Sologne : l'engrillagement de la forêt s'est amplifié durant le confinement
Depuis des années, des kilomètres de grillage sont érigés en Sologne par de grands propriétaires qui clôturent leurs territoires. Cette pratique s’est amplifiée pendant le confinement et révoltent de nombreux Solognots. Car les premières victimes, ce sont les animaux, littéralement pris au piège dans ces enclos infranchissables.
L’engrillagement de la Sologne est un problème qui empoisonne la vie des Solognots depuis plus de vingt ans, mais avec la prise de conscience liée à l’environnement et au bien-être animal, il prend plus que jamais l'allure d’un vrai débat de société.
Vaste territoire de 5000 km créé au XIXe siècle pour assainir les marécages, la Sologne est connue pour ses étangs et ses forêts propices à la chasse qui souvent ici prend un caractère privé. De riches propriétaires – Seydoux, Bouygues, Bich ou encore Dassault – ont pris l’habitude de clôturer leurs territoires de chasse, ce que le droit français leur permet de faire. Au total, ce sont plus de 4000 km de grillage qui ont ainsi été déployés en Sologne.
Piéger le gibier
Une gangrène qui révolte Marie et Raymond Louis. Chasseurs, ils se sont pourtant engagés dans un combat via l’association des Amis des Chemins de Sologne. Sur le terrain, ils découvrent régulièrement des nouvelles installations, qui pour certaines sont apparues pendant le confinement. C’est le cas aux abords de la propriété de Benjamin Tranchant dont la famille a bâti un empire composé de 16 casinos en France. "Ses 30 hectares vont être clôturés en laissant une partie libre. On va donner beaucoup à manger aux animaux sur ce territoire et faire rentrer les bêtes par la partie non clôturée. Son idée, c’est ensuite de fermer, comme ça on piège tout le gibier qui peut y avoir dans le coin."
Impossible pour les animaux de franchir ces obstacles qui mesurent parfois deux mètres de haut. Certains se blessent, d'autres meurent à petit feu en restant coincés dans les fils de fer. Pour réduire ces risques, en 2018, le Conseil régional a fixé des limites : les grilles ne doivent pas dépasser 120 centimètres en hauteur et laisser un espace de 40 centimètres au-dessus du sol pour permettre à la pette faune de circuler. Une belle avancée, mais comme la mesure ne prévoit aucune sanction, elle est restée sans effet.
Une "aberration" pour le cinéaste Nicolas Vanier
Le cinéaste solognot Nicolas Vanier, lui aussi engagé dans ce combat, comprend mal comment une telle pratique peut encore perdurer. "Nous allons vers une loi qui va interdire la chasse dans des espaces où on les animaux n’auront pas la possibilité de s’enfuir".
C’est une aberration qu’en 2020, alors qu’on parle partout d’écologie, ce soit possible de chasser dans un zoo car c’est ce qui se passe.
Nicolas VanierCinéaste
Des risques multiples
Au-delà du caractère très discutable de cette pratique au niveau éthique, l’engrillagement excessif et le type de chasse qui y est pratiquée présentent de nombreux risques.
Au niveau environnemental d’abord comme le décrivent Raymond et Marie Louis : "C’est terrible… Les hérissons, les lapins, les lièvres, plus rien ne passe au travers ! Avec les années de sécheresse, les animaux ne peuvent plus se déplacer pour aller boire. Même les petits animaux ne peuvent pas passer sous ces enclos souvent enterrés à la base. Et en cas d’incendie, tout peut cramer dans l’enclos !" s'indigne Raymond.
Le risque est réel car avec le réchauffement climatique, les spécialistes estiment que la Sologne pourrait devenir aussi inflammable dans 20 ans que la forêt des Landes aujourd’hui. Comment intervenir rapidement et facilement sur des propriétés immenses et complètement closes, où même les chemins communaux (et donc entretenus par la commune) sont bloqués par des barrières et des grillages ?
Plus sournois, le risque est aussi sanitaire, car une fois le gibier enfermé dans ces immenses enclos, les propriétaires feraient venir des "cochons" des pays de l’Est, une espèce hybride très fertile qui finit par être surreprésentée. "La situation actuelle est largement artificialisée et l’on observe des concentrations locales d'animaux "contre nature". C'est écrit noir sur blanc dans un rapport ministériel. Le danger ? Cette concentration d’ongulés est potentiellement vectrice de peste porcine et de tuberculose.
Tout le monde sait !
Face à tous ces risques et aux problèmes que génère l’engrillagement excessif, on se demande pourquoi les choses ne bougent pas davantage. Pourtant, les dossiers s’accumulent et la question a le mérite d’être bien posée en haut lieu. Le 4 décembre 2019, un rapport ministériel intitulé "L'engrillagement en Sologne, synthèse des effets et propositions" a été présenté au ministère de la Transition écologique et solidaire. Il pointe du doigt tous les risques.
Le 27 avril dernier, François Bonneau, le président de la région Centre-Val de Loire, et Nicolas Vanier ont également interpellé par courrier Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire afin de faire stopper l'engrillagement de la Sologne.
Frilosité politique ?
Pour expliquer le manque de réaction au niveau du gouvernement ou localement, certains dénoncent le lobby des chasseurs mais aussi la pression que ferait peser de grands propriétaires sur les élus, qu’ils soient maires, députés, ou ministres. Dans un article publié en 2017, La Nouvelle République mettait en avant ce cercle pas très vertueux où se mélangent invitations à des séances de chasse et promesses d’emplois locaux.
Déjà en 1972...
Cette frénésie de grillages et d'enfermement des animaux peut-elle se calmer ? L'avenir le dira. Mais un reportage réalisé en mai 1972 par Jean-Pierre Gallo prouve que le problème est ancien. Le réalisateur avait rencontré Lucienne, une Solognote amoureuse des oiseaux et éprise de liberté. A l'époque déjà, elle fustigeait ces clôtures de plus en plus nombreuses qui l'empêchaient de goûter à la joie simple de marcher librement dans la forêt, "sans tambour ni trompette". Jean-Pierre Gallo notait : "Les grillages qui commencent à se dresser sont un signe : ils coupent la forêt, ils rompent le code. L'homme, l'animal et la vie même sont privés de leurs trajets secrets, de leurs itinéraires vitaux".
Et l'histoire vient de nous montrer de façon brutale et parfois tragique qu'en bouleversant ces trajectoires vitales, on rompait le fragile équilibre qui nous permet de vivre en harmonie sur notre planète.
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