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Vrai ou faux Peut-on affirmer que "5% de la délinquance représentent 50% de la récidive", comme le dit un syndicaliste policier ?

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Des policiers contrôlent un homme à Blois (Loir-et-Cher), le 17 mars 2021. (GUILLAUME SOUVANT / AFP)

Cette statistique, lâchée par un représentant d'Unité SGP Police-FO, est inspirée d'un chiffre martelé pendant des années par Nicolas Sarkozy. Mais ce dernier faisait une lecture erronée des conclusions d'une étude.

Après le meurtre du brigadier Eric Masson à Avignon, des débats anciens sur les réponses policière et judiciaire à la délinquance sont relancés. A la sortie d'une réunion avec plusieurs syndicats de police, lundi 10 mai, le Premier ministre Jean Castex a annoncé un durcissement des peines contre les agresseurs de policiers et de gendarmes.

"Il faudrait être un peu plus chirurgical", a réagi sur franceinfo Grégory Joron, secrétaire général délégué d'Unité SGP Police-FO, avant d'ajouter : "On ne va pas mettre tout le monde en prison, je pense qu'il faut surtout mettre les bons." Car d'après ce syndicaliste policier, "5% de la délinquance représentent 50% de la récidive". Et d'insister : "C'est ceux-là qu'il faut traiter." Mais d'où vient cette statistique ?

Un chiffre utilisé à l'envi par Nicolas Sarkozy

Le chiffre avancé par Grégory Joron rappelle celui martelé par Nicolas Sarkozy pendant des années : "5% des délinquants font 50% de la délinquance." L'ancien chef de l'Etat l'a répété, lors de sa campagne présidentielle de 2007. Il l'a également mentionné, lors d'un discours en 2009, alors qu'il était président de la République. Puis en 2014, lors d'un meeting pour la présidence de l'UMP. Ou encore en 2016 lors de la primaire à droite.

Sauf que Nicolas Sarkozy avait été épinglé, dès 2007, pour cette affirmation erronée. En effet, l'ex-président tordait les résultats d'un travail dirigé par le sociologue Sebastian Roché. Pour une étude intitulée "Enquête sur la délinquance auto-déclarée des jeunes", notamment présentée dans Les Cahiers de la sécurité intérieure (PDF), 2 288 jeunes de 13-19 ans des agglomérations de Grenoble et Saint-Etienne avaient répondu à un questionnaire, entre avril et mai 1999.

Dans cette étude, 5% des jeunes interrogés disaient être les auteurs de la plupart des infractions. Dans le détail, les 5% les plus actifs disaient commettre 35% des petits délits, 35% des délits graves et 60% des actes de trafic. Mais les infractions abordées dans l'étude étaient très variées. Elles allaient de la dégradation à l'agression, en passant par la fraude dans les transports en commun, le vol en supermarché, le vol à l'arraché, le trafic de stupéfiants ou encore la consommation de cannabis. 

Cette étude avait nourri, en 2002, le travail d'une commission d'enquête parlementaire sur la délinquance des mineurs. Auditionné par les sénateurs, Sebastian Roché avait mis en avant cette "théorie des 5%". Mais cette statistique concernait la délinquance, pas la récidive, c'est-à-dire le fait de commettre une nouvelle infraction après une condamnation.

Une étude sur la délinquance et non la récidive

Nicolas Sarkozy tirait donc des conclusions hâtives en plaquant ce chiffre, qui concernait de jeunes personnes de deux agglomérations au tournant des années 1990-2000, à tous les délinquants. "J'ai parlé de 5% d'une classe d'âge et non de 5% des délinquants qui ont déjà commis un délit", précisait Sebastian Roché au Monde, en 2007, nuançant grandement la façon dont l'ex-président de la République s'était approprié cette statistique.

"Ce résultat vaut pour la population visée par l'enquête et ne peut être extrapolé à l'ensemble de la criminalité sans autre précision", insistent également auprès de franceinfo Renée Zauberman et Philippe Robert, directeurs de recherche émérites au CNRS au sein du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales.

En déclarant que "5% de la délinquance représentent 50% de la récidive", le secrétaire général délégué du syndicat Unité SGP Police-FO reprend donc l'extrapolation de Nicolas Sarkozy et y ajoute la notion de récidive. Une erreur, d'après le sociologue Sebastian Roché :

"Dans l'étude, nous ne parlons pas strictement de la récidive, mais du nombre de faits et de divers types de faits."

Sebastian Roché, sociologue

à franceinfo

Mais vingt ans après la publication de cette étude, les données actuelles permettent-elles de vérifier les propos de Grégory Joron ? Interrogée par franceinfo, la sous-direction de la statistique et des études du ministère de la Justice assure qu'elle ne dispose de "rien qui puisse permettre ni de confirmer ni d'infirmer cette affirmation". Au mieux, elle peut affirmer que 40% des personnes condamnées par la justice en 2018 avaient déjà été condamnées au cours des cinq années précédentes, comme le montre ce document (PDF) présentant des chiffres-clés pour l'année 2019.

Une statistique qui n'a "rien de scientifique"

De son côté, Annie Kensey, cheffe du bureau des études et de la prospective à la direction de l'administration pénitentiaire, pointe auprès de franceinfo le flou de l'affirmation du dirigeant syndical policier. "De quels actes parle-t-il ? D'excès de vitesse, de vente de drogues, de meurtres ? Quelle est la période de temps d'observation employée ?" s'interroge-t-elle. La co-auteure d'un rapport compilant "50 ans d'études quantitatives sur les récidives enregistrées" juge que les propos du syndicaliste policier n'ont "rien de scientifique".

Le chiffre avancé par Grégory Joron est également balayé par Renée Zauberman et Philippe Robert. Afin de calculer ce pourcentage, "il faudrait d'abord connaître l'ensemble des délinquants. Or la statistique de police nous renseigne seulement sur les cas élucidés, c'est-à-dire ceux où il a été possible d'identifier un suspect et de l'entendre. Quant à la statistique judiciaire, elle nous fournit seulement les condamnés", exposent-ils.

"On ne voit pas sur quoi peut reposer ce calcul de pourcentage."

Renée Zauberman et Philippe Robert, directeurs de recherche émérites au CNRS

à franceinfo

Reste cependant la notion d'un "noyau dur" de la délinquance ou plutôt de "noyaux suractifs" de délinquants, c'est-à-dire le fait qu'un petit nombre de personnes concentre un nombre important d'actes. "Tous les magistrats interrogés à ce sujet ont confirmé cet état de fait : il existe bien un petit pourcentage de jeunes qui commettent une part importante des délits", écrivait le Sénat en 2002. Un constat qui perdure, selon l'Union syndicale des magistrats (USM), décrivant auprès de franceinfo "une frange de délinquants multirécidivistes que l'on voit sans arrêt devant les juridictions".

Si aucun chiffre ne permet actuellement de quantifier ce phénomène de façon précise, Renée Zauberman et Philippe Robert attirent l'attention sur le fait que la "compulsivité délinquante" peut "ne pas durer longtemps dans la vie d'un individu". Les chercheurs rapportent que "les travaux sur la récidive et la désistance s'accordent à montrer que, même quand elles sont intenses à l'adolescence, la plupart des carrières délinquantes s'épuisent vers la trentaine". Surtout, l'USM souligne que "la plupart de ceux qui sont sanctionnés une première fois, on ne les revoit pas, fort heureusement".

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