: Vrai ou faux Les normes font-elles vraiment perdre 60 milliards d'euros aux entreprises françaises, comme l'affirme Gabriel Attal ?
"DĂ©bureaucratiser la France" : tel est l'objectif de simplification affichĂ© par le chef du gouvernement. Lors de son discours de politique gĂ©nĂ©rale, mardi 30 janvier, devant l'AssemblĂ©e nationale, Gabriel Attal a exprimĂ© son souhait d'allĂ©ger "le fardeau des rĂšgles et des normes" pesant sur les entrepreneurs français. "Il a Ă©tĂ© Ă©valuĂ© que chaque annĂ©e, ce sont 60 milliards d'euros que nous perdons Ă cause des dĂ©marches et des complexitĂ©s de notre quotidien", a avancĂ© le Premier ministre. Un chiffre qu'il a rĂ©pĂ©tĂ© dans un entretien au Parisien, samedi 10 fĂ©vrier. Mais d'oĂč vient cette estimation ? Et est-elle juste ?
Les normes, ce sont l'ensemble des lois, dĂ©crets, ordonnances, arrĂȘtĂ©s, circulaires, codes, directives et autres rĂšglements. Un cadre juridique dans lequel les activitĂ©s Ă©conomiques des entreprises â entre autres â s'exercent. Un rapport d'information du SĂ©nat, portant sur la "sobriĂ©tĂ© normative pour renforcer la compĂ©titivitĂ© des entreprises", publiĂ© en juin 2023, apporte plusieurs Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse sur leur impact financier. S'il estime que le "coĂ»t macro-Ă©conomique de la rĂ©glementation pesant sur les entreprises n'est pas connu avec certitude, variant du simple au double", il reconnaĂźt l'existence d'un "consensus" autour de 60 milliards d'euros.
Une estimation qui date un peu
Ce chiffre est tiré d'un rapport datant de 2010 de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui évaluait le "coût total des charges administratives pesant sur les entreprises" françaises à 60 milliards d'euros. Soit environ 3% du PIB de 2007 (1 945,7 milliards d'euros), a calculé franceinfo. L'institution s'appuie une sur analyse réalisée entre 2006 et début 2008, dans le cadre d'un programme européen de mesure et réduction des charges administratives.
Des études antérieures se rapprochaient également de ce résultat. "Le coût macro-économique de la réglementation pour la France a été évalué trÚs globalement par l'Union européenne dans une ancienne étude remontant à 2006 'à 3,7%' du PIB alors que l'étude de référence de janvier 2005 présente une fourchette entre 2,9% et 3,7% du PIB, remontant des calculs de l'année 2003", précise le rapport parlementaire.
La France se situerait ainsi dans la moyenne du continent. Une étude européenne comparative évaluait, de son cÎté, le poids du fardeau administratif français à entre 2,2% à 2,9% du PIB en 2003. Chez nos voisins, ce fardeau variait de 1,9% du PIB (Royaume-Uni, SuÚde, Finlande, Danemark) à 4,4% du PIB (Hongrie, GrÚce, Pologne, Slovénie).
Une part du PIB plus élevée ?
Le chiffre des 60 milliards de pertes Ă©conomiques a donc traversĂ© les annĂ©es, jusqu'Ă ĂȘtre repris Ă son compte par Gabriel Attal cette semaine. Mais ce chiffre n'a pas Ă©tĂ© mis Ă jour depuis au moins seize ans. Le coĂ»t pour les entreprises pourrait mĂȘme ĂȘtre sous-Ă©valuĂ©. Selon une publication de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap), un groupe de rĂ©flexion proche de la droite ultralibĂ©rale, ce poids des normes reprĂ©senterait "entre 3,5% et 4,5% du PIB français, soit entre 87 et 112 milliards d'euros", sans toutefois dĂ©tailler la mĂ©thodologie du calcul.
DerriÚre ces chiffres, comment pÚsent les réglementations sur l'économie des entreprises ? Trois principales sources de dépenses sont pointées dans le rapport sénatorial : les charges administratives, les coûts de mise en conformité de base et les coûts d'administration et de contrÎle. Guillaume Poitrinal milite pour un assouplissement de ces normes depuis de nombreuses années. L'entrepreneur et ex-coprésident du Conseil de la simplification pour les entreprises déplore notamment "des autorisations de mise sur le marché en France qui sont plus lentes qu'à l'étranger".
L'actuel chef d'entreprise franco-luxembourgeois se souvient ainsi "d'une usine de pansements basée à Dijon, qui pouvait distribuer ses produits partout en Europe... sauf en France". Interrogé en 2014 par Les Echos, Pierre Moustial, directeur général d'Urgo à l'époque, confirmait que son entreprise avait pu "commercialiser certains produits en Allemagne avant de le faire en France, alors que la quasi-totalité de sa production y est fabriquée". "Un jour suffit à un Allemand pour mettre un produit sur le marché, il faut six mois en Angleterre et jusqu'à trois ans en France", avait-il illustré.
Les normes sont donc coûteuses pour les entreprises, mais elles s'avÚrent souvent utiles. "Les normes du travail ont pour principal but d'assurer la sécurité, nuance Pascal Caillaud, juriste en droit social, chercheur au CNRS. Le coût nécessaire pour s'adapter à une norme restera moindre que celui engendré par un accident du travail par exemple. La norme vient prévoir un aléa", ajoute ce contributeur au média de fact-checking juridique Les Surligneurs.
Un serpent de mer politique
TantÎt utiles, tantÎt contraignantes, les normes demeurent un grand chantier politique. Les derniÚres annonces du gouvernement sur le lancement d'un chantier de simplification semblent en tout cas relever du serpent de mer : François Hollande, avec son "choc de simplification" en 2013, et Emmanuel Macron, lors de son premier quinquennat, s'y étaient déjà attaqués. En décembre 2023, le sénateur Olivier Rietmann, élu des Républicains en Haute-SaÎne et co-auteur du rapport de juin 2023 sur la sobriété normative, a aussi déposé un projet de loi transpartisan à ce sujet.
Le texte sera examinĂ© par le Parlement en mars prochain. Il pourrait rendre obligatoires les "tests PME" et crĂ©er un dispositif "Impact Entreprises". "On confie Ă une autoritĂ© indĂ©pendante l'obligation de passer Ă la moulinette tous les projets lĂ©gislatifs modifiant les normes de vie de l'entreprise, pour en mesurer les effets sur les PME", explique Olivier Rietmann. "Si l'avis est dĂ©favorable, la copie doit ĂȘtre revue." Cette structure serait chapeautĂ©e par un Haut-Commissaire Ă la simplification directement reliĂ© au prĂ©sident. "On croit qu'il va y avoir un 'choc de simplification'. En rĂ©alitĂ©, c'est un travail de longue haleine, sur le long terme", estime l'Ă©lu.
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