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Affaire Cahuzac : un compte à 600 000 euros ou à 15 millions ?

L'ex-ministre du Budget a avoué qu'il possédait 600 000 euros sur un compte en Suisse, non déclaré. Mais plusieurs sources estiment qu'il a dissimulé au fisc des sommes plus importantes. 

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Jérôme Cahuzac, alors ministre du Budget, le 8 mars 2013. (BERNARD BISSON/JDD/SIPA)

Jérôme Cahuzac a-t-il menti une deuxième fois ? Depuis les aveux de l'ancien ministre du Budget, qui a reconnu mardi 2 avril posséder un compte en Suisse, les doutes s'accumulent sur le montant des sommes dissimulées. Officiellement, Jérôme Cahuzac a déposé 600 000 euros sur ce compte. Dimanche 7 avril, des sources bancaires helvétiques, citées par la radio publique suisse RTS, ont assuré que l'homme politique avait tenté de placer 15 millions d'euros dans le pays en 2009. Pourquoi les aveux de l'ancien ministre sont-ils mis en doute ? D'où proviendrait cet argent ? Eléments de réponse.

Pourquoi la somme de 600 000 euros est peu crédible

Jérôme Cahuzac l'assure, l'intégralité des actifs déposés sur ce compte est d'environ 600 000 euros. Cette somme, qualifiée de "réaliste" par le procureur de Genève, ne convainc pourtant pas les professionnels du secteur bancaire. Dès le 5 avril, le journaliste phare de la RTS, Darius Rochebin, explique sur TV5 Monde que "c'est beaucoup plus d'argent qui est mentionné par beaucoup de sources". Il lâche le chiffre de 15 millions d'euros.

Deux jours plus tard, la RTS publie son scoop. Des sources au sein d'une banque privée genevoise racontent que l'ancien ministre du Budget a tenté de déposer 15 millions d'euros en 2009. La banque a refusé, au motif que Jérôme Cahuzac était une personnalité exposée politiquement.

"Quinze millions, c'est le genre de sommes qu'on sort de France. Alors que 600 000 euros, on peut les garder en France. Cela ne vaut pas la peine au niveau des frais que cela représente de sortir 600 000 euros", décrypte Myret Zaki, rédactrice en chef adjointe du magazine économique suisse Bilan, sur la RTS. La journaliste rappelle que les Français qui avaient rapatrié leurs avoirs suisses sous le précédent quinquennat détenaient en moyenne un million d'euros.

Auteur du livre Ces 600 milliards qui manquent à la France : enquête au cœur de l'évasion fiscale (éd. du Seuil), le journaliste Antoine Peillon va plus loin. "Il est impossible qu'une banque s'occupe d'évasion fiscale pour quelqu'un qui n'a que 600 000 euros. Pour ce genre de politique d'évasion fiscale, il faut un minimum de 10 millions d'euros", explique-t-il à Metro.

D'où proviendrait cet argent ?

Jérôme Cahuzac n'a pas toujours fait de la politique. Chirurgien de formation, il a ouvert en 1991, avec sa femme, une clinique de chirurgie esthétique, spécialisée dans les implants capillaires. Selon son avocat, Jean Veil, c'est de là que provient "l'essentiel de ses revenus". Effectivement, comme le raconte Mediapart (article payant), la clinique Cahuzac est une véritable "machine à cash".

Mediapart a rencontré des anciens patients du couple Cahuzac. Ces derniers témoignent de la préférence du chirurgien pour les règlements non déclarés en espèce. "Il nous a proposé tel prix en chèque, puis un prix inférieur si on payait en espèces. Lui préférait clairement du liquide", se souvient Boris. "Il m'a proposé de payer de la main à la main, quelque 18 000 francs je crois. Il m'a expliqué que les médecins payaient trop de charges à son goût", ajoute Vincent.

La deuxième piste mène à son activité de consultant, décrite comme accessoire par son avocat. En 1993, un an après l'ouverture de son compte suisse, le futur ministre crée la société Cahuzac conseil. Mediapart (article payant), qui a pu consulter les comptes de la société, calcule que l'entreprise lui a rapporté entre 1993 et 1997 environ 913 000 euros. Le Parisien mentionne, lui, deux factures du laboratoire Pfizer pour un montant global de 38 000 euros en 1998.

La piste des laboratoires pharmaceutiques

Si cette activité de lobbying auprès des laboratoires pharmaceutiques pose un problème éthique, la troisième piste poursuivie par les enquêteurs est encore plus gênante. Mis en examen pour "blanchiment de fraude fiscale", l'ancien ministre l'est également pour "blanchiment de perception par un membre d'une profession médicale d'avantages procurés par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la Sécurité sociale". En clair, la justice le soupçonne d'avoir perçu des sommes d'argent des laboratoires pharmaceutiques, pour son enrichissement personnel ou pour le financement d'une campagne électorale.

L'élu socialiste a en effet occupé un poste où il pouvait rendre des services à ces derniers. Ainsi, de 1988 à 1991, il est conseiller technique pour le médicament au cabinet du ministre de la Santé, Claude Evin. A ce poste, il a son mot à dire sur la fixation du prix et du taux de remboursement par la Sécurité sociale. Sud Ouest raconte que, sous sa houlette, le médicament Mexapa, vendu par le laboratoire Pierre Fabre, est commercialisé à un prix de vente trois fois supérieur à celui de ses concurrents, un traitement de faveur épinglé par la Cour des comptes. Le quotidien régional précise également que Pierre Fabre est l'un des deux laboratoires qui finançaient des associations sportives à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), la ville de Jérôme Cahuzac.

Le destin d'un autre médicament, le Tot'hema, est tout aussi surprenant. Selon Mediapart, les ventes de ce médicament contre la fatigue ont été portées en 1991 par un coup de pouce du ministère de la Santé. Celui-ci décide d'arrêter le remboursement des "antiasthéniques", des médicaments anti-fatigue peu efficaces. Le Tot'hema, qui ne fait pas partie de la même catégorie, est épargné par une annexe de l'arrêté qui maintient son remboursement pendant une année supplémentaire. D'arrêté en arrêté, le médicament sera remboursé jusqu'en juillet 1994.

Le site rapporte que c'est le lobbyiste Daniel Vial, pour lequel a travaillé Jérôme Cahuzac, qui est à l'origine de la manœuvre. Il raconte enfin les vacances du futur ministre du Budget sur le yacht d'Arnaud Gobet, PDG d'Innothéra, l'entreprise qui commercialise le Tot'hema. Des liens que les juges d'instruction ne manqueront pas de questionner.

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