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"De la haine envers la réussite scolaire des victimes"

Le sociologue Claude Jacquier est sociologue et vit dans le quartier où deux jeunes hommes de 21 ans ont été tués à l'arme blanche vendredi soir. Il nous donne son éclairage sur ce drame. 

Article rédigé par Simon Gourmellet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Une habitante d'Echirolles (Isère) venue rendre hommage à Sofiane et Kévin, le 30 septembre 2012.  (JEAN-PIERRE CLATOT / AFP)

FAITS DIVERS – Un banal regard de travers est à l'origine d'une rixe qui a dégénéré à Echirolles, une commune de la banlieue grenobloise, vendredi 28 septembre. Un étudiant en master et son ami d'enfance, tous deux âgés de 21 ans et résidents du quartier des Granges, ont été battus et poignardés à mort. Un déchaînement de violence qui choque. Mais qui n'étonne pas Claude Jacquier, sociologue et président de l'Observatoire des discriminations et des territoires interculturels (ODTI). Cela fait plus de vingt ans qu'il vit à Echirolles et observe cette zone se dégrader. Pour FTVi, il analyse le drame.


FTVi : Battes de base-ball, manches de pioche, marteaux, couteaux et même pistolet à grenaille… L'arsenal des agresseurs fait froid dans le dos. Comment peut-on en arriver là ?

Claude Jacquier : Je connais bien le quartier, et cette violence ne m'étonne pas. Ces jeunes ne sont pas scolarisés et ne font rien de la journée. Leur sport, c'est cette violence, un moyen pour eux de se défouler. Ils ne maîtrisent à aucun moment la portée de leur acte et son importance. C'est une violence sans limites.

Outre la violence, ce qui surprend, c'est la raison de l'agression.

En effet, pour ce drame, les modèles que l'on utilise habituellement pour analyser ce type de violences sont obsolètes. Ici, il n'est pas question de la défense d'un territoire, de trafic de drogue ou d'acte raciste. Il s'agit de haine envers ce que représentaient ces deux jeunes, c'est-à-dire la réussite scolaire. L'une des victimes venait de terminer sa licence en management et allait débuter un master. C'est tout ce que les agresseurs ne seront jamais, et surtout ce qu'ils ne veulent pas devenir.

Vous dites que les agresseurs sont connus, facilement identifiables.

C'est un monde d'impunité. Ces jeunes sont connus. Dans la rue, ils obligent les passants à baisser les yeux. Ceux qui les défient sont menacés et risquent à tout moment d'être agressés. Dans ma structure, l'Observatoire des discriminations et des territoires interculturels, j'oblige tous mes salariés à porter plainte si c'est le cas. Résultat : je suis l'homme à abattre. J'ai été menacé pour cela.

Ils ont également beaucoup d'influence et de pouvoir. Sur l'une des places de ce quartier, ils sont toujours quatre ou cinq dealers. A la sortie des classes, ils offrent des cadeaux aux plus jeunes qui viennent y jouer : des ballons ou des jouets. C'est comme cela que l'engrenage démarre. 

Quelles solutions préconisez-vous pour changer les choses ? 

Pour l'instant, aucune réponse proposée n'est adaptée à la situation. On a détruit les barres d'immeubles, dispersé les populations de ces quartiers pour éviter les ghettos, alors qu'il faut réformer le système en profondeur. En France, on plaque le système républicain du haut vers le bas, c'est donc le même pour tout le monde. La culture des populations qui vivent dans ces quartiers n'est jamais prise en compte. Il faut plutôt monter une stratégie qui part de ces populations. Nous devons mettre les meilleurs éducateurs sur le terrain, bien les payer pour les inciter à rester et récompenser cette prise de risques.

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