: Vrai ou faux Le cannabis est-il la première cause de décrochage scolaire ?
Après Malte et le Luxembourg, l'Allemagne a légalisé le 1er avril le cannabis à usage récréatif. Cette nouvelle a naturellement relancé le débat sur la législation de cette drogue en France. Othman Nasrou, vice-président Les Républicains de la région Ile-de-France, a affirmé sur le plateau de CNews, mardi 2 avril, y être "totalement défavorable".
Pour justifier son opposition à cette politique, l'élu mentionne les "ravages causés par le cannabis", notamment chez les jeunes. Selon lui, cette drogue constitue même "la première cause de décrochage scolaire". Dit-il vrai ou faux ? Franceinfo s'est penché sur la question.
Des effets confirmés sur la motivation et la mémoire
Selon les chiffres de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), en charge des statistiques sur l’éducation pour le gouvernement, 95 000 élèves quittent le système scolaire sans diplôme chaque année. Interrogé par franceinfo, Othman Nasrou assure baser son argumentaire sur un article australien publié en septembre 2014 dans la revue scientifique The Lancet. "L'étude a constaté que les jeunes de moins de 17 ans qui consommaient du cannabis quotidiennement avaient 63% de chance de moins d'obtenir un diplôme d'études secondaires que ceux n'ayant jamais consommé de cannabis", précise-t-il. Ce taux est, en effet, cité dans l'enquête australienne. "Cela en fait donc la principale cause de décrochage scolaire", justifie-t-il.
Une étude menée en 2017 en France par Maria Melchior, directrice de recherche à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) établit un constat semblable à celui l'enquête australienne : les jeunes qui consomment du cannabis régulièrement ont 60% de chance de moins d'obtenir le baccalauréat que ceux qui n'en consomment pas. "Le cannabis a effectivement des effets sur la mémoire, la motivation et le fonctionnement cérébral", qualités indispensables à la réussite d'un parcours scolaire, confirme auprès de franceinfo Maria Melchior.
"A court terme, la prise de cannabis altère la perception, l’attention et la mémoire immédiate, troubles susceptibles de perturber la réalisation de tâches telles que le travail scolaire des plus jeunes", ajoute la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives dans un fascicule paru mi-2022*. Maria Melchior ajoute que plus la consommation débute à un âge précoce, plus les risques sur la scolarité sont importants. Les jeunes ont en effet "tendance à consommer plus longtemps et en plus grande quantité", développe la spécialiste.
De nombreux facteurs à l'origine du décrochage scolaire
Les difficultés scolaires n'étant toutefois pas systématiquement synonymes de décrochage, "il est difficile de nommer le cannabis comme principale cause" de l'abandon de la scolarité, juge Maria Melchior. Le décrochage scolaire n'est en effet "pas un phénomène uniforme et homogène", détaille le ministère de l'Education nationale sur son site internet. "Il se matérialise par autant de trajectoires individuelles [que] d'histoires de vie et s'explique par une combinaison de facteurs de risques internes et externes à l'Ecole", ajoute le ministère, pour qui la solution à ce problème "ne peut donc être univoque".
Des chercheurs de l'université de Nantes avaient enquêté sur les motifs du décrochage scolaire dans un article paru en avril 2016* dans la revue Education et formations, éditée par la Depp. On pouvait y lire que 76% des élèves concernés affirmaient abandonner l'école en raison de cours jugés inintéressants, de méthodes d’enseignement considérées comme inappropriées, ou en raison d'un sentiment d'inutilité de l’école.
Maria Melchior avance d'autres raisons pour expliquer ce phénomène. "Le décrochage scolaire est plurifactoriel, cela est souvent lié à des problèmes de santé, de dépression, voire des phobies scolaires ou des problèmes d'apprentissage". "Le cannabis peut entrer en ligne de compte, mais ce n'est pas la seule raison", souligne la spécialiste. Un rapport de l'Institut national de prévention et d'Education pour la Santé* défend l'idée que "l'environnement immédiat" tel que "le milieu familial, l'influence des pairs, et l'équipe éducative" joue un rôle déterminant.
“Les jeunes de moins de 17 ans consommant de la drogue quotidiennement ont souvent d’autres problèmes, et la drogue est un moyen pour eux d’y échapper.”
Maria Melchior, directrice de recherche à l'Insermà franceinfo
Le décrochage scolaire ne peut donc être imputé à la seule consommation de cannabis, affirme la chercheuse. D'autant que celle-ci diminue chez les jeunes Français. D'après les travaux l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives*, 3,8% des jeunes de 17 ans consommaient régulièrement du cannabis en 2022, contre 9,2% en 2014. Cette diminution est également perceptible chez les fumeurs très occasionnels. En 2022, seuls trois adolescents sur 10 de 17 ans avaient déjà consommé du cannabis, contre un sur deux en 2002. La consommation d'alcool et de tabac a également chuté. Selon les chercheurs, cette amélioration de la situation peut s'expliquer par les années Covid, mais également par une baisse de la banalisation du tabac et de l'alcool, qui ne seraient désormais plus vus comme "incontournables" pour faire la fête aux yeux de la nouvelle génération.
* Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers des documents PDF.
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