du "dialogue social". Dans cette logique, Elisabeth Borne a salué lundi 9 mai les premières élections des représentants des livreurs et des chauffeurs VTC, qui se tiennent jusqu'au 16 mai. La ministre estime que celles-ci permettront aux travailleurs des plateformes d'améliorer leurs "conditions" tout en "respectant leur statut d'indépendant".

Dans ce dossier non plus, la France n'est pas le seul pays de l'UE à s'être montré sceptique sur cette proposition de directive, rappelle Le Monde (article payant). La Pologne, la Hongrie ou encore l'Estonie, dont est originaire le service de chauffeurs VTC Bolt, pourraient s'y opposer.

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