: Vrai ou faux La tour Eiffel est-elle vraiment dans un état de délabrement avancé ?
Une peinture qui cloque, laissant apparaître du métal rouillé. L'entretien de la tour Eiffel inquiète : le monument est fermé pour le cinquième jour consécutif, vendredi 23 février, en raison d'une grève reconductible. Les syndicats du personnel dénoncent notamment la présence "de nombreux points de corrosion, (...) symptômes d'une dégradation inquiétante du monument". "C'est une vieille dame qui a 135 ans, elle a besoin effectivement de passer à une vitesse supérieure en termes d'entretien", assure Stéphane Dieu, délégué CGT des salariés de la tour Eiffel, auprès de France Télévisions.
La gestion financière du monument est également pointée du doigt. Et pour cause : la ville de Paris, qui possède 99% du capital de la Société d'exploitation de la tour Eiffel (Sete), envisage d'augmenter la redevance qu'elle perçoit sur les recettes du monument payant le plus visité du monde, passant de 16 millions d'euros par an en 2024 à 50 millions en 2025. "Dans ce cadre-là, on ne voit pas comment on peut continuer à investir dans des travaux de modernisation", déplore Stéphane Dieu. Alors, la tour Eiffel est-elle vraiment mal en point ?
Pour les syndicats, le constat est sans appel. "Elle est dans un état de délabrement. Les anciens qui ont 35 ans de boîte n'ont jamais vu ça", assure Denis Vavassori, délégué CGT, à franceinfo. "Ayant 21 ans d'ancienneté, j'ai vu passer plusieurs campagnes de peinture. Mais je n'avais jamais observé de traces de rouille sur la tour Eiffel", soutient le technicien de maintenance sur les ascenseurs du monument. Denis Vavassori a fourni à franceinfo plusieurs photos et une vidéo prises en février, témoignant bien de la corrosion de certaines parties de la tour.
"On a des éclats de peinture qui apparaissent avec le temps. La rouille augmente, et la tour s'abîme. Plus le temps passe, plus l'intervention sera importante."
Denis Vavassori, délégué CGTà franceinfo
Les règles d'entretien sont pourtant gravées dans le fer. Gustave Eiffel avait lui-même prescrit que la tour Eiffel devait être repeinte tous les sept ans, selon le site officiel du monument. Une fréquence respectée, selon cette même source : la Dame de fer a été repeinte 19 fois en 130 ans, soit près d'une fois tous les sept ans. Pour l'ingénieur, la peinture constitue "l'élément essentiel de la conservation d'un ouvrage métallique" et "les soins qui y sont apportés sont la seule garantie de sa durée", insistait-il dans son ouvrage La Tour de 300 mètres, édité en 1900.
"Il reste 70% de la peinture à faire"
La vingtième, et toute dernière, campagne de peinture a débuté en 2019 en vue des Jeux de Paris 2024. Celle-ci, bien plus complexe que les précédentes, accuse un retard important à cause de la pandémie, mais aussi d'une suspension des travaux en raison d'une pollution au plomb ayant causé le triplement du coût du chantier. Avant cette campagne, le dernier coup de peinture avait eu lieu en 2009. Pour Denis Vavassori, la campagne actuelle ne va pas assez vite : "Sur les 15% de décapage prévus, seulement 3% ont été réalisés, et il reste encore 70% du travail de peinture à faire", déplore-t-il.
Sur le réseau social X, plusieurs internautes ont partagé des photos montrant l'apparition d'oxydation sur le monument, émettant les mêmes inquiétudes. "La rouille est apparue dans des proportions inédites", alerte un internaute sur X, accusant la municipalité de Paris, principal actionnaire de la tour Eiffel, de "gestion calamiteuse". "La tour est probablement corrodée", avance un autre internaute, proche du mouvement citoyen #SaccageParis, qui milite contre la politique municipale de la capitale.
