"Désmicardiser", "débureaucratiser", "déverrouiller" : ce qu'il faut retenir de la déclaration de politique générale de Gabriel Attal
"Je suis né en 1989, l'année du bicentenaire de la Révolution, l'année où on a cru que la démocratie libérale et le progrès universel triompheraient par eux-mêmes." Face à un hémicycle de l'Assemblée nationale chauffé à blanc et dans un brouhaha permanent, Gabriel Attal a prononcé son discours de politique générale, mardi 30 janvier. Pendant 1h20, le plus jeune Premier ministre de la Ve République a esquissé la méthode qu'il entend appliquer à Matignon en cette année où les grands rendez-vous – des Jeux olympiques à la réouverture de Notre-Dame de Paris – sont nombreux. "Nous voyons davantage de raisons d'espérer que de douter. Nous sommes prêts à affronter pour avancer. La France n'a jamais été et ne sera jamais une nation qui subit. Ni hier, ni aujourd'hui, ni demain."
Le Premier ministre devra affronter ces prochains jours une motion de censure, déposée par 146 députés emmenés par le communiste André Chassaigne, à défaut de solliciter un vote de confiance. Un exercice jugé trop risqué dans une Assemblée où les forces macronistes ne disposent pas de la majorité absolue depuis les législatives de 2022.
"Tout ne sera pas réglé en quelques semaines" pour les agriculteurs
"Notre agriculture est une force. Pas simplement parce qu'elle nous alimente au sens propre du terme, mais parce qu'elle constitue l'un des fondements de notre identité, de nos traditions", a souligné un Gabriel Attal très attendu sur les questions agricoles, alors que les tracteurs et les bottes de paille bloquent certains axes routiers autour de Paris. "Il doit y avoir une exception agricole française", assure le Premier ministre, qui se dit "lucide face à l'empilement des normes". Il assure au monde paysan : "Nous serons au rendez-vous, sans ambiguïté".
Gabriel Attal a annoncé l'inscription de la souveraineté alimentaire dans la loi et, pour ce faire, entend que les agriculteurs passent "plus de temps dans le champ, moins devant leur écran". Le Premier ministre illustre sa volonté de "débureaucratisation" de la France, en prenant l'exemple de sa gestion du cas des agriculteurs : lors de son déplacement en Haute-Garonne vendredi, il avait annoncé la suppression de dix normes. "Beaucoup d'autres suivront !", a-t-il promis. Et dans cette optique, cette méthode doit s'appliquer au niveau local, assure le Premier ministre. Dans ce même département, "en quelques réunions, le préfet et les agriculteurs se sont accordés sur l'abrogation de quatre arrêtés préfectoraux. Cette logique est étendue dès cette semaine à l'ensemble du pays".
Gabriel Attal refuse de promettre un coup de baguette magique. "J'assume de dire que tout ne sera pas réglé en quelques semaines", a admis le Premier ministre, citant les débats européens sur l'usage des produits phytosanitaires, l'usage des médicaments, la mise en place d'une "concurrence équitable" au niveau européen, ainsi que la prolongation des dérogations sur les jachères.
"D'ici le 15 mars, toutes les aides PAC seront versées sur les comptes bancaires des exploitants. Et nous travaillerons avec les régions pour que les aides à l'installation des jeunes agriculteurs puissent être versées dans les prochaines semaines", a encore annoncé le chef du gouvernement.
La région Occitanie, où a débuté la contestation des agriculteurs, se voit concernée au premier chef par l'annonce de la création d'un nouveau fonds d'urgence, doté de "moyens nouveaux", pour soutenir les viticulteurs, une filière qui fait "la fierté" de la France, a insisté le Premier ministre. "Nous agissons vite et fort", a-t-il martelé en conclusion de ce passage, message à l'attention des agriculteurs sur les barrages, notamment autour de la capitale.
Un discours de fermeté sur le régalien
Gabriel Attal a rappelé au début de son discours les interrogations qui traversent sa "génération", "en proie au doute sur l'avenir de sa planète, doutes sur son identité, doute ici en France sur qui nous sommes." Après le constat, le Premier ministre a égrené ses solutions. Il a promis que la lutte contre l'immigration illégale allait "continuer à s'intensifier", avec notamment la poursuite du travail de la "border force" à la frontière italienne.
