Après la censure des Sages, la taxe à 75% a-t-elle vraiment un avenir ?
Aussitôt après la censure du Conseil constitutionnel, l'exécutif a promis qu'un nouveau dispositif serait voté pour tenir cette promesse phare de François Hollande. Mais à y regarder de plus près, l'opération s'annonce délicate.
Et si le gouvernement enterrait purement et simplement la fameuse taxe à 75% sur les revenus de plus d'un million d'euros par an, retoquée le 29 décembre par le Conseil constitutionnel ? Aussitôt après la censure des Sages, Jean-Marc Ayrault a promis qu'un nouveau dispositif serait voté pour tenir cette promesse phare de François Hollande.
Mais à y regarder de plus près, l'opération s'annonce délicate. Si délicate que certains membres de la majorité commencent à douter de l'engagement pris par le gouvernement. De fait, avant qu'un éventuel nouveau texte soit ficelé, les écueils sont nombreux.
L'échéance repoussée d'un an
Plutôt que de faire voter immédiatement une nouvelle mouture du texte, le gouvernement se donne un an pour le faire. Pour François Hollande et Jean-Marc Ayrault, le futur dispositif devra être adopté au sein de la loi de finances 2014, qui sera votée à l'automne 2013. Ce qui signifie, en clair, que la future taxe s'appliquera sur les revenus perçus à partir de l'année 2013.
Problème : dans sa version initiale, cette taxe temporaire devait s'appliquer aux revenus de 2012 et de 2013. Le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, a assuré samedi que le nouveau dispositif entrerait bien en vigueur pour deux ans, sur les revenus de 2013 et 2014. Mais la formulation de Jean-Marc Ayrault, le lendemain, était moins précise, le Premier ministre évoquant les revenus de 2013 et restant muet sur ceux de 2014. De quoi faire craindre à certains que la mesure soit amputée d'une année.
Une nouvelle censure n'est pas à exclure
En un an, les huiles de Bercy vont avoir le temps de plancher sur la mesure qui remplacera la taxe à 75% sans risquer une censure du Conseil constitutionnel. Il leur faudra bien relire la décision des Sages, quelque peu ambiguë.
Le Conseil a censuré la taxe parce qu'elle portait sur les revenus d'un individu, et non d'un foyer fiscal. Ainsi, un couple dont l'un des membres gagne 1,2 million d'euros y aurait été assujetti, tandis qu'un couple dont les deux membres gagnent 900 000 euros chacun (1,8 million à eux deux) y aurait échappé.
Le problème peut sembler facile à contourner : il suffit de prendre comme base le foyer fiscal, et d'adapter le plafond à partir duquel les contribuables seront redevables de cette taxe.
Mais les Sages, volontairement ou non, ont laissé le gouvernement dans le flou. Pour annuler la mesure, les magistrats soulignent qu'ils n'ont examiné que cet argument (voir le paragraphe 74 de la décision). Le Conseil constitutionnel n'a pas jugé utile de se prononcer sur les autres reproches formulés par les parlementaires UMP, qui portaient notamment sur les effets de seuil et surtout sur le caractère "confiscatoire" de cette taxe. Ces arguments pourront donc être à nouveau plaidés, et éventuellement conduire à une censure du nouveau texte.
En persévérant, Hollande prend un risque politique
Au-delà de la probabilité de voir se faire retoquer le nouveau texte, son adoption peut faire courir un risque politique à François Hollande et à son gouvernement. Les discussions sur le budget 2013, et leurs prolongements à travers le cas Depardieu, ont confirmé que les questions de fiscalité étaient toujours sensibles en France.
L'exécutif devra remettre le couvert dans un an, quitte à réveiller dans l'opinion des tensions qui auront peut-être eu le temps d'être apaisées. En douze mois, le gouvernement peut au contraire trouver mille et une façons d'enterrer le dispositif, ou de le réduire à peau de chagrin. Interrogé par Libération, le rapporteur général du budget à l'Assemblée, Christian Eckert (PS), a confié ne pas exclure un renoncement de la part du gouvernement.
Un scénario auquel ne croit pas le député socialiste Thierry Mandon, contacté par francetv info. "Sur ce dossier-là, il n'y a aucun problème de majorité, ni à l'Assemblée ni au Sénat", assure l'élu de l'Essonne. Son collègue et voisin Jérôme Guedj "n'imagine pas une seconde que la taxe passe par pertes et profits alors que le président de la République s'est engagé face aux Français".
Le fer de lance de l'aile gauche du PS en profite pour aller plus loin : "Ce serait l'occasion d'une réforme fiscale plus profonde", telle que l'économiste Thomas Piketty l'a théorisée. Une réforme sur laquelle le candidat François Hollande a été plutôt flou durant la campagne et qui ne semble plus faire partie des plans du gouvernement. Les parlementaires relanceront-ils le débat ?
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