En juin 2022, l'hebdomadaire Marianne avait évoqué un "état très dégradé" de la tour et une maintenance "laissant à désirer", s'appuyant sur trois rapports d'expertise confidentiels réalisés entre 2010 et 2016. Interrogé par franceinfo à l'époque, le directeur général de la Sete, Jean-François Martins, avait alors assuré que "la tour Eiffel n'avait jamais été aussi préservée". Aujourd'hui encore, le monument est "en très bon état", se défend Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la mairie de Paris. "C'est un joyau de la ville (...) qui fait l'objet d'investissements très lourds", a rappelé l'élu chargé de l'urbanisme et de l'architecture à la municipalité, mercredi, sur franceinfo.
De son côté, le maître d'œuvre de cette vingtième campagne de peinture de la tour Eiffel reconnaît le caractère "inédit" et "complexe" de l'opération en cours. "C'est la première fois que l'on décape la tour. C'est un succès incroyable que d'avoir réussi à mettre au point ce décapage", se félicite Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des Monuments historiques, évoquant "une prouesse technologique".
Un décapage d'autant plus difficile qu'il fallait composer avec le plomb contenu dans le revêtement de la tour : "Il a fallu réinventer toutes les techniques de chantier, redéfinir tous les protocoles de travaux. C'est ce qui a coûté cher", explique l'architecte. En 2016, la Sete avait été condamnée à 18 700 euros d'amende pour avoir sciemment exposé des ouvriers à des taux de plomb trop élevés dans les peintures lors d'une précédente rénovation. Depuis la pollution au plomb causée par l'incendie de Notre-Dame en 2019, "il y a eu un renforcement des conditions de sécurité sanitaire sur les chantiers", affirme Pierre-Antoine Gatier.
"Il n'y a pas de problème de sécurité"
Une chose est sûre : la tour Eiffel ne menace pas de s'effondrer. "Le fer que nous avons découvert est dans un état de conservation exceptionnel", a constaté Pierre-Antoine Gatier, après l'opération de décapage menée à la sortie de la pandémie. Quant à la corrosion, celle-ci est "strictement superficielle", a insisté l'architecte. "Elle ne met pas en cause la solidité des pièces de fer", tranche-t-il. L'article de Marianne mentionnait par ailleurs l'existence de 68 pièces faisant l'objet d'une alerte, sur 18 000 pièces au total. "Ce sont des éléments secondaires. Il n'y a pas d'urgence sur ces réparations", répond Pierre-Antoine Gatier. "Six pièces ont été traitées, nous préparons la suite."
"Il n'y a pas de problème de sécurité", assure également Bernard Giovanonni, conseiller technique auprès de la Sete de 2009 à 2016. L'expert marseillais, chimiste de profession, a rédigé à la demande de la société d'exploitation les trois rapports mentionnés par Marianne, dressant l'état des lieux du revêtement de la tour Eiffel.
"On a de la chance : la tour Eiffel est en fer puddlé, un matériau sur lequel la corrosion est moins agressive. La structure principale de la tour Eiffel tient debout."
Bernard Giovannoni, ancien conseiller technique de la Seteà franceinfo
L'expert évoque avant tout des problèmes d'ordre "esthétique" sur le monument parisien, constatés huit ans plus tôt. "Il fallait faire des travaux. Depuis le sol, on pouvait voir un décollement de la peinture. Elle se dégradait au niveau du revêtement qui était vieux. Mais il n'y avait pas de souci majeur au niveau de la corrosion", explique-t-il.
A ce jour, "le pourcentage de tour repeinte est de 60%", a fait savoir la Sete à franceinfo, ce qui comprend "les faces externes des quatre piliers et des arcs décoratifs", ainsi que "la quasi totalité de la flèche", précise la société d'exploitation. Pierre-Antoine Gatier espère "terminer de peindre toutes les faces externes de la tour" d'ici les Jeux olympiques. Ensuite, le chantier est censé reprendre en 2025-2026, avec la peinture des faces internes basses. "Ce sont les parties où la peinture est la plus altérée, détaille le maître d'œuvre. Selon la Sete, la 21ème campagne de peinture, programmée après 2026, portera sur un nouveau décapage, notamment de l'arc décoratif entre les piliers Sud et Ouest. "On veut que cette tour soit magnifiquement conservée. Elle est l'image de la France et l'image de Paris. Elle est essentielle pour nous tous."
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