Comme prévu par l'accord passé avec la droite sur la loi immigration, le Premier ministre a également annoncé qu'il tiendrait l'engagement d'Elisabeth Borne "de réformer l'aide médicale d'Etat". Il a précisé que cette réforme se ferait "avant l'été" par voie réglementaire, sur la base du rapport de Claude Evin et Patrick Stefanini.
"Il faut assumer d'accueillir moins pour accueillir mieux."
Gabriel AttalLors de son discours de politique générale
Concernant la défense, le Premier ministre a assuré qu'il tiendrait les engagements d'accorder des moyens supplémentaires aux militaires, "dans le cadre de la loi de programmation militaire". Puis, après avoir rappelé les créations de poste pour les forces de l'ordre et les nouvelles brigades de gendarmerie, il a annoncé que son gouvernement allait poursuivre ses efforts dans le domaine de la sécurité. "Comme l'a dit le président de la République, nous allons doubler la présence policière dans les rues d'ici 2030." Gabriel Attal a annoncé le déploiement fin février des Forces d'actions républicaines dans trois premiers territoires : Maubeuge (Nord), Valence (Drôme) et Besançon (Doubs).
Il a également promis un nouveau plan de lutte contre les stupéfiants. Il a confirmé l'annonce d'Emmanuel Macron concernant les "dix opérations ‘place nette' par semaine" et annoncé "vouloir geler les avoirs des trafiquants de drogue identifiés", comme l'avait déjà annoncé Bruno Le Maire. Gabriel Attal a également confirmé pour cela l'augmentation des moyens accordés à la justice, "avec plus de magistrats et de greffiers". Pour améliorer le fonctionnement de la justice, il a promis une nouveauté : "Désormais, les Français ne seront plus convoqués sur des créneaux pouvant courir sur une demi-journée entière, mais sur un créneau horaire bien défini".
Enfin, le chef du gouvernement a fait plusieurs annonces sur les collectivités territoriales, avec la recherche d'un "chemin pour une autonomie de la Corse", une loi sur Mayotte et un projet de loi constitutionnel sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
La "valeur travail" et les classes moyennes au cœur du discours
A l'aide d'une anaphore, Gabriel Attal a cherché à s'adresser à ces Français de la classe moyenne, "toujours au rendez-vous de leurs responsabilités, qui ne se plaignent pas alors qu'ils ont si souvent le sentiment de subir", "à ces Français qui ont le sentiment d'avoir tous les devoirs, quand d'autres ont tous les droits".
Le Premier ministre souhaite ainsi "favoriser le travail pour que ceux qui en sont éloignés s'en rapprochent, en soutenant ceux qui n'ont que le fruit de leur travail pour vivre". Gabriel Attal veut que le travail "paie mieux et toujours plus que l'inactivité". Il a en conséquence annoncé sa volonté de "désmicardiser" la France dès le prochain projet de loi de finances [le budget 2025] avec une baisse des charges "qui pèsent sur la classe moyenne" et confirmé l'engagement d'une nouvelle baisse d'impôts de 2 milliards d'euros.
Il a aussi évoqué les fonctionnaires, qui verront "leur mérite et leurs efforts" intégrés à leur rémunération.
Gabriel Attal veut par ailleurs "déverrouiller l'accès au travail", avec la généralisation, dès le 1er janvier 2025, de l'expérimentation du RSA conditionné à 15 heures d'activité pour l'insertion. Il a aussi évoqué la volonté de "mener à bien la solidarité à la source, pour éviter les démarches inutiles et garantir la pleine justice sociale".
"Au risque de décevoir certains ici, personne ne demande de 'droit à la paresse'."
Gabriel AttalLors de son discours de politique générale
Gabriel Attal a aussi marqué sa volonté d'essayer de s'adapter aux nouveaux usages, en proposant notamment dans toutes les administrations la semaine de "quatre jours, sans réduction du temps de travail", comme expérimenté au ministère des Comptes publics. Il a aussi demandé aux administrations de montrer l'exemple pour les personnels d'entretien en leur permettant de travailler aux horaires de bureau, et non au petit matin.
Dans la même logique, il veut également avancer dans "le chantier du compte épargne-temps universel", qui doit permettre "à ceux qui le souhaitent de travailler beaucoup plus à certains moments de leur vie où ils le peuvent".
"L'écologie populaire", sa solution contre le changement climatique
"Le dérèglement climatique nous frappe plus dur, plus fort, plus souvent. L'exceptionnel devient la norme", a rappelé Gabriel Attal. Il a assuré que son gouvernement agissait et que "jamais dans notre histoire les émissions de gaz à effet de serre n'ont baissé aussi rapidement que l'an dernier". Le Premier ministre a annoncé un "deuxième projet de loi industrie verte", un nouveau plan d'adaptation au changement climatique "dès ce trimestre" et demandé à la Commission nationale du débat public (CNDP) "de concentrer ses travaux uniquement sur les projets d'envergure nationale".
Il a longuement développé l'idée d'une "écologie populaire", où chacun agit à la hauteur de ses moyens. Il a par exemple rappelé l'engagement du leasing social pour la voiture électrique et le développement des RER métropolitains. "Une écologie populaire, c'est une écologie de la croissance et de l'emploi", a-t-il ajouté, en refusant une "écologie de la brutalité", une écologie "punitive" et la décroissance.
Gabriel Attal a aussi annoncé une initiative contre la pollution plastique, en ciblant "les 50 sites qui mettent le plus d'emballages plastique sur le marché". Il a estimé que le nucléaire était "une fierté française", avant de confirmer "la montée en puissance de notre parc nucléaire". Enfin, il a voulu s'adresser à la jeunesse, en annonçant la création d'un Service civique écologique "qui rassemblera, d'ici à la fin du quinquennat, 50 000 jeunes prêts à s'engager concrètement pour le climat".
Optimiser "le temps médical", l'axe des annonces sur la santé
Concernant la santé, le Premier ministre a multiplié des annonces visant à optimiser "le temps médical". Si Emmanuel Macron avait déjà dit vouloir régulariser les médecins étrangers sur le territoire, Gabriel Attal est allé plus loin en annonçant la nomination d'un "émissaire chargé d'aller chercher à l'étranger des médecins qui voudraient venir exercer en France".
Alors que les rendez-vous chez le médecin ne sont pas toujours honorés par les patients (notamment avec le développement de Doctolib), il souhaite des "mesures claires dès cette année", avec une mesure phare : "Quand on a rendez-vous chez le médecin et qu'on ne vient pas sans prévenir, on paie". Autre annonce d'envergure : face à la difficile mise en place du service d'accès aux soins (SAS), Gabriel Attal est "prêt à aller plus loin en restaurant des obligations de gardes pour les médecins libéraux en soirée ou le week-end".
Sur la santé mentale, le Premier ministre a reconnu que le dispositif "Mon soutien psy" n'a "pas donné les résultats escomptés". En conséquence, le chef du gouvernement veut "augmenter le tarif de la consultation remboursée pour limiter au maximum le reste à charge pour les jeunes patients et leurs familles". Il veut également permettre aux jeunes d'accéder à ces séances chez le psychologue "sans nécessairement passer par un médecin".
Enfin, Gabriel Attal veut mieux considérer les infirmières scolaires. Il a donc promis le versement d'une "prime exceptionnelle de 800 euros" en mai prochain et une revalorisation de leur salaire de "200 euros net par mois".
Un "réarmement civique" au programme pour l'éducation
Après avoir rappelé les précédentes annonces de son gouvernement ces derniers mois, du "choc des savoirs" au pacte enseignant, Gabriel Attal a évoqué la formation des professeurs. "Nous réformerons la formation initiale des enseignants pour construire les écoles normales du XXIᵉ siècle. Cette réforme sera présentée d'ici au mois de mars", a-t-il annoncé.
Pour mieux accompagner les élèves du primaire durant la pause du midi, le Premier ministre a également annoncé que l'Etat financera désormais "l'accompagnement des enfants en situation de handicap sur le temps du déjeuner, en lieu et place des collectivités locales", soit le travail des AESH.
En réaction aux émeutes de l'été dernier, après la mort de Nahel, Gabriel Attal veut créer des "travaux d'intérêt éducatif", qui "seront donnés plus facilement que des peines d'intérêt général". Enfin, pour assurer un "réarmement civique", le Premier ministre veut lancer des "travaux" en vue de la généralisation du Service national universel (SNU) "à la rentrée 2026".
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